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La terre n’est pas privée au Tibet

par Emily T. Yeh, le 20 octobre 2008

Emily T. Yeh, géographe à l’université du Colorado (USA), a récemment fait une étude sur la propriété terrienne au Tibet (published in Conservation and Society, 2-1-2004. Sage Publications New Delhi/Thousand Oaks/London). Aux USA, elle soutient ouvertement le « mouvement pour l’indépendance du Tibet et milite en faveur du dalaï-lama. Mais elle a aussi mené une recherche concrète sur le territoire du Tibet.

 

Ci-dessous quelques-unes de ses constatations, suite à ses recherches... elles valent la peine d'être connues :
La terre n’a pas été privatisée comme ce fut le cas en Europe de l'Est. Au Tibet, elle a été « attribuée » en usufruit aux agriculteurs.
Le contrat est, au final, plus souple pour les agriculteurs et éleveurs du Tibet que dans le reste de la Chine. Le bétail et les terres sont répartis entre les ménages, sans autre précision de temps que « for the long term », comme ils disent. Dans le reste de la Chine, cela se passe pour une période déterminée (par année). Le système de quotas est, quant à lui, semblable à ce qui se pratique dans le reste de la Chine.


Il est convenu avec les agriculteurs qu’une partie de la production serait vendue à l’État, les familles disposant librement des surplus.


Les autorités tibétaines locales prévoient huit activités collectives pour les villageois : l’achat des semences, des engrais, des pesticides, la gestion des terres, l’ensemencement, la récolte, le battage, le labour et l’irrigation. A côté de cela, il existe deux droits individuels : le partage de la récolte et du bétail, qui est proportionnel à la superficie des terres cultivées.


L’expropriation de terres pour d’autres projets ou constructions n’est en fait pas une véritable expropriation puisque les paysans ne sont pas propriétaires de leur terrain. Les chefs de village tibétains se laissent facilement influencer par la promesse d’un développement économique. Étant donné que la classe moyenne tibétaine devient de plus en plus nombreuse à Lhassa et alentours, il arrive trop fréquemment que des terres soient réquisitionnées pour de la construction d’une belle maison.


La Banque alimentaire mondiale a subsidié une expropriation près de Lhassa pour y construire des serres et les louer ensuite à des agriculteurs tibétains. Mais il n’y eut ni assez de capital au départ, ni d’expertise, ni d'agriculteurs, pour lancer le projet. Finalement, ¾ des terres furent louées à des agriculteurs Han venus du Sichuan.

La gestion de la terre n’est pas devenue une affaire privée au Tibet. Elle reste une affaire politique. Toutefois, dans les villages, les cadres tibétains racontent que la terre appartient au parti, ce n’est qu’au niveau du canton que l’on trouve des cadres tibétains qui parlent de « terres gérées collectivement ».


Lorsque les agriculteurs ou les éleveurs cessent leurs activités et vont chercher un travail en ville, les terres retournent à la collectivité et les tâches collectives sont redistribuées. Les agriculteurs auraient préféré un nouveau remembrement. Mais la bureaucratie est très lente et c’est encore le système de 1984 qui reste en application, sans nouveau remembrement.
Dans le département de Nagqu, un canton a même gardé l’ancienne structure de la « commune populaire » parce que cela fonctionnait bien. Dans la région autour de Lhassa, les agriculteurs déplorent l’abandon des « équipes d’aide réciproque », comme elles furent instituées en 1959 : les agriculteurs travaillaient alors ensemble et partageaient la récolte suivant l’apport technique et les moyens de chacun.


Tous les fonctionnaires des petites villes étaient jusqu’il y a peu des Tibétains. Ces derniers temps, le gouvernement central y a ajouté des cadres Han qui restent cependant minoritaires.
Il existe régulièrement une tournante en ce qui concerne les responsables des cantons et des départements ; ce qui n’est pas le cas pour les chefs de village qui restent auprès de la population locale pendant tout leur mandat.


Quand c'est nécessaire, les agriculteurs chinois envoient des courriers et des pétitions aux instances politiques supérieures pour se plaindre de la corruption locale de leurs cadres. Les agriculteurs tibétains n’ont pas encore pris cette habitude.

 

le bétail est ’privé’ et ’collectif’ en même temps, ainsi que les terres. Il n’y a pas (trop) de fils barbelés pour séparer ’son’ mouton de celui du voisin (Qinghai, photo JPDes, 2005)
le bétail est ’privé’ et ’collectif’ en même temps, ainsi que les terres. Il n’y a pas (trop) de fils barbelés pour séparer ’son’ mouton de celui du voisin (Qinghai, photo JPDes, 2005)