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Des vaches laitières pour remplacer les yacks

par Jean-Paul Desimpelaere, le 9 février 2009

En ce mois d’octobre 2008, Pema, 55 ans et « patronne de la maison », a déjà rentré la moisson. Avec son mari, elle a cinq grands enfants, une fille et quatre garçons. La fille est mariée et n’habite plus chez ses parents. Un des fils est moine à Gyangze. Trois fils vivent toujours à la maison et ils se partagent une même femme, selon la coutume tibétaine. A eux quatre, ils ont trois jeunes enfants, tous des garçons. Le « masculin » est fort présent dans la maison – sept hommes pour deux femmes - ,  leur exploitation agricole se porte bien.

 

Madame Pema et sa petite-fille (photo jpdes, 2008)
Madame Pema et sa petite-fille (photo jpdes, 2008)

Madame Pema gère le tout d’une main de maître, pendant que le quatrième fils, devenu moine, maintient les dieux courroucés à distance honorable de la maison familiale. Parce qu’elle avait cinq enfants, Madame Pema a reçu, à l’époque du démantèlement des communes, un beau lopin de terre de 25 mu, soit presque deux hectares (1 mu = 1/15ème d'ha). La culture de l’orge, à la mode traditionnelle, leur permet de vendre quatre tonnes chaque année et de garder un surplus pour leur propre usage, ce qui leur rapporte environ 600 euros par an.

Ils ont également bénéficié de quelques offres de l’État qui les ont aidé à diversifier leur petite exploitation. L’État est intervenu pour 50 % dans l’achat de quelques vaches laitières qui donnent davantage de lait que les yacks. La famille en possède onze et a pu se spécialiser dans la production de lait et de fromage. Pour nourrir les vaches en hiver, la famille de Pema reçoit gracieusement une petite quantité de maïs.


Dix ans auparavant, la plupart des paysans tibétains ne vivaient que de la vente de l’orge et disposaient à peine de la moitié du revenu national moyen d’un paysan vivant ailleurs en Chine. Une amélioration du niveau de vie des paysans tibétains est en cours grâce, d’une part, à une diversification au niveau agricole et, d’autre part, au recours, pendant l’hiver, à des travaux occasionnels dans la construction et le transport. Cela assure une rentrée annuelle supplémentaire.

La famille possède un ’parabole’ qui chauffe l’eau pour le thé
La famille possède un ’parabole’ qui chauffe l’eau pour le thé

Ainsi, deux des fils de Pema travaillent en ville de novembre à avril et ont pu investir dans un tracteur et une remorque, ce qui leur a coûté 1500 euros. Ils ont également acheté une petite batteuse de 400 euros. En additionnant les diverses rentrées financières, la famille arrive à un montant légèrement supérieur à 2000 euros par an, l’équivalent du revenu moyen des paysans ailleurs en Chine. Bien que l’amélioration des conditions de vie des paysans tibétains soit notable, il est à noter que leurs revenus restent minimes, bien qu'ils ne soient pas taxés. Ils se situent juste au-dessus du seuil mondial de pauvreté : un dollar par jour et par personne.


Au Tibet, avant 1959, les paysans disposaient de très peu d’argent, voire de pas d’argent du tout. La plus grande portion des récoltes était remise au seigneur ou au monastère à qui les paysans devaient servage, le surplus leur permettait tout juste de survivre. Par ailleurs, ils pratiquaient le troc, c’est pourquoi l’argent ne circulait que très peu. Seule l’élite en possédait. On peut dire que les Tibétains fortunés étaient, proportionnellement, milliardaires. Je vous en donne deux exemples ici.


En 1951, juste avant l’arrivée de l’Armée Rouge à Lhassa, la famille du 14e dalaï-lama fit transporter vers le Sikkim, le trésor familial afin de le mettre en sécurité. Il a fallu une caravane faite de centaines d’ânes pour déménager ce trésor en or et en argent, qui n’est d'ailleurs jamais revenu au Tibet. Le comptable du Palais de Potala écrit dans ses mémoires que sa valeur totale atteignait environ cinq millions d’US dollars de l’époque.(1)


L’autre exemple est donné par la destitution d’un lama par l’Empereur de Chine, Daogang, pour cause de corruption. Cela s’est passé en 1844. Ce haut lama a été régent du Tibet pendant les primes années des 9ème et 10ème dalaï-lamas, tous deux décédés « étrangement » jeunes. Il avait amassé une fortune de 144.000 pièces d’argent (ou taëls) qui lui fut confisquée et répartie entre les monastères de la région de Xigaze. Ses larges provisions de riz (300 hl), d’orge et de blé (7000 hl) sont allées pour une partie aux fonctionnaires locaux et pour une autre partie à l’armée chinoise.(2)


Ce ne sont ici que deux exemples de l'énorme écart qui existait en ce temps-là entre les serfs d'un côté et la noblesse tibétaine d'un autre, qu'elle fut ecclésiastique ou laïque.

Notes :

(1)Tashi Tsering, autobiography, pages 57-58
(2) Biography of the 11th dalaï-lama, rapports du commissaire Qing Qishang, cité dans “The system of the dalai lama reincarnation”, Chen Qingying, China International Press, 2005