Au Tibet, déjà 6.660 stations 5G en fonctionnement
par Élisabeth Martens, le 26 janvier 2022
Le 4 janvier 2022, la rédaction de Xinhua a annoncé que « la région autonome du Tibet, dans le sud-ouest de la Chine, a construit 3.083 stations de base 5G en 2021, portant le nombre total de stations de base 5G dans la région à 6.660 ». L'article ajoute qu'en 2022, la construction de la plate-forme de services publics de l'Internet industriel sera encore accélérée donnant aux Tibétains un accès plus facile au réseau 5G. Ils pourront l'utiliser dans l'éducation, les soins médicaux, les transports et la logistique.1
Selon Yan Jinhai, président intérimaire de la Région autonome du Tibet (R.A.T.), « l'économie numérique de la région devrait croître de 10% cette année ». Zhou Min, directeur général de la branche tibétaine de China Mobile, s'emploie à multiplier les performances de la 5G en haute altitude.
Construite à 6.500 mètres d'altitude, la station de base 5G la plus haute du monde couvre de son signal le sommet du mont Qomolangma (l'Everest). L'infrastructure qui comprend aussi deux autres stations construites respectivement à 5.300 mètres et 5.800 mètres d'altitude assurera la télécommunication pour les activités d'alpinisme, de recherche scientifique, de surveillance environnementale, de « livestreaming haute définition » et de mesure de la hauteur du pic du Qomolangma.
L'antenne relais située à 5.300 mètres devrait desservir la zone du camp de base. Une fois que la 5G sera commercialement disponible, les alpinistes, les touristes et les résidents locaux pourront utiliser le service dans la zone du camp de base. Les stations de base situées à 5.800 mètres et à 6.500 mètres d'altitude sont des stations temporaires destinées à assurer la couverture du signal sur la voie d'ascension vers le sommet. Ces deux stations devraient être démantelées après l'achèvement de l'étude d'altitude. Seule restera en place l'antenne à 5.300 mètres d'altitude qui est alimentée par des panneaux solaires.2
La 5G s’inscrit dans la croissance économique spectaculaire du Tibet
Ces dernières années, la Région autonome du Tibet (R.A.T.) a connu une croissance économique spectaculaire. En 2020, cette croissance dépassait déjà celle de toutes les autres provinces chinoises. Alors que le Tibet avait encore le plus petit PNB et la plus petite population (3,35 millions), il avait enregistré la meilleure croissance économique du pays avec 7,80%. Le développement de l'industrie numérique y a largement contribué.
En 2017, la Chine avait élu le Haut plateau tibétain comme terrain idéal pour implanter un gigantesque data center. Non pas dans le but de récolter les données privées des Tibétains – c'est ce qu'on entend dire chez nous -, mais parce qu'au Tibet, les basses températures permettent de réaliser de sérieuses économies, tant en énergie qu'en eau, les serveurs nécessitant moins de climatisation.3 Or le gouvernement régional du Tibet a également fait de la conservation écologique une priorité.4
Comparativement, si l'on en croit une enquête publiée le 1er avril 2020 par Bloomberg3, les data centers de Google sont hyper consommateurs en eau. Cela s’explique par la technique de refroidissement utilisée par Google: l’eau est évaporée pour refroidir l’atmosphère dans le centre. Cette technique économise l'énergie, mais elle est vorace en eau. Menacée par les sécheresses à répétition provoquées par le réchauffement climatique, l'eau est pourtant devenue notre « or bleu ».
L'entreprise technologique Tibet Ningsuan Technology Group, détenue en partie par l'État, exploitera le centre de données situé à proximité de la capitale tibétaine et supervisera la construction. Le projet s'inscrit aussi dans l'initiative chinoise "Belt and Road" (BRI) qui prévoit des connexions plus étroites, tant maritimes que terrestres, avec près de 70 pays de l'Asie du Sud-Est à l'Europe.5
En 2015, Xi Jinping a tenu à préciser que « Les programmes de développement (de la BRI , ndlr) seront ouverts et inclusifs, ils n’excluront personne. Ils seront un véritable chœur comprenant tous les pays le long des routes (de la Soie, ndlr), et non un solo pour la Chine elle-même. » En effet, en décembre 2020,
China Mobile International (CMI), une filiale de China Mobile, a ouvert un centre de données de 10 MW à Slough, près de Londres, affirmant que cette nouvelle installation constituait une étape importante dans la connexion de la Chine avec l'Europe.
Comment se prennent les décisions régionales au Tibet?
La Chine semble avoir fait un choix judicieux en installant le plus grand data center du monde sur le Haut Plateau tibétain. Cependant, parce qu'il s'agit du Tibet, on pense chez nous qu'il y a abus de pouvoir, que la Chine impose son choix, sans aucune concertation.
On oublie qu'en Chine, il y a des élections à plusieurs échelons : les conseillers villageois, les conseillers des cantons ou des districts, puis les conseillers du parlement régional. En comparaison avec les pays « démocratiques », en Chine, il y a plus d’élus par nombre d’habitants. Cela a pour avantage que les conseillers sont proches des communautés locales et peuvent plus facilement régler leurs problèmes quotidiens. On aimerait pouvoir en dire autant de nos élus !
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| 5ème session de la 11ème Assemblée populaire de la région autonome du Tibet, 4/1/2022 |
Cela est vrai partout en Chine, donc également en Région autonome du Tibet (R.A.T.). Le juriste américain Barry Sautman écrit que les Tibétains sont représentés en majorité à tous les échelons de la hiérarchie politique de la R.A.T., clergé compris.6 Le président de la R.A.T. de 2017 à 2021 était un Tibétain, Cha Dalha.7 Par contre, le secrétaire régional du parti est toujours un Han, il a pour tâche d'établir le lien avec le pouvoir central.
Toutes les décisions au niveau régional tibétain se prennent en concertation avec l’État central chinois. Les lois locales n'entrent en vigueur qu'après l'accord du gouvernement national.8 L'inverse est vrai aussi. Par exemple, quand le gouvernement national a voulu installer un data center géant au Tibet, le secrétaire régional du parti a proposé le projet au gouvernement de la R.A.T. qui l'a ratifié.
Des Tibétains hyper-contrôlés ou des capitalistes sous surveillance ?
Cependant, nos mass médias ne peuvent s'empêcher de dénoncer « l'hypocrisie de Pékin », affirmant que les données individuelles des Tibétains sont récupérées à des fins de surveillance. « On constate un nombre croissant de caméras à reconnaissance faciale dans les rues de Lhassa et dans les temples bouddhistes », dénonce France-Tibet, alors que La Libre Belgique note : « Bien évidemment, le Parti communiste chinois n’a aucun respect pour une presse libre sur son propre territoire, en particulier au Tibet. »
S'est-on demandé si Google n'est pas tout aussi intrusif que le système chinois ? Le « capitalisme de surveillance » décrit par Shoshana Zuboff est né avec des sociétés de publicité menées par Google.9 Elles ont rapidement compris la possibilité d'utiliser les données personnelles des consommateurs pour les cibler avec plus de précision. Nos données personnelles ne sont plus rien d'autre que des marchandises dont le but principal est de faire du profit. Par ailleurs, on sait aussi que « le taux de reconnaissance faciale atteint par les outils numériques développés par Facebook est égal et même légèrement supérieur au taux de reconnaissance des humains eux-mêmes ».10
De quel droit dénonçons-nous l'hyper-contrôle de la Chine sur ses populations, qu'elles soient Han, Tibétaines, Hui, Yi, Mao, Dai, Zhuang, Ouïghoures, Mandchoues, Mongoles ou autres ? Sait-on chez nous qu'une majorité de la population chinoise estime que l'intelligence artificielle et le big data peuvent être utilisés comme des atouts efficaces pour maintenir l'équilibre social ? Sait-on que les smartphones tibétains écrivent en tibétain, en chinois ou en anglais ? Sait-on que la pandémie de la Covid a été enrayée plus rapidement en Chine que partout ailleurs dans le monde, entre autres, grâce à la 5G ?
Selon les estimations du Conseil des affaires d’État, le nombre d’utilisateurs de la 5G en Chine devrait atteindre 560 millions d'ici 2023, soit un tiers des utilisateurs de 5G dans le monde.11 Cela mettra forcément à mal la domination numérique des États-Unis. Il n'est dès lors pas étonnant que le lynchage de la Chine s'accélère dans nos médias et touche autant les plus conservateurs que les plus progressistes.
Àquand un peu de réflexion mesurée ? N'est-ce pas Anna Harendt qui parlait de « l'étrange lien entre l'absence de pensée et la banalité du mal » ?
Notes :
1 https://chine.in/actualite/cn/stations-base-construites-tibet_152104.html
2 http://www.xinhuanet.com/english/2020-05/02/c_139025194.htm
3 http://www.chine-ecologie.org/protection-de-l-environnement-2/urbanisme/323-un-data-center-geant-s-ouvre-a-lhassa
4 http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/region-autonome-du-tibet/597-le-pib-du-tibet-croit-de-7-8-en-2020-tout-en-maintenant-le-cap-sur-la-protection-de-l-environnement
5 https://www.datacenterdynamics.com/en/news/china-builds-worlds-highest-cloud-campus-tibet-autonomous-region/
6 http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/region-autonome-du-tibet/234-elections-au-tibet
7 https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernement_de_la_rC3%A9gion_autonome_du_Tibet#cite_ref-10
8 http://en.people.cn/constitution/constitution.html
9 https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/ZUBOFF/59443
10 Philippe Godard, "Censure. Où ça?", Kairos, septembre-octobre 2021
11 https://www.20minutes.fr/high-tech/3178519-20211122-la-chine-annonce-avoir-atteint-450-millions-d-utilisateurs-5g