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Des dégâts pendant la Révolution Culturelle

par Jean-Paul Desimpelaere, le 7 juin 2010

Dès 1966, de jeunes étudiants tibétains et une partie des dirigeants, des Tibétains et des Chinois, se sont rassemblés à Lhassa pour répondre à l’appel national de la « Révolution Culturelle ». Leurs cibles étaient d’autres dirigeants, considérés comme trop traditionnels, et les « vieilles habitudes », c'est-à-dire, en premier lieu, les superstitions et la religion. Les moines ont été renvoyés dans leur village natal pour travailler aux champs. Beaucoup de stupas, de statues bouddhistes et d'éléments cultuels ont été détruits. Des monastères, il ne resta généralement que quelques bâtiments centraux transformés en écoles, en granges, ou autre. Deux ans plus tard, en 1968, l’armée a commencé à rétablir l’ordre et ces destructions prirent fin. Toutefois, les excès de la gauche vont perdurer jusqu’en 1976 au Tibet, comme ailleurs en Chine. La Révolution Culturelle a duré officiellement dix ans, de 1966 jusqu’en 1976. Elle a prit fin avec la condamnation de « la Bande des Quatre ».

 

Au Tibet, les Gardes Rouges étaient divisés : d'une part, il y avait les « rebelles », et d'autre part, ceux de « l’alliance ». Ces deux clans rivaux se battaient pour prendre les rênes de la Révolution culturelle. Pendant que les uns occupaient la rédaction du journal à Lhassa, les autres prenaient d’assaut la station radio, et ainsi de suite. Leurs confrontations devenaient souvent violentes, il y eut des morts. L’armée a mis fin à ces excès en septembre 1969. La Révolution Culturelle n’avait pas un caractère ethnique, opposant les Han et les Tibétains : les Gardes Rouges étaient aussi bien Han que Tibétains Mais une série de coutumes tibétaines était visée : fini les cheveux longs, les habits traditionnels, les autels domestiques, la robe des moines et les rituels. La langue tibétaine écrite disparut aussi peu à peu, elle était considérée comme un héritage de la noblesse cléricale. La proportion de temples au Tibet et dans les régions avoisinantes, par rapport au reste de la Chine, étant plus élevée, un plus grand nombre de ceux-ci a été ravagé pendant la Révolution culturelle. Trouver un temple ou un monastère au Tibet où il n’y eut pas de dégâts relève de l’exceptionnel. La liberté de religion fut rétablie au niveau individuel dès 1971, mais il a fallu attendre 1980 pour voir se rouvrir les temples et les monastères.

Entre 1966 et 1969, le Tibet, comme le reste de la Chine, a été débordé par le mouvement des Gardes Rouges de la Révolution Culturelle. Le gauchisme extrémiste qui marqua cette période fut d’autant plus inévitable au Tibet où l’obscurantisme religieux pesait lourdement ; les jeunes rebelles « se devaient » de s'en prendre aux monastères, aux temples et à la vie religieuse en général. Zhou Enlai, qui comprenait parfaitement l’importance de la religion au Tibet, s’interposa. Pour prévenir des attaques désordonnées, il ordonna aux Gardes Rouges de quitter le Tibet dès le mois d’août 1966. Il répéta son ordre en octobre de la même année. Toutefois, il ne put sauver que quelques grands monastères et monuments cultuels, en y installant l’armée. Le Potala, le palais d’Été, le Jokhang furent épargnés. Quelques autres grands monastères, en dehors du Tibet, mais dans des régions habitées par des Tibétains, furent aussi placés sous protection, entre autres, le monastère de Serxu au Sichuan.

La plupart des destructions dans les temples se situe entre 1966 et 1969, elles concernaient surtout les temples situés à proximité des villes. En général, il ne s’agissait pas de « raids sauvages », ces destructions répondaient à un consensus politique : les temples étaient les premiers représentants de l’idéologie féodale, donc il fallait les détruire. La majeure partie des destructions était programmée. Il existait même des comités d’inspection qui étaient envoyés en éclaireurs pour définir quels objets précieux devaient être sauvés et mis sous protection, et lesquels pouvaient être détruits. Les sutras étaient des instruments de propagande de l’idéologie féodale par excellence et furent massivement brûlés, mis à part une série d'originaux et d'anciennes copies.

En général, les monastères n'étaient pas complètement rasés, comme on le prétend en Occident. En effet, un monastère tibétain est un village, parfois une petite ville même. Il compte un grand nombre de bâtiments, y compris des maisons d’habitation. Certains moines ont gardé leur maison, mais ils ont été envoyés de force dans les brigades agricoles des environs. C’était surtout l’intérieur des temples qui était dévasté. Certains d’entre eux ont été transformés en grange ou en école, d’autres ont été démantelés pour récupérer les matériaux de construction. Actuellement, on compte 2500 temples du bouddhisme tibétain en activité, dont 1700 au Tibet même (R.A.T.). C’est encore trois fois plus que d'églises en Flandre, pourtant la Flandre compte à peu près le même nombre d’habitants que la totalité des Tibétains.

En 1959, il y avait 110.000 moines au Tibet même, ce qui représentait environ 20% de la population masculine. Aujourd’hui, il y en a 46.000, ce qui représente 4% de la population masculine. Les autorités chinoises considèrent cela comme « une proportion plus raisonnable, en tout cas suffisante pour satisfaire l'activité religieuse de tous au Tibet ». Une raison importante de cette diminution du nombre de moines a été la réforme agraire de 1959. Avec elle, il y eut l’abolition de l’obligation qu’avait chaque famille de fournir un moine à la communauté du Bouddhisme tibétain. Avec elle aussi, les familles paysannes ne dépendaient plus d’un monastère ou d’un seigneur et pouvaient désormais se livrer librement à leurs activités agricoles. Pendant la Révolution Culturelle (66-76), les moines furent envoyés aux champs.

Un peu plus tôt, en 1963, une petite école bouddhiste a été ouverte à l’initiative de Mao destinée à des jeunes lamas réincarnés. On y éduquait de futurs responsables de monastère ou des futurs lamas destinés à un poste important, des princes, des régents ou des précepteurs des dalaï-lamas. Certains d’entre eux sont allés à Beijing et ont donné une poignée de mains à Mao et à Zhou En Lai. Trois ans plus tard, la Révolution Culturelle se répandit en Chine, Tibet compris. La petite école fut dissoute et les onze jeunes lamas ont été mis en corvée. Faire défiler leurs noms serait inutile ici, mais ils peuvent nous laisser imaginer les coutumes tibétaines : le 4ème d'une telle lignée d'un tel monastère, le 6ème de tel autre, le 9ème de, le 12ème de, etc… Quelques-uns reçurent des tâches de type « service civil », et furent placés sous la surveillance d’un comité de quartier. D’autres furent envoyé dans le district Shannan au Sud-est de Lhassa pour travailler aux champs. D'autres ont du se mettre à la pêche au lac de Yamzhog Yumco, ce qui ne correspondait pas forcément à leur foi bouddhiste : les poissons sont considérés comme des « libérateurs » de l’âme d’un défunt. La tradition tibétaine, outre donner le corps des défunts aux vautours, la donne aussi aux poissons. Une autre corvée imposée était de s’enfoncer jusqu’aux hanches dans l’eau glacée du Yarlung Tsangpo pour tirer des bateaux à contre-courant, mais les agriculteurs locaux les invitaient après pour un thé au beurre bien chaud. A partir de 1974, ils revinrent un à un à Lhassa et reprirent leur position de lamas réincarnés. Ils sont tous devenus d'éminents lamas.

Après la Révolution culturelle, une partie des lamas retournèrent dans leurs monastères respectifs, mais pas tous. Des jeunes novices ont refait apparition au début des années 80. A la même époque, le gouvernement a libéré 4 millions d’euros pour la reconstruction et la rénovation des temples et des monastères. Entre-temps, ce montant a été augmenté à plusieurs reprises. Mais il n’y a pas que les bâtiments qui se portent de mieux en mieux, la ferveur religieuse a également repris de plus belle. Chaque monastère tient une à deux fêtes par an, et ces événements créent parfois d’énormes rassemblements de fidèles.

La cérémonie quinquennale de Serxu, dans l’extrême Nord-ouest du Tibet en est un exemple : il n’y a que 60.000 personnes qui vivent dans le district de Serxu, dont 90% de Tibétains. Pourtant ce sont près de 200.000 personnes qui se rassemblent sur ces terres pelées du monde du monde, pendant une semaine de festivités, au mois d'avril. Le monastère de Serxu compte quelques dizaines de temples alignés d’Est en Ouest le le long de la rivière Yarlong. Le lama réincarné Shiba Rinpoche, âgé de trente-cinq ans, préside la cérémonie. Il est ouvert d’esprit et autorise l’enseignement du lamaïsme aux étrangers. Le complexe de temples fut bâti en 1760 sous le règne du grand 5ème dalaï-lama. Les bâtiments les plus anciens sont encore debout, mais le complexe a entre-temps été élargi, un nouvel Institut supérieur lamaïste s'y trouve avec des dortoirs attenants pour les étudiants de passage, et deux hôtels et un restaurant pour les visiteurs aisés, tels que nous. Habituellement, c’est la famille qui pourvoit à l’entretien des moines au Tibet. C'est aussi la famille qui paye pour les offices. Mais certains moines plus aisés car ils vont travailler à l’extérieur pendant certaines périodes, soutiennent eux-mêmes leur famille. Par exemple, des moines de Serxu sont allés travailler à la construction de la ligne de chemin de fer de Golmud à Lhassa.

Notes : les sources pour cet article viennent de

  1. « Tibet Handbook » de Gyurme Dorje

  2. Magazine « China’s Tibet », numéros de1990-2009

  3. « On the Cultural Revolution in Tibet » de Goldstein

  4. « Shelton pioneer in Tibet » de Wissing

  5. « Au pays des brigands gentilshommes », Alexandra David-Neel, Plon pocket

  6. Visites et intervieuws

monastère de Serxu (photo JPDes. 2005)
monastère de Serxu (photo JPDes. 2005)