Imprimer

Des temples bouddhistes saccagés avant la Révolution culturelle

par Jean-Paul Desimpelaere, le 10 juin 2010

« Moins de dix temples ou monastères restèrent debout après la Révolution Culturelle », prétendent aujourd’hui les dalaïstes, mais il s’agit là d’une vaste tromperie. Ils avancent des chiffres invraisemblables : « la culture tibétaine et la religion du Tibet ont été détruites à partir de 1955, dès avant la Révolution Culturelle. Des 6.259 monastères, il n’en restait que 6 en 1976. Des 592.538 moines et nonnes, 110.000 ont été torturés jusqu'à ce que mort s'en suive. »

 

Ce chiffre de « 592.538 religieux » voudrait signifier que la moitié de la population masculine portait la robe de moine, sachant que le nombre de nonnes était minime à cette époque. Tous les Occidentaux qui ont visité le Tibet avant 1959 contredisent cette affirmation et ont estimé le nombre de religieux à 25% de la population masculine, maximum. De plus, il n’y eut jamais de recensement organisé par le bouddhisme tibétain, ni des moines, ni du nombre de monastères. Or ces chiffres ont été repris en Occident sans le moindre esprit critique... pire : le dossier « Tibet » du Sénat Français mentionne que 6.259 monastères ont été détruits par les Chinois pendant la Révolution culturelle.

La Révolution culturelle n’a pourtant pas été le seul événement historique à avoir détruit des édifices religieux au Tibet. En fait, le Tibet a été en proie à des luttes intestines et à des invasions tout au long de son histoire. Il y a eu la lutte entre le Bön et le bouddhisme, les luttes entre les différentes écoles du bouddhisme, les invasions mongoles, les rébellions des monastères contre le pouvoir, les luttes entre partisans et adversaires de la Chine...

A chaque fois des monastères ont pâti de ces conflits ou ont été purement et simplement rasés. A vrai dire, beaucoup de monuments tibétains qui paraissent anciens ne le sont pas, ou ont été reconstruits au cours du temps. Les constructions tibétaines, réalisées à l’ancienne, paraissent rapidement vieilles et il est difficile de dater un bâtiment qui semble ancien et n’a été parfois construit que voici deux ou trois ans. En tous cas, la Révolution culturelle, si elle a causé certainement beaucoup de dégâts, au Tibet comme ailleurs en Chine, n'a pas été une nouveauté dans l’histoire agitée de cette région. Ci-dessous, je cite quelques exemples de monuments religieux qui n'ont pas été détruit pendant la Révolution culturelle, mais avant.

Une première série concerne le 20ème siècle. Le monastère de Sera fut bombardé en 1947 par l’armée tibétaine de l’actuel Dalaï lama. Des dizaines de moines (on parle de 200) ont été tués à cause d’une querelle à propos du régent. Un monastère important, celui de Ganden près de Lhassa, a été totalement détruit en 1959, lorsque 63 des 80 grands lamas et environ 3000 des 4000 moines de ce monastère se rallièrent à la résistance armée et organisèrent une attaque contre la maison communale et l’armée casernée à Shannan. Si le monastère de Samye, le premier grand monastère du Tibet (vieux de 1200 ans), fut en grande partie saccagé par les Gardes Rouges, par contre, le temple central est resté intact. Le monastère de Samye a récemment été entièrement restauré et rénové.

Quant à celui de Sakya, centre de l’école Sakya, dans l’Ouest du Tibet, il a été épargné par la Révolution Culturelle. Le complexe fut rénové en 1945 et, depuis, est resté inchangé. Fresques, mandalas, statues et stupas sont encore en leur état d'origine, ainsi qu’une collection de 50.000 livres en tibétain, traitant de politique, vie sociale, histoire, droit, religion, astrologie et médecine.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'au début du 20ème siècle, la plupart des monastères les plus importants furent anéantis dans le Sichuan et dans l’Ouest du Tibet par les Mandchous (dynastie des Qing). Les milieux dalaïstes considèrent en général les Mandchous comme un « peuple ami », car ils se sont convertis au lamaïsme tibétain. Les dalaïstes ont l'impression que de cette manière, ils renforcent l'idée, déjà bien répandue, que le Tibet ne fut annexé à la Chine qu’en 1951, et ce par les communistes.

Pourtant ce sont bien les Mandchous qui ont réduit la puissance politique des moines à la fin de leur règne, lorsque le vent républicain atteignit la Chine. Dans une tentative de modernisation généralisée de toute la Chine, ils allaient rapidement entrer en conflit avec les maîtres féodaux du Tibet et, surtout, avec l’élite cléricale. Le général Zhao Erfang n’y alla pas de main morte au Sichuan : il obligea les monastères à libérer une partie de leurs moines, il abaissa le quota maximum de moines par monastère, il freina l'entrée de novices, il abolit les taxes que les paysans devaient payer aux monastères et les remplaça par une petite donation. Certains monastères ont résisté évidemment, mais ceux-ci furent pris d'assaut par l'armée des Qing et totalement détruits.

C'est ce qui se passa entre 1905 et 1912 pour les grands monastères de Batang, de Chamdo, de Litang, de Dechen et de Drayab. Au cours des décennies suivantes, les régions téibétaines furent tétanisées par la rivalité entre les seigneurs de guerre, il ne fut pas question de restauration. Or ces monastères sont souvent cités comme ayant été détruit pendant la Révolution Culturelle, mais c’est comme si on comptait les victimes de la Première guerre mondiale avec celles de la Seconde.

En 1919, des temples ont étés détruits par les troupes de Ma Pufang, un seigneur de guerre local du Qinghai actuel. Ma Pufang s’interposa lors d'une lutte de pouvoir au sein du monastère de Labrang. Le palais du grand lama fut réduit en cendres. Le monastère voisin de Amtcho fut également complètement brûlé, et tous les moines tués, car ils avaient osé s’opposer à Ma Pufang.

Le monastère de Orgyen Mindroling est le plus grand monastère Nyingmapa existant encore. L'école des Nyingmapa est la plus ancienne école bouddhique du Tibet. Ce monastère se situe 100 km à l’Est de Lhassa, dans la vallée du Yarlung Tsangpo. Il fut complètement anéanti au 18ème siècle, lors de l’invasion des Dzoungares venus d’Asie Centrale. Il a été restauré et à nouveau détruit pendant la Révolution Culturelle.

Pourtant, beaucoup de statues antiques, de stupas et de sutras restèrent intacts. On peut à nouveau les voir dans la partie restaurée du monastère. Les moines de Mindroling, comme tous ceux de l'école des Nyingmapa, peuvent se marier. De ce fait, Mindroling a toujours appartenu à un clan familial. Depuis sa fondation en 1670 jusqu’au 20ème siècle, les supérieurs du monastère étaient les fils ou les neveux des prédécesseurs. L’actuel, le 12ème de la lignée, Minling Trichen, est né en 1931 et succéda à son père qui, lui, se réfugia en Inde dans les années 1950. L’actuel responsable du monastère s’appelle Jampel, il ne fait pas partie de la même lignée familiale.

Mindroling est le siège central des Nyingpama, et est aussi réputé pour la production d’encens qui est livré exclusivement à la cour du Potala. L’encens tibétain est composé d'herbe à camphre, de diverses plantes des hauts plateaux, de l’écorce d’orme, de cyprès et de bois de santal importé de l’Inde. Une légende raconte que Tsongkapa, fondateur du bouddhisme tibétain, répandit ses cheveux dans le monastère de Ganden à Lhassa, et que ceux-ci firent pousser l’herbe à camphre.

Puis il existe beaucoup de petits temples et lieux de culte auxquels la Révolution culturelle n'a pas touché. Par exemple, non loin de Dengqen, au Nord-est du Tibet, nous nous arrêtons dans un village. L’ancien petit temple du village appartient à l’école Nyingma.

Le moine qui nous a reçu était marié, il vivait de l'agriculture, comme les autres villageois. Dans le temple, on a découvert une ancienne bibliothèque, bien achalandée, et une rangée d'anciennes statues tantriques.

Un très ancien temple qui lui non plus n'a pas été touché par la Révolution culturelle, mais dont le toit s'effondre par véttusté, est celui de Zhoma Lhakhang. Il se situe dans l'ancien royaume de Gyirong. Aujourd'hui, il s'agit d'un canton à l’Est du célèbre mont Xixiabangma (8012m), à proximité de la frontière entre le Tibet et le Népal. Lorsque l’Empire tibétain des Tubo s'effondra au 9è siècle, une partie de la noblesse tibétaine a fui vers l’Est.

Un royaume fut créé là-bas, le royaume de Guge, situé dans la région du mont Kailash. Mais en cours de route, une partie des nobles s'installa à Gyirong. Comme le royaume de Guge, celui de Gyirong est aujourd’hui presqu’une ruine... sauf le temple de Zhoma Lhakhang qui protège encore de très belles sculptures en bois, datant probablement du 10ème ou 11ème siècle. Il est désaffecté mais l’Institut tibétain de Chengdu s’est invetsi dans sa restauration et a entrepris l'analyse des anciennes sculptures en bois.

Notes : les sources pour cet article viennent de

  1. « Tibet Handbook » de Gyurme Dorje

  2. Magazine « China’s Tibet », numéros de1990-2009

  3. « On the Cultural Revolution in Tibet » de Goldstein

  4. « Shelton pioneer in Tibet » de Wissing

  5. « Au pays des brigands gentilhommes », Alexandra David-Neel, Plon pocket

  6. Visites et intervieuws

petit temple des Nyingmapa près de Dengqen (photo JPDes. 2005)
petit temple des Nyingmapa près de Dengqen (photo JPDes. 2005)

statue tantrique et bibliothèque du petit temple (photo JPDes. 2005)
statue tantrique et bibliothèque du petit temple (photo JPDes. 2005)
statue tantrique et bibliothèque du petit temple (photo JPDes. 2005)
statue tantrique et bibliothèque du petit temple (photo JPDes. 2005)