Imprimer

Histoires de Dalaï-lamas et de Panchen-lamas

par Jean-Paul Desimpelaere, le 16 février 2008

Depuis ses débuts et encore maintenant, le guide spirituel suprême de l’école des Gelugpa (Bonnets Jaunes) est le supérieur du monastère de Ganden. Ce monastère a été construit au 15ème siècle par Tsongkapa, le fondateur de l'école des Gelugpa, devenue l'école dominante du bouddhisme tibétain. Le titre suprême de l'autorité religieuse des Gelugpa ne revient donc ni à la lignée des dalaï-lamas, ni à celle des panchen-lamas. Mais alors d'où viennent les dalaï et les panchen et qu'ont-ils respectivement comme influence ?

 

C'est en 1645 que Gushri Khan donna le titre religieux de « panchen-lama » au quatrième responsable du monastère de Tashilumpo à Xigaze. Ce dernier avait été le conseiller principal de Gushri Khan pour rétablir l’ordre au Tibet central lors des affrontements entre écoles bouddhistes des Kagyupa et des Gelugpa, le 5ème dalaï-lama étant encore trop jeune à ce moment-là. Pourtant, selon les partisans de l’indépendance du Tibet, c’est le 5ème dalaï-lama qui aurait donné le titre de « panchen lama » à ce responsable du monastère de Tashilumpo, mais ils sont incapables de préciser la date. D'après eux, le 5ème dalaï-lama aurait reconnu le responsable du monastère de Tashilumpo comme étant une réincarnation du bouddha Amitabha, le « bouddha de la lumière infinie » et « roi du pays pur de l’Ouest ». Historiquement, c’est crédible puisque le 5ème dalaï-lama a été éduqué par ce puissant lama.

En Occident, les panchen-lamas sont souvent décrits comme des « numéros deux » dans la hiérarchie du bouddhisme tibétain. Dans beaucoup de livres et d'articles, on ne mentionne même pas la lignée des panchen-lamas, sans doute parce que les deux derniers panchen étaient trop « pro-chinois ». Pourtant le bouddhisme tibétain leur accordait une grande importance.

Après la mort de Tsongkapa, le fondateur de l’école des Gelugpa, il n’y avait ni numéro 1, ni numéro 2. Tsongkapa lui-même ne s’est pas réincarné, mais il avait deux élèves importants et du même niveau qui sont devenus les initiateurs, l'un de la lignée des dalaï qui étaient responsable du monastère de Drepung à Lhassa, et l'autre de la lignée des panchen qui étaient responsable du monastère de Tashilumpo à Xigaze. Ce n'est qu'après le 5ème dalaï et le 4ème panchen qu'on leur a donné ce titre de dalaï et de panchen. Les premiers lamas de ces deux lignées ont donc été nommés « dalaï » et « panchen » de manière posthume.

D’un point de vue religieux, il n'y en avait pas un qui était supérieur à l'autre, mais à partir du 5ème dalaï-lama, il y eut effectivement un « numéro un » au niveau politique. Il ne s’agissait pas d’une hiérarchie spirituelle, mais de puissance politique et de pouvoirs régionaux. Les panchen-lamas dirigeaient la région de Xigaze (le Tsang), surtout pendant les périodes d'affaiblissement de Lhassa, tandis que les dalaï-lamas dirigeaient la région de Lhassa (le U), en essayant de temps en temps de prendre le pouvoir sur le Tsang.

Le premier panchen lama a été l’éducateur du premier dalaï-lama et en même temps l’abbé du monastère le plus important de Lhassa, Ganden, ce qui signifiait qu’il était le guide spirituel de l’école gelugpa.

Le 4ème panchen-lama, qui a été le précepteur du 5ème dalaï-lama, a atteint l’âge honorable de 92 ans. Plus tard, d’autres panchen ont aussi vécu fort âgés, d’où un nombre moins élevé de panchen que de dalaï-lamas (11 contre 14). Mais il faut dire que quelques dalaï-lamas ont été aidés à mourir jeunes ! Le 5ème panchen-lama qui a eu le 5ème dalaï-lama comme précepteur, a lui-même été le précepteur des 6ème et 7ème dalaï-lamas. En 1774, le 6ème panchen-lama protesta contre l’annexion du Bhoutan par les Anglais. Le 7ème panchen fut le précepteur des 9ème, 10ème et 11ème dalaï-lama. L’empereur des Qing lui demanda de devenir régent du Tibet pendant l'enfance de ces trois dalaï-lamas, mais il refusa et laissa ce poste au responsable du monastère Reting à Lhassa. La raison en était claire : les familles de la noblesse tibétaine et les grands monastères étaient presque tous situés dans la région de Lhassa. Guider ce « nid » de loin et, qui plus est, à partir d'une région rivale, n’avait pas de sens.

Les deux derniers panchen-lamas sont entrés en conflits avec les dalaï-lamas. Au début du 20ème siècle, le 9ème panchen, qui eut le 13ème dalaï comme précepteur, s’opposa à l’influence anglaise ; il devint même membre du parlement républicain chinois. Suite à cela, le 13ème dalaï-lama, qui avait choisit le camp de l’Angleterre, s’empara de force des possessions du 9ème panchen-lama, à Xigaze.

Puis, en 1959, lorsque le 14ème dalaï-lama s’enfuit en Inde, il ne put emmener le 10ème panchen-lama avec lui. Dès lors, le 10ème panchen resta au Tibet et mourut à l'âge de 50 ans. Le 14ème dalaï-lama et les autorités chinoises se sont disputés au sujet de la succession du 10ème panchen-lama. Pendant qu'au Tibet, le haut clergé était occupé à rassembler quelques candidats à la réincarnation selon la tradition du bouddhisme tibétain, le 14ème dalaï-lama depuis son exil, aidé par un lama de Xigaze, mit soudainement et tardivement, un enfant sur le devant de la scène. Depuis lors, il y a deux 11ème panchen-lamas en circulation : celui du Tibet et celui du dalaï.

Monastère de Ganden (photo JPDes. 2005)
Monastère de Ganden (photo JPDes. 2005)