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Face au terrorisme ouïghour, le « deux poids, deux mesures » habituel de l’Occident à l’égard de la Chine

par Albert Ettinger, le 9 janvier 2020

Notre article sur la décision de l’ULB (Université Libre de Bruxelles) d’arrêter sa collaboration avec l’Institut Confucius nous a valu une réaction de la part d’un lecteur courroucé. Dans son courriel, il s’est fait l’écho de tous les griefs contre la Chine que nos médias atlantistes répètent à l’infini et qui culminent dans le reproche fait au gouvernement communiste de viser l’« annihilation (culturelle si possible, physique si il le faut) » des Ouighours au Xinjiang comme celle des Tibétains au Tibet.

J’y ai répondu en m’adressant personnellement à ce Monsieur M. qui, manifestement, ne porte pas la Chine dans son cœur. Voici la seconde partie de ma lettre.

 

Un « bon » terrorisme qu’on évite d’appeler « terrorisme »

Au moins, Monsieur M., perdez-vous quelques mots pour parler de « séparatisme » et d’« action violente » au Xinjiang, mais vous les justifiez aussitôt en affirmant que les Ouighours sont les victimes du « colonialisme » chinois. Et vous refusez d’appeler un chat un chat, en évitant soigneusement les mots de terrorisme ou de djihadisme.

« Aucun journaliste sérieux ne nie que des attaques se sont produites ».

Tant mieux. Mais aucun journaliste occidental qui tient à sa carrière n’ose insister sur leur grand nombre et leur extrême brutalité, et on évite manifestement aux pires assassins le qualificatif de « terroriste ». Dans cette vidéo, un journaliste chinois explique admirablement bien, preuves à l’appui, la manière de voir et de rapporter les faits des grands médias occidentaux : https://www.youtube.com/watch?v=U3YBomwuB10

Elle est d’autant plus intéressante qu’elle parle du fait, pratiquement jamais mentionné dans nos médias, qu’une majorité de pays, parmi lesquels un grand nombre de pays musulmans, a refusé de se joindre à l’actuelle campagne de dénigrement de la Chine et de sa politique au Xinjiang orchestrée depuis Washington.

Dans les pays occidentaux touchés par le terrorisme islamiste, des mesures exceptionnelles ont été prises pour lutter (ou faire semblant de lutter) contre ce fléau. Après le 9/11, les É.-U. ont adopté le Patriot Act que beaucoup considèrent comme liberticide. La France a déclaré temporairement l’état d’urgence et permis des raids et des perquisitions nocturnes, etc. Si les mesures prises par la Chine vont plus loin, c’est que le djihadisme a fait beaucoup plus de ravages au Xinjiang qu’en France, en Belgique ou en Grande-Bretagne.

 

Bref historique des attentats terroristes et de la violence ouïghoure au Xinjiang

Le terrorisme ouïghour que vous refusez d’appeler par son nom a ses origines dans les années 1980. Un journaliste allemand (Jörg Kronauer dans le quotidien Junge Welt)) vient d’en rappeler, il y a quelques semaines, la genèse et les points culminants, dans un article d’où je tire quelques passages traduits en français :

« Il y a près de deux ans, un général afghan à la retraite a déclaré à l'agence de presse Fergana que, jusqu'au temps du régime taliban, on pouvait voir de nombreux Ouïghours parmi les miliciens étrangers qui étaient accueillis en Afghanistan ; ils avaient reçu un entraînement au combat dans les camps d'Al-Qaïda. Les liens avec l'Afghanistan montrent clairement pourquoi l' ‘incident de Baren’, survenu début avril 1990, a alarmé les autorités chinoises. » Ce jour-là, des centaines d’Ouïghours sont descendus dans les rues de cette ville au sud de Kashgar, non loin de la frontière afghane. « Selon des sources chinoises, ils étaient armés et encouragés par les islamistes revenant d'Afghanistan qui, dans l'allégresse de la victoire sur l'armée soviétique, appelaient maintenant au djihad contre la République populaire. Plus de 20 personnes sont mortes lors des affrontements. »

Le quotidien allemand continue en relatant la « chaîne de la violence » qui suit ces premiers méfaits :

« Tout au long des années 1990, le Xinjiang a été le théâtre de violents troubles et d'attaques répétées. (… ) Le 5 février 1992, par exemple, deux bombes ont explosé dans des autobus à Ürümqi ; trois personnes sont mortes et plus de 20 ont été blessées. D'autres attentats à la bombe ont suivi jusqu'à l'automne 1993. Ils ont frappé des entreprises chinoises Han, des centres commerciaux, des marchés et des hôtels de diverses villes de la région. La vague d'attentats suivante a eu lieu en 1996 et 1997. En février 1997, de violents affrontements se sont intensifiés à Yining, une grande ville du nord-ouest du Xinjiang ; les Ouïghours ont mis le feu à des voitures, détruit des infrastructures, attaqué non seulement la police mais aussi des civils chinois Han - et il y a eu encore des morts. Le 27 février 1997, trois bombes ont explosé dans des autobus à Ürümqi, tuant neuf personnes et en blessant environ 70, dont certaines gravement. En 1998, des Ouïghours ont mené des attaques à la bombe contre des usines et un pipeline à l'extrême sud-ouest du Xinjiang ; ils ont également fait exploser des bureaux et des maisons de fonctionnaires chinois. Selon une étude publiée par les autorités chinoises en janvier 2002, au moins 162 personnes ont été tuées et 440 blessées par des terroristes ouïghours au cours de la seule période de 1990 à 2001. »

« Bien que la terreur ouïghoure n'ait pas disparu dans les années 2000, elle s'est d'abord quelque peu atténuée grâce aux contre-mesures chinoises, jusqu'à ce qu'elle reprenne vers la fin de la première décennie du nouveau millénaire, peut-être même plus violemment qu'auparavant. Le 5 juillet 2009, dans Ürümqi, la capitale du Xinjiang et une métropole de plus de trois millions d'habitants, a eu lieu le pire pogrom de la région depuis la fondation de la République populaire en 1949. Au moins un millier, peut-être même plusieurs milliers d'Ouïghours ont attaqué d'abord des policiers, puis sans discernement des civils chinois Han, les ont battus à coups de bâton, se sont bientôt mis à poignarder des gens pris de court avec de longs couteaux, leur ont tranché la gorge et ont marché dans la ville en pillant et en assassinant. Quand ils ont mis fin à l'orgie de sang, 134 Chinois Han gisaient morts sur le sol, 63 autres personnes étaient mortes. Les fauteurs de trouble ouïghours avaient mis le feu à plus de 250 véhicules, détruit plus de 200 magasins appartenant à des Chinois Han et attaqué au moins 14 immeubles résidentiels. Certains rapports ont fait état de dommages matériels beaucoup plus graves. Sans la protection des citoyens chinois Han par de nombreux Ouïgours non nationalistes, il y aurait probablement eu beaucoup plus de victimes. »

L’article ajoute qu’il « est probable que les forces de la diaspora ouïghoure ont également joué un rôle dans le pogrom d'Ürümqi » et donne un aperçu des principaux groupes et personnages de l’exil ouïghoure avant de continuer le récit de la violence terroriste au Xinjiang :

 

Cet attentat à la bombe sur un marché d’Ürümqi en mai 2014 a causé la mort de 34 personnes. Voir aussi la vidéo sur https://www.wsj.com/articles/explosion-hits-capital-of-chinas-xinjiang-region-state-news-agency-says-1400722279
Cet attentat à la bombe sur un marché d’Ürümqi en mai 2014 a causé la mort de 34 personnes. Voir aussi la vidéo sur https://www.wsj.com/articles/explosion-hits-capital-of-chinas-xinjiang-region-state-news-agency-says-1400722279

 

« Dans les années qui ont suivi le pogrom d'Ürümqi, le nombre d'attentats commis par des terroristes ouïghours a continué d'augmenter. Selon la Global Terrorism Database, qui est tenue par l'Université du Maryland près de Washington, le nombre d'attentats a considérablement augmenté, surtout à partir de 2011. Fin juillet 2011, par exemple, deux djihadistes ouïghours ont détourné un camion à Kashgar, assassiné le conducteur, percuté le véhicule dans une foule de personnes, sauté hors de la voiture et poignardé les spectateurs choqués avec des couteaux. Le lendemain, des Ouïghours armés, également à Kashgar, ont attaqué avec des explosifs et d'autres armes un restaurant principalement fréquenté par des Chinois Han. Au total, 22 personnes sont mortes dans les attaques. Le 28 février 2012, plusieurs Ouïghours ont attaqué des personnes au moyen de couteaux et de hachettes sur un marché près de la petite ville de Yecheng, non loin de la frontière avec l'Afghanistan ; 13 civils - presque tous des Chinois Han - ont perdu la vie. Le 28 octobre 2013, trois Ouïghours ont conduit un SUV dans une foule sur la place Tiananmen au centre de Pékin ; la voiture a explosé, tuant deux passants et en blessant 38 autres en plus des assassins. Puis, le 1er mars 2014, huit djihadistes ouïghours ont massacré 31 personnes à la gare de Kunming. L’expert en terrorisme Rohan Gunaratna de l'Université technologique de Nanyang à Singapour, au vu des développements au Xinjiang, a déclaré : ‘ J'estime qu'il y a eu au moins 200 attaques au cours des 12 derniers mois, peut-être même plus. ‘ »

Le massacre de Kunming a marqué un tournant dans la lutte du gouvernement chinois contre le terrorisme ouïghour. Mais les terroristes ont continué de « commettre une série de meurtres terribles dans les mois et les années qui ont suivi - le 28 juillet 2014, par exemple, des Ouïghours armés de couteaux et de haches ont tué 37 civils lors d'un raid sur les bâtiments du gouvernement et de la police dans le comté de Yarkant, au sud-ouest de Kashgar », et « 50 travailleurs chinois Han sont morts dans une attaque ouïghoure contre une mine de charbon près d'Aksu le 18 septembre. »

Voilà ce qui a provoqué les réactions gouvernementales, en particulier les mesures d’éducation, de rééducation et de « déradicalisation » - donc ce que le monde politique et médiatique occidental appelle des « camps de rééducation » au Xinjiang.

 

L’Occident vilipende la Chine, alors qu’il reste lui-même complètement désemparé face au fléau de l’islamisme radical et du djihadisme

Vous avez raison de constater qu’il « y a aujourd’hui quelques milliers de membres des minorités turciques » qui « ont rejoint des groupes islamistes en Syrie ou en Irak avec le risque d’importer ces conflits au Xinjiang. » Je ne doute pas que le gouvernement chinois soit conscient du danger qu’ils constituent. C’est justement pour cette raison qu’il a pris des mesures drastiques et sur grande échelle qui visent à éradiquer l’islamisme, le fondamentalisme et le séparatisme ethnico-religieux au Xinjiang. Ces mesures, expliquent les autorités chinoises, ne se limitent nullement à la répression policière, mais comportent surtout d’importantes mesures dans les domaines de l’éducation et de la formation professionnelle. Est-ce qu’il a pu y avoir des abus, des exagérations et des dysfonctionnements dans le cadre de ce vaste programme de lutte contre le terrorisme ? Ce n’est pas exclu, c’est même probable. Mais quel est le modèle que proposent les Américains et les Européens ? Est-ce qu’ils disposent d’une meilleure méthode, infaillible, efficace et en même temps respectueuse des droits de l’homme (cf. Guantánamo) qui permet d’éradiquer durablement le terrorisme islamiste ? Poser la question, c’est y répondre.

 

Des familles de combattants de l’État Islamique (Daech) faits prisonniers par les Forces Démocratiques Syriennes en Syrie de l’est (8 mars 2019). Source : https://www.voanews.com/a/more-is-wives-flee-syria-s-baghuz/4821141.html ; Wikimedia commons)
Des familles de combattants de l’État Islamique (Daech) faits prisonniers par les Forces Démocratiques Syriennes en Syrie de l’est (8 mars 2019). Source : https://www.voanews.com/a/more-is-wives-flee-syria-s-baghuz/4821141.html ; Wikimedia commons)


Il y a (aussi) des centaines, sinon des milliers de djihadistes européens dans des camps de prisonniers en Syrie et en Iraq. Les gouvernements français, allemand, belge, anglais etc., invités à prendre leurs responsabilités et à faire ramener leurs djihadistes nationaux dans leur pays respectif pour les juger, rechignent depuis des mois à le faire. Ils semblent complètement désemparés et refusent de laisser retourner même les enfants en bas âge et leurs mères. C’est tellement plus simple de les laisser pourrir, femmes et enfants compris, dans des camps sous responsabilité kurde, irakienne ou syrienne, tout en continuant néanmoins de feindre un engagement « humanitaire » irréprochable.

Non seulement l’Occident n’a-t-il pas d’alternative crédible à proposer pour faire face à l’islam politique et au djihadisme ; en maintes occasions, il s’est rendu complice des agissements d’islamistes radicaux, en Afghanistan avec Osama Bin Laden, en Libye avec le djihadiste Abu Sufian bin Qumu libéré de Guantánamo pour aider à renverser Mouammar Kadhafi (1), en Syrie avec les coupeurs de têtes du Front Al-Nosra/ Fatah al-Cham, la branche syrienne d’Al-Qaïda. (2) La connivence des « démocraties occidentales » avec les islamistes radicaux du Xinjiang ne surprend donc plus personne.

Notes :

1) https://www.recordedfuture.com/abu-sufian-bin-qumu-a-familiar-fighter/

« In April 2011, the New York Times reported that bin Qumu had been fighting to overthrow Qaddafi, ostensibly with American support. A little over a year later, in a June 2012 profile, the paper describes his leadership of a militia in eastern Libya as an alternative vision for the country. »

2) Voir, p. ex. : « Un commandant du Front Al-Nosra : “Les USA sont de notre côté et nous arment via des pays tiers”, article du 27 septembre 2016 sur https://arretsurinfo.ch/un-commandant-du-front-al-nosra-les-usa-sont-de-notre-cote-et-nous-arment-via-des-pays-tiers/