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Pas si simple, la question tibétaine

par André Lacroix, le 30 août 2013

auteur de la traduction
Mon combat pour un Tibet moderne.
Récit de vie de Tashi Tsering, éd. Golias, 2010

Sans prétendre faire le tour de la question tibétaine, les quelques réflexions qui suivent tentent de déconstruire un certain nombre de préjugés très répandus.  Ces réflexions ne demandent qu’à être critiquées, nuancées, prolongées.

 

Le Tibet était-il indépendant avant d’avoir été annexé par la Chine ?

 

Même si l’histoire n’est pas une science exacte et si Tzetan Todorov nous a appris à nous méfier des « abus de la mémoire », il n’est pas inutile de jeter un coup d’œil en arrière.  Le Tibet a-t-il été indépendant ?  Oui, mais c'était entre 622 et 842 sous la dynastie des Tubo.  Puis, après des siècles plutôt chaotiques, le Tibet n'a plus jamais cessé de faire partie de l'empire chinois, avec des liens plus ou moins étroits selon les époques, que ce soit sous la dynastie mongole des Yuan (1277-1368), de la dynastie Han des Ming (1368-1644) ou de la dynastie mandchoue des Qing (1644-1911).

 

Plus récemment, il est vrai, entre 1911 et 1950, le Tibet a encore connu une période qu'on pourrait qualifier d'indépendance de fait, mais qui n'a jamais été reconnue en droit par aucun pays, pas même les États-Unis, comme  en atteste notamment le télégramme que Roosevelt a adressé au Guomindang en 1943 : « I then said [to Churchill] that Tibet had been part of China since imperial times and it is now part of the Republic of China, which had nothing to do with Britain » (publié par la Stanford University, 2009).  

C'est que la Grande-Bretagne, en partant des Indes, avait réussi, au début du 20e siècle, à établir un protectorat sur le Tibet et ainsi à en desserrer les liens avec la Chine.  La jeune république de Chine, née en 1911, était alors bien incapable de faire respecter ses droits sur sa province tibétaine, car elle était malmenée par les seigneurs de la guerre, puis déchirée entre les communistes et les nationalistes, et en 1937 soumise à l'agression japonaise.  Il n'empêche que, pour Sun Yat-Sen, le premier Président de la République de Chine non communiste, la question tibétaine ne se posait même pas. 

En simplifiant quelque peu (!) la complexité ethnique de cet immense pays, il affirmait que la Chine, comme les cinq doigts de la main, était composée de Han, de Mongols, de Mandchous, de Ouïgours et de Tibétains.  Malgré les convulsions qui l’affaiblissaient, la Chine de la première moitié du 20e siècle n’a jamais cessé de considérer le Tibet comme faisant partie de son territoire : peu de temps avant la prise de pouvoir par Mao, l’ambassadeur de la Chine nationaliste exigeait encore, en mars 1947, que les drapeaux tibétains soient retirés de la salle de conférence de New Delhi sur les pays asiatiques. 

Tous les traités internationaux d’avant 1950 stipulent que le Tibet fait partie de la Chine. 

Il est donc historiquement plus que contestable d'affirmer que la Chine, devenue communiste, a annexé le Tibet : elle a seulement récupéré une partie de son territoire séculaire.  Je me risque à faire remarquer que certains partisans américains du « Free Tibet » ne manquent pas d’air lorsqu’ils accusent la Chine d’avoir en 1950 annexé le Tibet (soit 1.220.000 km2), alors que les États-Unis, un siècle plus tôt, à l’issue de la guerre américano-mexicaine de 1846-1848, ont pris au Mexique plus de la moitié de son territoire, soit environ … 2.400.000 km2.

 

Le Tibet d’avant 1950 était-il « le pays le plus heureux qui soit », comme l’écrit le dalaï-lama ?

 

C’était sûrement vrai pour les aristocrates et les moines de rang élevé.  Mais pour l’immense majorité de la population, il en allait tout autrement.  Quelques chiffres :

* espérance de vie : 36 ans en 1950 ; 66 ans aujourd’hui ;

* mortalité infantile : 5% en 1950 ; 1% aujourd’hui ;

* analphabétisme : 90% en 1950 ; 40% aujourd’hui (c’est encore trop, certes, mais on n’efface pas en soixante ans un millénaire au moins d’obscurantisme) ;

* centres de santé ouverts au public : 3 en 1950 (en dehors de monastères...payants) ; aujourd’hui plus de 1000 hôpitaux et dispensaires...

* niveau de vie en croissance constante en RAT (Région autonome du Tibet), grâce notamment à une subvention annuelle de la part de Pékin de quelque 4 milliards d’euros.

 

L’Ancien Régime était encore caractérisé par le servage au service des nobles et des moines qui pouvaient utiliser de jeunes garçons comme partenaires sexuels (voir Mon combat pour un Tibet moderne, p. 37 et suivantes) ; les paysans étaient astreints aux corvées ; ils pouvaient être vendus comme du bétail ; les esclaves fugitifs pouvaient subir l’arrachage des yeux, la section des tendons, l’amputation de bras ou de jambes.

 

Le dalaï-lama a-t-il été contraint à l’exil en 1959 et son mouvement d’opposition a-t-il été pacifique ?

 

C’est ce que pense l’immense majorité des Occidentaux.  Mais maintenant que les archives (anglaises et américaines) sont largement disponibles, on ne peut plus accorder foi à ces fables.  Ce qui s’est effectivement passé, c’est que, le 17 mars 1959, le dalaï-lama a pris la fuite, sous la protection de la CIA qui lui a parachuté provisions et argent tout en mitraillant les positions chinoises (voir, notamment, T. D. Allman, A Myth foisted on the western worldin Nation Review, January 1974).

 

Et cette fuite avait été soigneusement programmée.  Dès 1950, les dignitaires tibétains avaient eu soin de planquer l’immense trésor du Potala dans les caves du maharadja du Sikkim (cf. Mon combat pour un Tibet moderne. Récit de vie de Tashi Tsering, p. 72-73).  

 

En 1951, l’ambassadeur des États-Unis à Delhi avait écrit au jeune dalaï-lama : partez du Tibet, nous vous donnerons de l’argent pour vous et 100 personnes de votre suite et nous soutiendrons une résistance armée (Melvyn Goldstein, A History of Medern Tibet, Volume II, 1951-1956, pages 231-232).   

 

De 1959 à 1964, des résistants tibétains ont été secrètement entraînés au Camp Hale (dans le Colorado).  Même si les opérations militaires auxquelles ils se sont livrés n’ont pas eu le succès escompté, le 14e dalaï-lama en attendait beaucoup, comme en témoigne la photo ci-dessous :

[Le dalaï-lama, inspectant les “forces tibétaines” en Inde, en 1972. La SFF (Special Frontier Force) est une unité paramilitaire indienne, composée principalement de réfugiés tibétains].

On sait aujourd’hui que les commandos tibétains, auteurs de quelques raids et de quelques sabotages, n’ont pas été très efficaces dans leurs tentatives de reconquête du territoire.   Pour qu’une telle opération réussisse, il manquait deux conditions sine qua non : l’appui des populations tibétaines au Tibet même et l’appui des puissances occidentales.  Or, malgré les erreurs dramatiques de Pékin dans la gestion des régions tibétaines (persécution de moines, famines, etc.), la majorité des Tibétains n’avait aucune envie de restaurer l’ancien régime théocratique. 

 

Quant aux grandes puissances occidentales (qui n’ont jamais reconnu l’indépendance du Tibet proclamée par le 13e dalaï-lama), elles ont compris – États-Unis en tête – que, plutôt que de soutenir une invasion du Tibet vouée à l’échec, il était plus rentable pour elles, et spécialement pour les Etats-Unis, de transformer la question tibétaine en abcès de fixation sur les flancs du colosse chinois, d’abord dans le contexte de la guerre froide et ensuite, dans le contexte d’une guerre commerciale et géostratégique, en privilégiant l’aide financière par rapport au soutien militaire.

 

Avec l’ouverture des archives, plus personne ne peut ignorer les sommes énormes que la CIA a versées pendant quinze ans au dalaï-lama et à sa suite ; à partir de 1974, la relève a été assurée avec une même générosité par le NED (National Endowment for Democracy), une ONG états-unienne dont le budget est alimenté par le Congrès (voir notamment l’article de Michael Barker Democratic Imperialism : Tibet, China and the NED, mis en ligne le 13/08/2007 sur le site canadien « Global Research ») .

Il faut savoir, par ailleurs, que l’acceptation sur le sol indien de milliers de réfugiés tibétains a fait l’objet d’un marchandage sordide conclu entre Eisenhower et Nehru : l’Inde acceptait sur son sol le dalaï-lama et sa suite ; en contrepartie, les États-Unis octroyaient à 400 ingénieurs indiens une bourse d’études afin qu’ils s’initient à la technologie nucléaire aux États-Unis (d’après William Corson, major américain, responsable des négociations de l’époque, Press Trust of India, 10/08/1999). 

 

En 1974, la première bombe atomique indienne reçut le surnom cynique de Smiling Buddha (Bouddha souriant) (d’après Raj Ramanna, ancien directeur du programme nucléaire de l’Inde, 10/10/1997, Press Trust of India).   Le Comité Nobel norvégien ne pouvait ignorer ces faits : cela ne l’a pas empêché en 1989 d’octroyer le prix Nobel de la Paix au 14e dalaï-lama, lequel s’est empressé dix ans plus tard de plaider (avec Margaret Thatcher et Jean-Paul II) pour la libération de Pinochet et d’approuver en 2003 l’invasion de l’Irak par son ami George W. Bush…

 

Le peuple tibétain a-t-il subi un « génocide physique » ?

 

Selon le crédo des indépendantistes tibétains,  l’ « invasion chinoise » aurait provoqué la mort d’1 200 000 Tibétains.   Même si, comme ce fut le cas lors de la Révolution française, le renversement de l’Ancien Régime tibétain ne s’est pas fait sans effusion de sang, ce chiffre d’1 200 000 victimes, apparu pour la première fois en 1984 et ressassé depuis usque ad nauseam, est complètement aberrant.   

 

En effet, il n’y a eu quasiment pas de morts lors de la ré-annexion du Tibet dans les années 1950 ; par contre, lors de la rébellion de 1959, il y en a eu des milliers selon diverses sources (ex-rebelles, ex-officiers de la CIA) et encore quelques milliers durant la Révolution culturelle (1966-1976) qui a vu s’affronter deux factions (d’après Melvyn Goldstein, On the Cultural Revolution in Tibet, 2009).   

 

À ce tableau, il faut ajouter ceux qui sont morts de faim, sans distinction d’ethnie, au Qinghai et au Sichuan du fait des conséquences désastreuses du « Grand Bond en avant » (1958-1960) ; des études sérieuses estiment, par exemple, à plusieurs dizaines de milliers le nombre de décès dus à la famine au Qinghai, mais le Tibet proprement dit a échappé à ce fléau.

 

La population tibétaine globale, estimée à quelque 2 500 000 dans les années 50 avoisine aujourd’hui les 6 000 000 : comment cet accroissement spectaculaire aurait-il pu avoir lieu si le prétendu génocide avait eu lieu ?  Cela prouve à suffisance que nous sommes en présence d’une formidable mystification.  

 

En 1999, le journaliste Patrick French est allé sur place à Dharamsala pour enquêter sur les allégations des indépendantistes tibétains ; il y a constaté que leurs chiffres avaient été systématiquement manipulés, ce qui l’a décidé à démissionner de la présidence de Free Tibet (Voir P. French, Tibet, Tibet: A Personal History of a Lost Land, 2003, traduit en français : Tibet, Tibet Une histoire personnelle d'un pays perdu, Albin Michel, 2005).

 

Le politologue Barry Sautman a lui aussi démontré que ces chiffres avaient été inventés de toutes pièces : selon les autorités tibétaines en exil, il y aurait eu très précisément : 156 758 personnes exécutées,  432 067 tombées sur le champ de bataille, 413 151 mortes de faim, 92 931 décédées sous la torture, 174 138 dans les camps et, le comble, très exactement 9 002 suicides (Chiffres fournis par le « gouvernement tibétain en exil » et repris par B. Sautman dans « Demographic Annihilation  and Tibet  in Contemporary Tibet, p. 237). 

Outre que les Tibétains n’avaient pas l’habitude de recenser les nouveau-nés ni de compter les morts, on mesure le caractère entièrement fictif de ces curieuses précisions quand on sait que le Tibet était alors sous surveillance chinoise et que les chiffres émanent du « gouvernement tibétain en exil ». 

Si besoin en était encore, la pyramide des âges confirme qu’il n’y a jamais eu de génocide au Tibet : on n’y constate aucun « trou » significatif, mais seulement une stagnation correspondant aux années de disette (au début des années 60) et un tassement dans la tranche de … 0 à 4 ans, comme cela se passe dans beaucoup de pays… avancés.

 

Le peuple tibétain est-il victime d’un « génocide démographique » ?

 

Pressentant sans doute que les accusations de génocide physique ne résistent pas à l’analyse, le dalaï-lama a recours à un autre grief : le Tibet serait envahi par un nombre tel de « colons » chinois que les Tibétains deviendraient minoritaires sur leurs terres.   

En septembre 1987, il a déclaré à une commission du Congrès américain : « 7,5 millions de colons chinois se sont déjà installés au Tibet, ce qui est plus que le nombre de Tibétains. Ils doivent partir » (voir son site personnel : www.dalailama.com).  En juin 1988, il s’exprime en ces termes devant le Parlement européen : « le gouvernement chinois incite une immigration massive de la population vers le Tibet.  Les 6 millions de Tibétains sont déjà en minorité » ; ce qu’il répétera à la télévision allemande ARD, le 15 juin 1999.   

Ces chiffres ne reposent sur aucune base sérieuse.  Qu’à cela ne tienne : ils sont repris à l’unanimité dans une résolution contre la Chine au Parlement belge en juin 1996 et confirmés en 2008.  Qu’à cela ne tienne : la même année, le Directeur du Monde des Religions en personne, Frédéric Lenoir, va jusqu’à écrire : « Aujourd’hui, contrairement au Tibet, les Ouïgours restent encore légèrement majoritaires (45% contre 41% de colons Han) » (TIBET, le moment de vérité, Plon, 2008, p. 118).  

Ainsi donc, selon cet écrivain à la mode,  les Han seraient aujourd’hui majoritaires au Tibet !? 

 

La réalité est … légèrement différente : sur les 16 000 000 d’habitants du « Grand Tibet », c.-à-d. la Région autonome du Tibet (RAT) + les régions limitrophes à forte minorité tibétaine, on compte, en gros, 4 000 000 de Han pour 6 000 000 de Tibétains, auxquels il convient d’ajouter d’autres ethnies autochtones comme les Hui (2 000 000), les Yi (2 000 000) et 2 000 000 d’autres (Mongols, Lisu, Naxi, Nu, etc.)   « Actuellement, prétend Frédéric Lenoir, les Tibétains sont devenus largement minoritaires dans le Kham et en Amdo, et ils sont, semble-t-il, en passe de le devenir dans la Région autonome du Tibet » (idem, p. 104).

 

Comment peut-on proférer de telles contre-vérités ?  S’il est vrai qu’à Lhassa-Ville, il y a environ 45% de Han, 45% de Tibétains et 10% d’autres (Hui, Monba, etc.), dans la préfecture de Lhassa (grande comme la Belgique), on ne compte déjà plus que 20% de Han, 75% de Tibétains et 5% d’autres.   Dans l’ensemble de la RAT, il n’y a plus que 7% de Han contre 90% de Tibétains et 3% d’autres.  Quant au reste du « Grand Tibet » (hors RAT), il convient de noter que les 3 000 000 de Tibétains y seraient minoritaires, même s’il n’y avait aucun Han dans les parages, ce qui, entre parenthèses, suffit à démontrer l’outrecuidance de la revendication politique de créer un État qualifié de « Grand Tibet » ou de « Tibet historique ». 

 

Si jamais par impossible s’installait un jour dans ce vaste territoire (1/4 de la Chine) une république tibétaine indépendante bouddhiste, régie par le dharma  (comme le prévoit la « constitution » adoptée à Dharamasala), c’en serait probablement fini de la coexistence harmonieuse actuelle avec les Hui musulmans au nombre d’environ 2 millions. 

Les mosquées établies à Lhassa (il y en a deux grandes : la rose et la verte) devraient probablement fermer leur porte et le sort réservé aux Hui serait sans doute aussi misérable que celui des Tamouls au Sri Lanka, des hindous au Bhoutan ou des Rohingyas en Birmanie, victimes du rejet raciste par les bouddhistes dominants. Ce qui permet à toutes les minorités (Tibétains, Han, Hui, Yi, Mongols, Lisu, Naxi, Nu, etc.) vivant dans le « Grand Tibet » d’échapper aux dérives racistes, basées ou non sur la religion, c’est qu’elles font partie de la république laïque chinoise, qui considère que tous ses habitants sont des citoyens chinois.

 

Bien sûr, la cohabitation de peuples divers avec leur culture propre  peut engendrer des tensions, en Chine comme dans tous les États multiethniques du monde.  Mais, dans l’ensemble, la Chine s’en sort plutôt bien dans la gestion de cet immense patchwork où l’on recense 55 minorités ethniques reconnues, en plus des Han très largement majoritaires.  Plus particulièrement, même s’il subsiste des sujets de discorde (voir plus loin), la coexistence entre Han et Tibétains est beaucoup moins problématique qu’on essaie de le faire croire à l’étranger.  En août 2009, je me trouvais à Xiahe (province du Gansu) où la garnison de soldats chinois avait été renforcée à la suite des émeutes de 2008 ; le soir, sur la place publique, des Tibétains, jeunes et moins jeunes, dansaient ; passent trois jeunes soldats chinois : les danseurs les invitent à se joindre à la ronde, ce qu’ils font bien sûr le plus naturellement du monde.  

 

En décembre 2012, j’ai eu le plaisir de visiter, à une cinquantaine de kilomètres de Shigatse (la deuxième ville de la RAT), l’école professionnelle d’Emagang fondée dix ans plus tôt par Tashi Tsering ; j’ai pu constater que, parmi les 32 professeurs, il y avait 29 Tibétains (dont 8 femmes) et 3 Chinois – l’un d’entre eux y avait construit une énorme serre, au fonctionnement géré électroniquement.   J’ai aussi appris que les 230 élèves inscrits (tous internes) étaient heureux d’y suivre, outre les cours pratiques, des cours de tibétain écrit et de chinois élémentaire.

 

Ceux qui dans nos pays défendent à juste titre les mérites du dialogue interculturel et de la mixité sociale devraient comprendre que cela vaut aussi pour les relations entre Han et Tibétains, et faire preuve d’un peu d’esprit critique face aux prétentions du « gouvernement tibétain en exil » dont le « premier ministre » de 2001 à 2011, à savoir Samdhong Rinpoché, s’insurgeant contre les mariages mixtes entre Tibétains et non-Tibétains, n’a pas hésité à déclarer : « un des défis pour notre nation est de garder pure la race tibétaine » (interview au South China Morning Post, le 30 août 2003)…  Comment se fait-il que cette déclaration « ethniciste », pour ne pas dire raciste, n’ait fait l’objet d’aucune condamnation en Occident ?

 

Le peuple tibétain est-il victime d’un « génocide culturel » ?

 

Si les accusations de « génocide physique » et de « génocide démographique » ne résistent pas à une analyse sérieuse, reste l’accusation de « génocide culturel »  –  que le dalaï-lama ne cesse de répéter en boucle partout dans le monde.  Mais qu’en est-il au juste ?

 

Bien sûr, la Révolution culturelle a provoqué au Tibet des dégâts considérables : personne ne peut nier ce fait regrettable.   Mais il faut remarquer tout d’abord que beaucoup de monastères censés avoir été détruits par la Révolution culturelle étaient déjà en ruine.  Par exemple, la démolition du monastère de Gyantse date de 1904 : elle a été l’œuvre du Colonel Yonghusband.  Autre exemple : le monastère de Tengyeling a été complètement rasé en 1914 par le 13e dalaï-lama parce qu’il jugeait ce monastère trop prochinois… (voir à ce sujet, Jean-Paul Desimpelaere, Les monastères détruits, sur le site www.tibetdoc.eu, rubrique : Histoire ; sous-rubrique : 20e siècle ; sous-sous-rubrique : Révolution culturelle).

 

Deuxième remarque : malgré son caractère indéfendable, la Révolution culturelle n’était nullement dirigée contre le peuple tibétain : c’était une campagne d’anéantissement des élites intellectuelles et artistiques qui a submergé la Chine entière, et à laquelle ont d’ailleurs participé activement un certain nombre de Tibétains, tout heureux de se venger d’un millénaire d’humiliation en incendiant des monastères, comme l’avaient fait les paysans lors de la Révolution française. 

Troisième remarque et la plus importante : la Révolution culturelle est terminée depuis bientôt quarante ans.  La Chine, qui a reconnu ses torts dans les dommages causés et dans ses vaines tentatives pour extirper le bouddhisme, est entrée dans une tout autre phase de son histoire. 

 

Car ce que tout visiteur de la RAT et des régions limitrophes (Qinghai + une partie du Gansu, du Sichuan et du Yunnan) peut constater aujourd’hui, c’est l’opulence des monastères, l’omniprésence des moines et la vivacité de la culture traditionnelle.  Alors que, dans l’ancien Tibet, la langue tibétaine n’était enseignée que dans les monastères, laissant l’immense majorité du peuple dans l’analphabétisme, la langue tibétaine est aujourd’hui obligatoirement enseignée dans l’école primaire et souvent pratiquée dans le secondaire.  Il y a au moins deux chaînes de télévision qui émettent en tibétain.  Il se publie au Tibet plusieurs revues littéraires en tibétain.  Il y a en Chine, hors Tibet, plusieurs instituts de tibétologie dans lesquels travaillent de nombreux chercheurs.  Il existe à Xining, la capitale du Qinghai, un magnifique musée entièrement consacré à la médecine tibétaine.   On pourrait aisément trouver dans le monde des centaines de minorités qui pleureraient pour être victimes d’un tel « génocide culturel ».

 

Quand le dalaï-lama continue au 21e siècle à prétendre que les Tibétains sont victimes d’un génocide culturel, il dit ce qui n’est pas.  Pire, il se livre parfois à de scandaleux amalgames : devant le Congrès américain, il s’est permis de faire un rapprochement entre le sort des six millions de Tibétains et les six millions du juifs victimes de la Shoah.  C’est écœurant, comme est écœurant également le silence complice des grands médias occidentaux, semblant avoir renoncé une fois pour toutes à prendre leurs distances par rapport à ce qui sort de la bouche de l’ « Océan de Sagesse ».

 

Il est aussi plus qu’étonnant qu’aucun grand média n’ose mentionner les mauvaises fréquentations du dalaï-lama.  Même si le Centre Simon-Wiesenthal l’a lavé de tout reproche, on peut trouver des témoignages, y compris photographiques, de ses contacts répétés et chaleureux avec notamment Heinrich Harrer, son précepteur nazi, Bruno Beger, un médecin qui s’est livré à des expériences sur des juifs à Auschwitz, Miguel Serrano, le chef du parti nazi chilien ou encore Jörg Heider, le nostalgique du 3e Reich…

À suivre ?

 

Beaucoup de questions restent en suspens :

-        comment expliquer le succès en Occident du bouddhisme et du dalaï-lama ?

-        en quoi le bouddhisme tibétain se distingue-t-il des autres formes de bouddhisme ?

-        quel avenir économique pour le Tibet ?

-        le Tibet sert-il de colonie d’exploitation à la Chine ?

-        quel avenir culturel pour le Tibet et, singulièrement, pour la langue tibétaine ?

-        la culture tibétaine est-elle réduite à du folklore pour touristes ?

-        quel avenir politique pour le Tibet ?

-        l’autonomie de la Région autonome du Tibet est-elle purement formelle ?

-        comment pourrait évoluer le Tibet après la disparition du 14e dalaï-lama ?

-        que penser de la « constitution » élaborée par le « gouvernement tibétain en exil » ?

-        quelle est l’importance du Tibet d’un point de vue géostratégique ?

-        le « monde libre » peut-il invoquer un droit d’ingérence dans les affaires tibétaines ?

-        que penser de la proposition des défenseurs des droits de l’homme d’organiser un référendum sur l’autodétermination du Tibet ? 

-        que penser de la nébuleuse des organisations indépendantistes de par le monde ?

-        etc., etc.

Beaucoup de questions, assurément, qu’il me plairait d’approfondir, en dialogue avec quiconque.

André Lacroix, 

auteur de la traduction

Mon combat pour un Tibet moderne.

Récit de vie de Tashi Tsering, éd. Golias, 2010