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Réponse à l’article "Tibet, 1, 2, 3 plus une..." en direct de Dharamsala

par André Lacroix, le 6 décembre 2013

Réponse à l’article : « Un tibétain s’est immolé le mardi 3 Décembre, dans le comté de Machu, au Nord-Est du Tibet-occupé, en signe de protestation contre l’occupation chinoise au Tibet. » (à lire ci-dessous, après la réponse)

 

Cher Monsieur Guerrini,

Cher Monsieur Plenel,

Permettez-moi de vous faire part de mon étonnement quant à certaines affirmations de votre article « Tibet, 123 plus une… » publié dans votre édition du 5 décembre 2013.

Les immolations tout d’abord : loin de moi l’idée de banaliser ces événements dramatiques, mais il me paraît trop simple d’en rejeter la responsabilité sur les seules autorités chinoises. Je me permets de vous renvoyer aux analyses publiées sur le site www.tibetdoc.eu

Quant à la vieille accusation de Human Rights Watch concernant la sédentarisation forcée de « deux millions de nomades », elle est largement infondée, car le nomadisme proprement dit ne concerne que quelque 40 000 Tibétains (voir Jean-Paul Desimpelaere et Élisabeth Martens, »Tibet : au-delà de l’illusion », éd. Aden, 2009, p. 25). En réalité, la plupart des éleveurs tibétains pratiquent la transhumance. À la belle saison, ils partent en groupes de familles entières et vivent sous tente à des altitudes très élevées, en n’oubliant pas d’emporter leurs … téléphones portables alimentés par de petits panneaux photovoltaïques (j’en ai vu)… À la fin de l’été, ils regagnent leur village.

Et dans leur village et aux alentours, la situation est loin d’être facile. Pourquoi ? Parce que la population a triplé depuis 1940 et que, dans le même temps, le nombre de yaks et de moutons a aussi triplé. Sous l’Ancien Régime, quand, pour reprendre les termes du dalaï-lama, « le pays était le plus heureux qui soit », la mortalité infantile était tellement élevée que les pâturages suffisaient à nourrir les survivants. « C’est l’aspect principal du problème de délocalisation des éleveurs tibétains : trop de gens, donc trop de bétail, donc plus assez d’herbe. Un moyen de freiner cette escalade est la sédentarisation d’une majorité de la population, le passage vers une agriculture diversifiée avec une réduction du cheptel » (op. cit., p. 28).

Une politique rendue plus nécessaire encore du fait du dérèglement climatique qui affecte directement le Tibet : on y a déjà constaté une augmentation de 1° C et on prévoit un degré supplémentaire à l’horizon 2020. « Ce qui signifie que le Haut Plateau est en train de se dessécher : une baisse continue des précipitations accompagnée d’une hausse de la température » (id., p. 28). Face à cette situation préoccupante, les responsables ne pouvaient pas rester les bras croisés. Elles ont impulsé tout un train de mesures visant à la diversification de l’activité : développement, en plus du tourisme, d’une industrie légère, commercialisation des produits artisanaux, création d’écoles techniques, construction de serres, très rentables étant donné l’ensoleillement, etc.

Et pour les Tibétains qui continueront à s’adonner à l’élevage, un programme de replantation de graminées a été mis en œuvre sur une superficie plus vaste que celle de la France : à bord du nouveau train Xining-Lhassa, j’ai pu voir quelques-uns de ces immenses carrés où, malgré les conditions extrêmes, on réussit à faire pousser de l’herbe.

Vous écrivez aussi : « Les Tibétains se sentent éloignés, arrachés de force de leur langue, de la culture et de leur religion (…) » Permettez-moi de contester ces affirmations.

Menace linguistique ?

Ces critiques émanant des exilés et des mouvements « Free Tibet » sont pour le moins paradoxales, quand on sait que la langue tibétaine est obligatoirement enseignée dans les écoles primaires et souvent pratiqué dans les écoles secondaires. Sous l’Ancien Régime, l’analphabétisme était de 90%, il doit aujourd’hui avoisiner les 40%. C’est encore trop, bien sûr, mais il ne faut tenir compte de la difficulté d’implanter des écoles dans de bourgades reculées, à plus de 4.000 m d’altitude.

Plus encore que de ces conditions géographiques, il faut tenir compte du poids de l’histoire : on n’efface pas en 60 ans un millénaire d’obscurantisme religieux. Encore aujourd’hui beaucoup de paysans ‒ élevés dans un univers où l’éducation de tous les enfants était considérée comme une menace pour l’establishment religieux ‒ se font tirer l’oreille quand il s’agit d’envoyer leurs enfants à l’école, car ils n’ont pas été habitués à considérer l’éducation comme une priorité.

Menace culturelle ?

Le dalaï-lama a beau répéter au 21e siècle son accusation de « génocide culturel », l’opinion occidentale finira bien un jour par se lasser de ce discours en boucle et comprendra enfin que la réalité est bien différente : la culture tibétaine est bien vivante au Tibet. C’est ce que tout observateur peut constater sur place. C’est ce qu’un nombre croissant de chercheurs mettent aujourd’hui en lumière, comme, par exemple, le tibétologue britannique Robert Barnett qui fait cette remarque de bon sens :

« Si la culture tibétaine à l’intérieur du Tibet était en train d’être prestement annihilée, comment se fait-il que tant de Tibétains de l’intérieur paraissent malgré tout avoir une vie culturelle plus dynamique – à preuve la centaine de revues littéraires en tibétain – que celle de leurs homologues exilés ? » (Thunder for Tibet, compte rendu du livre de Pico Iyer, The Open Road : The Global Journey of the Fourteenth Dalai Lama, Knopf, in The New York Review of Books, vol. 55, number 9, May 29, 2008).

Lors d’un voyage effectué en août 2009, mes compagnons de voyage et moi-même avons pu assister à des fêtes populaires religieuses ou profanes témoignant de l’extraordinaire vigueur de la culture tibétaine, que ce soit à Tongren (dans le Qinghai) lors d’un festival local, ou, au monastère de Drepung (près de Lhassa), lors du déploiement d’un gigantesque thangka, ou encore au Norbulinka (à Lhassa), théâtre d’une kermesse populaire très animée. Pour ces manifestations réunissant des milliers de personnes, les touristes ne devaient pas dépasser une dizaine et, pour tout service d’ordre, il n’y avait que quelques policiers, soit infiniment moins que pour un match de football chez nous. Selon le tibétologue américain Eliott Sperling, le reproche de « folklorisation » ne tient pas la route :

« Bien trop souvent, les gens en dehors du Tibet assimilent la culture tibétaine en gros à la vie ecclésiastique et monastique ou à ce qu’on pourrait appeler la culture traditionnelle. Au Tibet aujourd’hui, cela n’est plus défendable. C’est pourtant cette position pétrifiée qui semble se cacher derrière nombre d’appels à la préservation de la culture tibétaine comme objectif à la fois du gouvernement du dalaï-lama et d’initiatives diplomatiques étrangères. La culture tibétaine, comme n’importe quelle autre, est dynamique. Appeler à la préserver évoque automatiquement la nécessité de la définir, ce qui à son tour fait penser à une pièce montée et empaillée bonne pour le musée. La culture tibétaine n’a pas besoin d’être figée dans le temps, mais la vie culturelle tibétaine a besoin d’être protégée de mesures qui brident l’expression littéraire et artistique. Au Tibet aujourd’hui, écrivains et artistes dans le siècle, exploitant les formes modernes d’expression, font partie intégrante du paysage culturel tibétain » (Exile and Dissent : The Historical and Cultural Context", in Tibet Since 1950, New York, 2000).

Menace religieuse ?

Ce qui frappe tout visiteur du Tibet, c’est l’opulence des monastères, l’omniprésence des moines et la vitalité des manifestations religieuses auxquelles participent de très nombreux fidèles et pèlerins, ce qui ne témoigne pas spécialement d’une quelconque menace sur la liberté du culte. Beaucoup d’eau, en effet, a passé sous les ponts depuis que les Chinois ont essayé en vain d’éradiquer le bouddhisme tibétain ; ils ont reconnu leurs erreurs : c’est désormais, non plus la religion, mais l’instrumentalisation de la religion à des fins séparatistes qui est aujourd’hui combattue.

Je m’étonne par ailleurs que Mediapart parle du « Tibet occupé », alors que ce territoire qui a appartenu pendant de nombreux siècles à l’Empire chinois ‒ que ce soit sous la dynastie Yuan des Mongols, de la dynastie Ming des Hans ou de la dynastie Qing des Mandchous ‒, fait aujourd’hui partie de la République populaire de Chine. Aucun pays au monde, pas même les États-Unis, n’a jamais reconnu l’indépendance du Tibet, déclarée unilatéralement par le 13e dalaï-lama, une « indépendance » qui était plutôt un protectorat britannique… Comment un État, en l’occurrence la Chine, peut-elle être accusée d’occuper une de ses provinces ? (voir notamment, www.tibetdoc.eu)

Je m’étonne encore plus de voir Mediapart faire de la publicité pour « Buddhachannel » qui milite pour la propagation du Dharma !!!

Au plaisir d’enregistrer votre réponse, je vous prie d’agréer, cher Monsieur Guerrini, cher Monsieur Plenel, l’expression de ma meilleure considération.

Voici l’article "Tibet, 1, 2, 3 plus une..." :

de Dharamsala :

Le gouvernement chinois a drastiquement, comme si c’était encore possible, mais dans l’ignominie pas de limites, accentué sa politique de répression totale et de sécurité à tout-va, à Ngaba, dans le nord du Tibet, après qu’un tibétain se soit, à nouveau, immolé sur le feu pour protester contre le régime du tout-répressif au Tibet.

Tout-répressif que tous les rapports qui proviennent du Tibet affirment et confirment.

Kunchok Tseten, s’est mis le feu à lui-même sur le marché principal de la ville Meruma à Ngaba mardi 3 Décembre. Après s’être mettre mis le feu , il a lancé des slogans et prononcés des vœux de longue vie de Sa Sainteté le Dalaï-lama, le retour de Sa Sainteté le Dalaï Lama au Tibet et la réunion, le retour des tibétains, de tous les tibétains au Tibet .

Des témoins oculaires ont précisé que la police et les forces de sécurité sont arrivées immédiatement sur place pour s’emparer de l’auto- immolé. Mais les Tibétains se sont interposés, et, les en ont empêchées. Le tout débouchant immanquablement sur des affrontements entre les deux parties. La police ont emmené Kunchok Tseten, l’auto-immolé, après l’arrestation de nombreux Tibétains, au nombre desquels la femme et les parents de l’auto-immolé, dont le sort est inconnu.

Tous les commerces et restaurants sont restés fermés et tous les téléphones mobiles de Tibétains ont été confisqués. Comme en pareil cas " Le gouvernement chinois a renforcé la sécurité dans la région ".

Selon certaines sources, Kunchok Tséten, père de deux enfants, aurait fait état, cet été, de son désir de s’ immoler par le feu pour protester contre les atrocités chinoises à l’encontre des Tibétains.

« Les Tibétains au Tibet vivent sous une forte répression . Il y a une répression totale sur les moyens classiques d’exprimer leurs griefs. Ces conditions ont conduit à l’augmentation du nombre des auto- immolations au Tibet. Nous implorons les dirigeants chinois de répondre immédiatement aux doléances des Tibétains " a déclaré M. Tashi Phuntsok , Secrétaire de l’information et de relations internationales de l’Administration Centrale Tibétaine .

La répression politique, l’assimilation culturelle, la discrimination sociale, la marginalisation économique, la destruction de l’environnement et le manque de liberté religieuse sont les principaux facteurs qui poussent les Tibétains à l’auto-immolation par le feu.

Selon Human Rights Watch, deux millions de nomades ont été réinstallés dans des logements semblables à des ghettos sans leur plein consentement et une consultation appropriée. Les politiques répressives ont également donné lieu à des incidents récents de violence dans plusieurs régions minières du Tibet. La seule façon de mettre fin à cette situation brutale et grave pour la Chine de changer sa politique intransigeante au Tibet actuel en respectant les aspirations du peuple tibétain .

L’Administration centrale tibétaine a toujours fait appel et plaidé afin de décourager les Tibétaines et Tibétains à en arriver à de telles extrémités. L’auto - immolation, comme forme dernière et suprême de protestation .