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Tibet, Turkestan, Mongolie, une « Alliance Haute Asie » sponsorisée par les États-Unis 

par Élisabeth Martens, le 15 février 2021

Avec la crise financière de 2008 qui a secoué nos démocraties ultra-libérales, il devint évident que d'autres crises allaient se succéder (comme elles le faisaient déjà depuis les années 1970, mais on a voulu croire au miracle d'une « sortie de crise »). Elles se chevaucheraient tant et si bien qu'elles deviendraient désormais une crise globale du système néo-libéral qui affecterait l’entièreté du « monde  libre » et de ses « annexes » (les PFR1 de l'Afrique et de l'Amérique latine). En 2008, le démocrate américain John Murtha, président de la commission du Congrès pour la défense, a rappelé que la Chine exigeait toute l'attention des USA : « Nous devons être en mesure d’arrêter la Chine, la Russie, ou tout autre pays, qui devient une menace pour nous. »2 Depuis lors, l'attitude des États-Unis vis-à-vis de la Chine n'a fait que s'exacerber. Alors que leur cheval de bataille fut le Tibet pendant 60 ans, pourquoi se sont-ils soudainement tournés vers les Ouïghours du Xinjiang ?

 

paysage du Xinjiang
paysage du Xinjiang

 

Les musulmans ne sont pas bienvenus au « pays si proche des dieux »

Commençons par un bref retour historique pour situer les Ouïghours en Chine et leur lien avec le Tibet. Bouddhistes tibétains et musulmans de Chine ont été en conflit pendant de longs siècles. Ces tensions ont débuté avec la victoire des musulmans à Talas (au Kirgizhistan actuel), en 751. La dynastie des Tang (618-907) qui régnait alors sur la Chine était connue pour sa tolérance, si bien que diverses religions ont pu s'épanouir sous ses auspices. Depuis lors, de plus en plus de communautés musulmanes se sont installées dans l'ouest de la Chine : au Xinjiang, mais aussi au Tibet, au Gansu et même jusqu'à Xi'an (province du Shaanxi) où la grande mosquée est encore active.

 

La grande mosquée de Xi'an
La grande mosquée de Xi'an

 

Du 8ème au début du 11ème siècle, les incursions musulmanes ont morcelé l'Inde du nord par vagues successives. Elles réussirent à affaiblir les religions locales : hindouisme et un bouddhisme qui, sous sa forme tantrique, était fort répandu dans le nord de l'Inde et ce, jusqu'au Bangladesh. Plusieurs universités tantriques se sont vidées de leurs maîtres ; fuyant sous les assauts répétés des musulmans, ils ont été se réfugier au Tibet. Cet exode des gurus indiens et bengalis vers le Tibet a initié la période dite de la « Renaissance du bouddhisme » au Tibet. Dès lors le clergé du bouddhisme tibétain régna en maître sur le haut plateau pendant tout un millénaire.

Mais au « pays si proche des dieux », les musulmans n'étaient pas les bienvenus. Ils eurent à subir la colère de Kalachakra. Kalachakra et la divinité tantrique de la « Roue du temps » et le nom à un texte sacré (ou tantra) révélé au 11ème siècle à de grands gurus bengalis en route vers le Tibet. Le tantra de Kalachakra allait occuper une place privilégiée dans le bouddhisme tibétain. Élu « tantra de référence » par la lignée des dalaï-lamas, il est pourtant animé d'une haine féroce vis-à-vis des « sous-hommes de la Mecque ». Une guerre finale aura lieu, affirme Kalachakra, élevant les bouddhistes contre les musulmans et contre les fidèles de toutes les religions monothéistes. Un appel à la lutte armée et à une guerre sainte contre l'Islam est explicite dès l'ouverture du tantra. Dans les temples au Tibet, on voit encore d'anciens thangkas montrant des musulmans foulés aux pieds par les divinités protectrices du dharma (l'enseignement du bouddha).

 

Yamantaka portant à sa ceinture les têtes coupées des ennemis du dharma et écrasant un homme barbu
Yamantaka portant à sa ceinture les têtes coupées des ennemis du dharma et écrasant un homme barbu

 

Durant le millénaire de tutelle bouddhiste, les mosquées du Tibet furent systématiquement détruites, avec interdiction d'en construire des neuves et de pratiquer la religion impie. Ce veto a sévi jusqu'au 17ème siècle, quand la dynastie mandchoue des Qing régnait sur la Chine. Les Qing ont tracé les frontières provinciales du pays, entre autres celles du Tibet et celles du Xinjiang qui devinrent alors des provinces chinoises, au même titre que les 16 autres. C'est sous les Qing que fut construite la grande mosquée de Lhassa, puis deux autres, apportant au Tibet un peu plus de tolérance religieuse que la période précédente.

Le dharma qui interdit de détruire toute forme de vie n'interdit pas de consommer de la viande. Sur le haut plateau tibétain, la viande de yack est un aliment de base avec la tsampa, les oignons et le thé au beurre. Mais alors, qui s'occupait d'abattre, de dépecer et de découper les yacks ? C'était le « sale boulot » dont se chargeaient les musulmans. Si bien qu'en 2008, lors des émeutes qui ont secoué Lhassa, les boucheries furent visées en premier, mais aussi des magasins et des restaurants tenus par des musulmans. Un groupe de jeunes Tibétains essaya même de prendre d'assaut la grande mosquée en mettant le feu à l'entrée principale.

Ces actes de vandalisme furent commis en 2008 par des Tibétains, parmi lesquels on vit des lamas qui organisaient les groupes de jeunes dans les rues et les encourageaient. Les 22 personnes décédées lors de ces affrontements étaient des civils, pour la plupart des musulmans, brûlés vifs ou tabassés à mort. Les jeunes Tibétains s’en sont également pris à des écoles, des hôpitaux, des hôtels, des banques et au marché de gros de Tsomtsikhang où de nombreux magasins appartenaient à des musulmans.3

A noter que le Tibet n'est pas le seul lieu en Asie où le bouddhisme s'est mis en guerre contre l'islam. On peut citer les Rohingyas en Birmanie, les musulmans de Thaïlande, du Sri-Lanka, du Cachemire qui sont régulièrement persécutés par les communautés bouddhistes locales.4 Le bouddhisme, connu pour sa tolérance, accepte difficilement l'implantation de l'Islam en Asie.

 

Retournement de veste peu anodin de la part de l'Apôtre de la paix

Pourtant, depuis que le dalaï-lama a reçu le prix Nobel de la paix, en 1989, il s'émeut du sort des Ouïghours, l'ethnie turcophone musulmane présente au Xinjiang, mais aussi au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizstan et en Turquie. Au nombre de onze millions, les Ouïghours sont les descendants des musulmans installés dans la région depuis le 8ème siècle, après la bataille de Talas. Nombre d'entre eux étaient des marchands nomades circulant sur la Route de la Soie, reliant l’extrême Orient aux hauts plateaux de l'Asie centrale.

Au Xinjiang, les Ouïghours représentent actuellement 45% de la population, à côté des Han (41 %), des Kazakhs (7 %), des Hui (5 %), des Kirghizes (0,9 %), des Mongols (0,8 %), des Dongxiang (0,3 %), des Tadjiks (0,2 %), des Xibe (0,2 %). Comme la majorité des provinces et régions autonomes qui bordent le bassin central de la Chine, le Xinjiang est une mosaïque multiethnique.

Mais nos médias se sont concentrés sur les seuls Ouïghours, car ils seraient « chassés de leur propre pays » par les Chinois. On peut préciser ici que le territoire du Xinjiang fait partie de la Chine depuis le début de l'ère chrétienne. La dynastie des Han (-206/+220) ont rapidement compris l'importance économique et stratégique de la Route de la soie et ont annexé la région de l'actuelle province du Xinjiang. On peut également rappeler qu'au 9ème siècle, les Ouïghours se sont alliés aux Chinois pour repousser les incursions des Tibétains qui, eux aussi, ont voulu s'emparer de la Route de la Soie.

 

Mais non, ce qui fait vendre nos journaux c'est la « répression et la sinisation forcée de la région, identique à celle qui fut menée au Tibet. »5 La compassion affichée par notre « Apôtre de la paix » envers ses « voisins ouïghours » s'expliquerait-elle par la similitude de traitement que les Chinois sont censés infliger à ces deux populations qui, pourtant, furent rivales pendant de longs siècles ? Étrange et soudain retournement de veste de la part du 14ème dalaï-lama !... mais n'est-il pas le chef spirituel de la religion la plus tolérante et la plus compassionnelle au monde ?

Peu après que le comité Nobel l'eut honoré de son prix prestigieux, le dalaï-lama eut même le projet de former une « communauté démocratique asiatique » à laquelle pourraient adhérer les Tibétains, les Mongols et les Ouïghours du « monde libre ».6 Selon lui, ces trois peuples devraient s'assembler autour d'une idéologie commune : l'indépendance de leur région respective, débarrassée de la présence des Chinois han. En 1992, il déclarait : « La Mongolie intérieure et le Turkestan oriental (ou Xinjiang) pourront aussi intégrer leurs propres pays quand ils seront totalement libres ».7

 

De quelle liberté s'agit-il ?

En 1998, le dalaï-lama réunit des représentants de la communauté tibétaine en exil, des réfugiés ouïghours et des expatriés mongols autour des VIP de l'administration US (Bill Clinton, à l'époque). Il constitue ainsi « l’Alliance Haute Asie ». Lors de cette rencontre, il déclare : « nos trois peuples ont des liens historiques forts. À présent, ils sont réunis dans la lutte contre l’occupation chinoise. L’empire soviétique s’est désintégré et les différents peuples ont retrouvé leur liberté. Aussi, suis-je optimiste pour l’avenir de nos nations respectives. »8 Le saint homme comptait donc sur la désintégration de « l'empire chinois » et sur une « liberté retrouvée » pour ces trois peuples, à l'instar de ceux de « l'empire soviétique ».

Dix ans plus tard, en 2008, Jamyang Norbu, exilé tibétain militant pour l’indépendance radicale du Tibet et ayant pris part à la résistance armée soutenue par la CIA au début des années 19709, réitérait la déclaration du dalaï-lama : « De même que la chute du mur de Berlin a apporté la liberté pour un certain nombre de pays, l’indépendance du Tibet pourrait améliorer la liberté des pays voisins, comme la Birmanie, le Turkestan de l’Est, la Mongolie intérieure, ainsi que favoriser la liberté du peuple chinois lui-même. »10

Encore une décennie plus tard, en 2018, dans un vibrant « appel à la jeunesse à faire la révolution » par le cœur, la conscience et la méditation, le dalaï-lama souligne à nouveau l'importance de la chute du « Mur de la honte » : « Quand j'y repense aujourd'hui, cet événement m'apparaît comme l'épilogue des tragédies du 20ème siècle. Il fit passer à la trappe les séquelles de la Seconde guerre mondiale et annonça la fin imminente du communisme en Europe de l'Est.»11 Bien que notre Apôtre de la paix ait prétendu vouloir renoncer à tout pouvoir politique en 2011, il poursuit un but évident : se débarrasser de l'encombrant communisme asiatique. Le géant communiste doit être démantelé ; une alliance entre le Tibet, le Xinjiang et la Mongolie se dessine autour du projet « Alliance Haute Asie ».

 

Les grands amis du dalaï

Si l’enjeu de l'Alliance Haute Asie initiée par le dalaï-lama en 1998 est limpide, les sponsors du projet le sont aussi. Les États-Unis ont été aux côtés du dalaï-lama dès 1949, tel que ce fut formulé par les Affaires étrangères des États-Unis : « la question essentielle n'est pas de reconnaître le Tibet comme pays indépendant, ce qui nous importe est notre position vis-à-vis de la Chine. »12 Une première guerre froide fut lancée, avec la Chine dans leur collimateur des États-Unis. Le Tibet a été un levier essentiel dans cette chasse aux sorcières et le dalaï-lama fut un serviteur zélé des intérêts de l'Oncle Sam. Lors de son discours à Washington en 1949, le ministre des Affaires étrangères US a annoncé sans détour qu'il comptait sur « l'influence idéologique du dalaï-lama pour porter son message plus loin que les frontières du Tibet ».13

Grâce à d'honorables institutions comme la CIA , les États-Unis ont soutenus financièrement et logistiquement la résistance armée au Tibet jusque dans les années 1970 (e.a. avec la création du Tibetan Youth Congres qui revendique l'indépendance radicale du Tibet). Ensuite c'est le NED (National Endowment for Democracy), « filiale pacifique » de la CIA, qui a financé une vaste campagne médiatique contre la Chine (via l'International Campaign for Tibet, les groupes Free-Tibet, Radio Free Asia, etc .). L' International Campaign for Tibet (ICT) dénonçait la répression et la sinisation forcée des Tibétains. Les médias ont parlé de 1,2 million de morts tibétains (chiffre qui s'est avéré faux après vérifications), d'un génocide ethnique puis culturel, ils ont dénoncé des arrestations arbitraires, des viols de masse, des stérilisations forcées, etc., bref, exactement les mêmes affabulations qu'aujourd'hui pour les Ouïghours.

Les Ouïghours ont aussi leur leader indépendantiste, Isa Yusuf Alptekin (1901-1995), un « grand ami du dalaï-lama ». Son fils a repris le flambeau ; en 1999, il déclare au Washington Post : « Nous travaillons en étroite collaboration avec le Dalaï Lama. Il est un très bon exemple pour nous. » Alptekin-fils a fondé le World Uyghur Congress (WUC) en 2004 lors d'une rencontre à Munich rassemblant divers groupes d'Ouïghours exilés, dont l'Association américaine des Ouïghours (Uyghur American Association, UAA) et le congrès national du Turkestan oriental (East Turkestan National Congress, ETNC).14

A l'instar de l'International Campaign for Tibet (ICT), le WUC prétend être engagé dans une lutte « pacifique, non-violente et démocratique » pour libérer le Turkestan. A l'instar de l'ICT, la Uyghur American Association (UAA), bénéficie de longue date de l'aide financière du NED à coup de millions de dollars. Nury Turkel, ancien président de l'UAA le proclame ouvertement : « Le National Endowment for Democracy a apporté un soutien exceptionnel à l'UAA en nous fournissant des conseils et une assistance inestimables » ainsi qu'un « financement essentiel ».15 A l'instar de l'ITC, le financement du NED est entre autres injecté dans une vaste campagne médiatique organisée par des organisations comme Campaign for Uyghurs et Uyghur Human Rights Project.

En 2005, Rebiya Kadeer, qui deviendra présidente du WUC en 2006, déclare dans son discours à Washington: « Nous pourrons réaliser tous les objectifs si les Ouïgours et les Tibétains combattent ensemble pour le droit de l'homme et la démocratie. »16 Elle est devenue une « grande amie du dalaï-lama. Au cours de son mandat, elle rencontre à plusieurs reprises le président US de l'époque, George W. Bush, autre « grand ami du dalaï-lama » qui engage une guerre illégale contre l'Irak. Le mari de Kadeer, Sidik Rouzi, a travaillé pour Voice of America et Radio Free Asia, deux médias financés par le NED.

 

   

 

En 2018, une autre « grande amie du dalaï-lama »17, Nancy Pelosi, présidente du NED et de la Chambre des États-Unis, récompense Dolkun Isa, l'actuel président du WUC (World Uigur Congres, un organisme revendiquant l'indépendance du Xinjiang, proche de l'ETIM) et lauréat du prix de la démocratie 2019, octroyé par le NED. Dolkun Isa a aussi reçu en 2016 un prix des Droits de l'Homme de la Victims of Communism Memorial Foundation (VOC), un organisme d'extrême droite créé par les USA en 1993. Dans son discours d'acceptation, Isa souligne « la résistance des Ouïghours au communisme » et déclare que « nous n'arrêterons pas notre travail tant que nous n'aurons pas relégué cette idéologie destructrice, selon les termes de Ronald Reagan, au 'tas de cendres de l'histoire' ».18

 

   

  

 

Le terrorisme est une réalité à laquelle la Chine doit faire face

Pour quelle raison les Chinois se seraient-ils soudainement tournés vers les Ouïghours après avoir torturé et disséminé les Tibétains? S'il existe beaucoup de similitudes entre le profil du WUC et de l'ITC (et leurs affiliés respectifs), il existe aussi quelques différences. L'une d'entre elles peut expliquer l'acharnement des médias occidentaux contre la Chine et ses « exactions au Xinjiang » : c'est le terrorisme islamiste, qui est aussi réel en Chine que chez nous.

Le East Turkestan Islamic Movement (ETIM) est un mouvement intégriste ouïghour créé en 1997. Il partage avec le WUC et l'UAA l'ambition de créer un « Turkestan oriental libre » et plaide pour un nettoyage ethnique, càd. pour l'expulsion des Chinois han du Xinjiang. Mais à la différence du WUC et de l'UAA qui se prétendent pacifistes, l'ETIM ne cache pas que ses membres sont prêts à prendre les armes. En cela, il est similaire au Tibetan Youth Congres qui exige aussi l'indépendance radicale du Tibet, avec lutte armée s'il le faut, et dont les responsables sont des proches du dalaï-lama.19

L'ETIM est aussi sponsorisé et financé par le NED.20 Or l'ETIM est en contact avec les Talibans et avec Al-Qaida. Des milliers d'indépendantistes ouïghours s'engagent dans les troupes islamistes voyant dans les attentats terroristes un espoir de détacher « leur Turkestan » de la Chine. Ils sont envoyés en Syrie et en Irak pour participer au djihad et reviennent pour perpétrer des attentats meurtriers sur le territoire chinois : en 2008 et en 2011 à Kashgar, à Pékin sur la Place Tian'anmen en 2013, en 2014 à Kunming, en 2015 dans une mine au Xinjiang. Les victimes sont toujours des civils. Chez nous, la presse n'a pas fait grand écho de ces événements.

Attentat à la bombe sur un marché de Urumuqi en 2014, 31 civils sont morts
Attentat à la bombe sur un marché de Urumuqi en 2014, 31 civils sont morts

 

Attentat aux armes blanches dans la gare de Kunming en 2014, 29 civils sont morts
Attentat aux armes blanches dans la gare de Kunming en 2014, 29 civils sont morts

 

C'est depuis l'attentat de Kunming, particulièrement sanglant avec 29 civils assassinés au couteau et 141 blessés - que les contrôles se sont renforcés au Xinjiang : caméras de surveillance, caméras à reconnaissance faciale, multiplication des contrôles de police, check-points sur les grands routes, enregistrement des cartes SIM, etc. Selon les autorités, ce n'est qu'à ce prix que de nouveaux attentats pourront être évités. Chez nous, on crie au scandale : « privation de liberté pour le peuple ouïghour ! »

Heureusement, quelques journalistes plus consciencieux ou plus intègres que les autres ont démonté pièce par pièce les « fake news » à propos des Ouïghours : ce que nos médias nomment des « camps de concentration » sont des classes d'éducation politique et sociale ; ceux qu'on nomme les « esclaves ouïghours » sont des paysans travaillant dans leurs champs de coton ; la langue ouïghoure n'est en rien menacée, mais Pékin exige que toute personne de nationalité chinoise connaisse la langue nationale ; sans parler du nombre incroyable de photos et de vidéos truquées et de faux témoignages qui circulent sur nos réseaux sociaux, etc.21

 

La BRI de la Chine et la crise systémique du « monde libre »

Le gouvernement chinois s'est bien défendu dans sa bataille tibétaine contre les États-Unis, avec distance et circonspection, comme il se doit en Chine. Mais à présent, le Tibet n'intéresse plus grand monde. « Le secrétaire de la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) vient d’annoncer le rejet des poursuites dans l’affaire du Tibet », déplorait l'association France-Tibet en janvier 2021.22 Bien qu'une économie florissante n'est pas synonyme de bien-être, celle du Tibet indique pourtant que les Tibétains n'ont rien à envier au reste de la Chine. Première économie nationale en 2020, le PIB du Tibet a le vent en poupe (7,8% par temps de covid-19!)23 et met en défaut toutes les accusations de génocides ethnique et culturel contre le gouvernement chinois.

A défaut du Tibet, il a fallu trouver un nouveau cheval de bataille. Le Xinjiang fit l'affaire, il avait tous les ingrédients nécessaires : les Ouïghours sont une minorité ethnique, la plupart sont musulmans, ils parlent une langue turque, écrite en arabe, la Région autonome du Xinjiang (créée en 1955) est la plus grande unité administrative de la Chine, elle couvre près d’un sixième du pays, elle est frontalière avec huit pays, son sous-sol est riche en ressources minières (or, pétrole, uranium, gaz). Il a suffi à nos médias d'oublier les attentats terroristes en Chine, la présence d'Ouïghours au sein d'Al-Qaida, la connivence de l'ETIM avec les États-Unis et avec l'extrême droite turque24 : des oublis bien compréhensibles de la part de médias sensationnalistes et de journalistes qui ne veulent pas perdre leur boulot.

Si le gouvernement chinois a opté pour une hyper-sécurisation du Xinjiang, c'est aussi parce que la région se trouve sur le trajet de la Belt and Road Initiative (BRI) et en constitue un nœud important. Avec la mise en route de ce gigantesque projet auquel s'est ajouté le tout récent « Partenariat régional économique global » (RCEP), ce sont 143 pays, càd plus des deux tiers des pays dans le monde, qui ont signé des accords bilatéraux avec la Chine (en 2020). Aux USA, c'est la panique. Ce 10 février 2021, Joe Biden passe deux heures au téléphone avec Xi Jinping pour conclure que « Si on ne fait rien, ils vont nous écraser ».

 

 

Alors que nous plongeons tête baissée dans les tourmentes d'une « crise systémique » doublée d'une crise climatique, c'est la Chine qui est porteuse d'espoir, tant au niveau économique, que sanitaire, qu'écologique. Contrairement à nos instances gouvernementales qui utilisent la crise sanitaire pour paralyser les citoyens et les maintenir dans un état d'hébétude les rendant incapables de voir qu'elle dissimule l'effondrement de nos sociétés « civilisées »25, la Chine a su rebondir. En 2020, année de la covid-19, elle fut le seul pays au monde à afficher une croissance économique positive (2,3%).

Le statut de plus en plus évident de la Chine comme première puissance économique mondiale effraye non seulement les États-Unis mais aussi l'Europe. Une fois de plus, notre petite « péninsule asiatique » se joint aux USA pour créer un China-bashing qui s'amplifie et atteint des proportions grotesques en générant des propos parfois ridicules ou souvent farfelus. Une seconde guerre froide s'est mise en route, avec cette fois, le Xinjiang comme cheval de bataille : nos médias ressassent la répression et la sinisation forcées au Xinjiang « identiques à celles qui furent menées au Tibet, province voisine du Xinjiang, et dans la partie mongole de la Chine, suscitant des condamnations des ONG de défense des Droits humains et de la communauté internationale. »26

 

La Ligue des droits de l'homme se scandalise

Pourtant, en octobre 2020, la Chine fut à nouveau accueillie au sein du Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies. Pour trois ans, elle participera à l’examen périodique universel par lequel l’ONU vérifie le respect de ses valeurs par les pays membres. La Ligue des droits de l'homme se scandalise, parle d'une décision « écœurante » de la part de l'ONU et aligne les nombreux méfaits commis par la Chine durant ces dernières décennies.27 Elle oublie sciemment que la Chine a sorti 800 millions de personnes de la pauvreté en 40 ans, répondant ainsi aux premiers droits de tout être humain, le droit à l'alimentation, à l'habitat, à la santé et à l'éducation.

Les principaux méfaits cités par la Ligue des droits de l'homme se concentrent sur le Xinjiang et le Tibet, comme on pouvait s'y attendre. Mais à ces deux provinces « malmenées, génocidées, torturées, violées par les Chinois », elle ajoute la Mongolie intérieure : « Une politique similaire se déploie dans l’immense Mongolie intérieure, où la cause mongole se trouve dans une situation désespérée. Le côté mongol dénonce des arrestations arbitraires, des 'disparitions forcées', des assignations à résidence, des pertes d’emplois, des expulsions d’étudiants ou encore la suspension des aides sociales. Ces sanctions frappent aussi bien des intellectuels et militants de longue date, des avocats, des écrivains et des musiciens, que des pasteurs de la steppe dont on a parfois perdu la trace. »28  Ou ceci, dans un quotidien belge : « 'Nous, Mongols, nous efforçons de défendre notre culture mongole !' disent les écoliers en uniforme postés devant des établissements de Mongolie intérieure. Ces protestations émanant de la région autonome depuis le début de la semaine ont été relayées par des vidéos sur les réseaux sociaux chinois. »29

Même si le dalaï-lama se tait dans toutes les langues depuis que le Tibet n'est plus d’actualité, il n'a pas dit son dernier mot, car on assiste bien à la concrétisation du projet dalaïste de l'Alliance Haute Asie. Mais ne faudrait-il pas plutôt parler d'un projet états-unien ? Joe Biden se montre beaucoup plus tranchant que Donald Trump sur les dossiers sensibles du moment ; il cite : Ouïghours, Hong Kong, Taïwan, et exprime ses « profondes inquiétudes » sur la question des droits humains en Chine. Le projet dalaïste capte les vents des mers du sud : à rpésent, Hong-Kong et Taïwan sont également prises dans les voiles de l'Alliance Haute Asie.

 

 

 

Notes :

1 PFR = pays à faibles revenus

2 Reuters, 5/2/2008

3 Voir article dans Le Monde du 03/04/2008 et "Transcript: James Miles interview on Tibet", 2008 sur http://edition.cnn.com/2008/WORLD/asiapcf/03/20/tibet.miles.interview/

et Barbara Demick, "Tibetan-Muslim tensions roil China" sur https://www.latimes.com/archives/la-xpm-2008-jun-23-fg-muslims23-story.html

4 https://www.countercurrents.org/comm-sikand130206.htm

5https://www.la-croix.com/Monde/qui-sont-ouighours-xinjiang-chine-minorites-2020-09-15-1201114079

6 Xu Mingxu, "Intrigues and Dvoutness: The Origin and Development of Tbet Riots, Canada Mirror Books, p. 417 1999

7 Manyank Chhahya p145 "The Dalai Lama: Man, monk, and mystic, Taipei, Linking Books, 2007

8http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/207-xinjiang-et-tibet-du-pareil-au-meme

9https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/tibet/interviews/norbu.html

10 Site Web« Phayul », article de Jamyang Norbu, 4/7/2007

11 Dalaï-lama et Sofia Stril-Rever, "Faites la révolution, l'appeul du daalï-lama à la jeunesse", éd. Massot, 2017, p16

12 Citation du FRUS:https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1949v09/d1025

13 Citation du FRUS: https://history.state.gov/historicaldocuments/frus1949v09/d1025

14http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/608-au-coeur-du-world-uyghur-congress-le-reseau-de-droite-qui-veut-faire-tomber-la-chine

15http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/608-au-coeur-du-world-uyghur-congress-le-reseau-de-droite-qui-veut-faire-tomber-la-chine

16 The Bulletin, Dharamsala, n°54, 2005 p.5

17http://www.tibet.fr/?s=Pelosi&x=0&y=0

18http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/608-au-coeur-du-world-uyghur-congress-le-reseau-de-droite-qui-veut-faire-tomber-la-chine

19http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/209-le-dalai-lama-un-nobel-de-la-paix-pas-aussi-pacifiste-qu-il-n-y-parait

20http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/608-au-coeur-du-world-uyghur-congress-le-reseau-de-droite-qui-veut-faire-tomber-la-chine

21 Maxime Vivas, "Uoïghours, pour en fibnir avec les fake news", éd. Les routes de la soie, 2020

22http://www.tibet.fr/actualites/strasbourg-cour-europeenne-des-droits-de-lhomme-funeste-decision-une-saga-de-limpunite/

23http://www.chine-ecologie.org/protection-de-l-environnement-2/sante-publique/322-le-pib-du-tibet-croit-de-7-8-en-2020-tout-en-maintenant-le-cap-sur-la-protection-de-l-environnement

24http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/ouighours-et-tibetains/608-au-coeur-du-world-uyghur-congress-le-reseau-de-droite-qui-veut-faire-tomber-la-chine

25https://www.kairospresse.be/article/covid-1984-la-vision-dun-philosophe-sur-la-periode-actuelle/

26https://www.la-croix.com/Monde/qui-sont-ouighours-xinjiang-chine-minorites-2020-09-15-1201114079

27https://www.ldh-france.org/bulletin-les-droits-de-lhomme-en-chine-n135-novembre-2020/

28http://www.tibet.fr/actualites/onu-une-decision-ecoeurante-aux-nations-unies-la-chine-pousse-les-murs-xijiang-tibet-mongolie-hongkong-taiwan/

29https://www.lalibre.be/international/asie/nous-battre-pour-notre-survie-face-a-ce-genocide-culturel-le-cri-d-alarme-des-mongols-5f5123b99978e2322f610838