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En guise d'exercice pour la recherche du prochain dalaï-lama

lundi 14 février 2011, par Jean-Paul Desimpelaere

Au Tibet, de nombreux lamas du haut clergé bouddhistes sont considérés comme des « réincarnations » de leurs prédécesseurs. Ces réincarnations constituent des lignées qui sont, chacune, liée à un monastère. Dans l'ancien Tibet, le grand lama d'un monastère avait une autorité tant spirituelle que temporelle sur le monastère, ainsi que sur ses « possessions » : les terres, le bétail et les serfs-paysans. Aujourd’hui, son autorité est limitée à la vie monastique et à la gestion générale des affaires religieuses du Tibet. Bon nombre de ces grands ecclésiastiques ont fui vers l’étranger durant la période agitée, de 1951 à 1959, après la prise de pouvoir par le parti communiste en Chine. Mais des centaines d'entre eux sont restés en Chine.

 

Il existe des réincarnations importantes, et d'autres moins importantes, ceci dépend de la taille et du prestige du monastère. J’ai visité des très petits monastères, où personne ne se souciait de la réincarnation du lama responsable, mais où la trilogie (les trois derniers lamas de la lignée des réincarnations), réunie sur l'autel, photos à l'appui, a une place centrale dans le temple. Ces « trois derniers » recouvrent environ tout le 20ème siècle. Avant l'époque des photos, les lamas étaient représentés par des sculptures ou sur des tangkas.

Depuis l’apparition de la pratique des tulkous au 14ème siècle, la succession d'un lama doit répondre à un rituel précis. Quelques moines du monastère constituent une commission de recherche, puis en grand secret, ils partent en quête d'un enfant répondant aux descriptions qu'en a fait le lama avant sa « grande extinction ». Ils observent les signes divins à la surface d’un lac sacré, consultent les huit trigrammes, visitent des familles et laissent des enfants reconnaître des objets ayant appartenu au lama défunt. Pour les réincarnations importantes, de nouvelles règles se sont ajoutées en 1791.

La plus importante est « le tirage au sort dans l’urne d'or » : parmi les meilleurs candidats, l'un d'entre eux va être tiré au sort devant la statue de Sakyamuni au temple Jokhang à Lhassa, en présence des autorités religieuses et politiques. L’objectif principal de cette nouvelle règle était d’atténuer les rivalités, les tentatives de corruption et surtout les guerres civiles à propos de la succession de lamas politiquement importants.

C’est ainsi que se déroula la recherche du successeur du 5ème lama Detrul du monastère de Drago dans l’arrondissement de Lhoka, au sud de Lhassa. Il était resté au Tibet durant les « années agitées » et devint membre du conseil de la Fédération du Bouddhisme Tibétain. Sa lignée de réincarnation compte des lamas importants, par exemple, l’instructeur du 12ème dalaï-lama. Certains régents du Tibet (qui gouvernaient effectivement le Tibet entre deux dalaï-lamas adultes) sont aussi issus du monastère de Drago.

Le 5ème lama Detrul est décédé en 2000. Pour trouver sa réincarnation, la procédure traditionnelle fut respectée rigoureusement, et tous les signes surnaturels furent notés scrupuleusement. Les recherches ne débutèrent qu’en 2005, avec deux équipes de recherche issues du monastère de Drago. Elles ont agi indépendamment l’une de l’autre. Une vingtaine d’enfants furent considérés comme « aptes à un examen approfondi ». Cinq ans plus tard, deux enfants furent sélectionnés, et le 4 juillet 2010, le « tirage au sort dans l’urne d'or » s'est tenu devant la statue de Sakyamuni dans le temple de Jokhang (le plus ancien et le plus sacré de Lhassa).

Parmi les 150 invités à la cérémonie, la plupart étaient d’importants ecclésiastiques de la Fédération du Bouddhisme Tibétain. La cérémonie fut présidée par Losang Gyurme, responsable des affaires religieuses du gouvernement régional. La « main innocente » qui tira au sort pour désigner le successeur du 5ème lama Detrul n'était autre que celle du 11ème panchen lama. L’élu fut le dénommé Losang Dorje, originaire de Lhoka. Il était présent et sa tête fut rasée pour confirmer le choix. Il fut ensuite conduit au monastère de Drago.

Je donne ici un compte rendu résumé de la recherche et de la cérémonie, mais ce qui est à retenir avec cet exemple, c'est que la Chine entend préserver la tradition des tulkous et la réglementation du tirage au sort dans l'urne d'or. Elle prévoit que cela se passera de la même façon pour la recherche du nouveau dalaï-lama, selon la tradition et en tenant compte de la réglementation de 1791.

le Jokhang à Lhassa (photo JPDes. 2005)
le Jokhang à Lhassa (photo JPDes. 2005)