La relation « chö-yön », de « chapelain à protecteur », liant le Tibet et les Mongols
par Jean-Paul Desimpelaere, le 17 juillet 2009
D'après les défenseurs de l’indépendance du Tibet, celui-ci n'aurait pas été intégré à la Chine au 13ème siècle. Cependant, à cette époque, une relation particulière se serait tissée entre les Mongols, maîtres de l’Empire chinois des Yuan, et les dirigeants tibétains. Ces derniers devinrent les « chö » ou « maîtres spirituels » des Empereurs mongols qui, eu, étaient les « yön » ou «maîtres protecteurs ». « L’intégrité territoriale du Tibet était ainsi maintenue, et le pays n’a jamais été soumis politiquement », répète l'actuel dalaï-lama et les défenseurs de l’indépendance.
Une affirmation que les annales tibétaines de cette période réfutent, comme l’ont expliqué le professeur Soinam Benjor dans le magazine « China’s Tibet » (1), ainsi que Gyurme Dorje dans le « Tibet Handbook » dont l’avant-propos a été écrit par l’actuel dalaï-lama lama (2), et encore Zheng Shan dans “A History of Development of Tibet” (3). Une version identique des faits se retrouve chez R.A. Stein, dans « La Civilisation Tibétaine » (4). Il ressort de cette dernière que la relation « chö-yôn » qui liait les Tibétains et les Mongols était plus ambiguë et complexe que ce qui est présenté dans les articles précédents. En outre, Stein reporte la « conversion finale des Mongols au bouddhisme » à une période plus tardive, seulement vers la fin du 16éme siècle.
D'après ces différentes versions, les armées mongoles ont été actives au Tibet dès 1206. A cette époque, le Tibet était particulièrement morcelé, les chefs de clans locaux et les ordres religieux ont cédé un à un face aux armées mongoles : de Genghis Khan (1162-1227), puis de Godan Khan, puis de l’un ou l’autre prince mongol. Les territoires s'étendant du Tibet central au Tibet de l’Ouest sont tous tombés entre leurs mains. L’intégration politique du Tibet au sein de l’Empire mongol des Yuan s’est faite au cours de la première moitié du 13ème siècle.
Les seigneurs de guerre mongols n’étaient pas encore bouddhistes. Ils ne semblaient d’ailleurs pas être en recherche spirituelle, mais plutôt en campagne militaire. Les armées mongoles ont détruit le célèbre monastère de Reting, ainsi que d’autres lieux de culte dans le Nord du Tibet, tout en enrôlant des Tibétains dans leurs rangs. Tout cela s'est passé avant la « grande conversion au bouddhisme », ordonnée par la dynastie mongole Yuan.
Ce n’est que durant la seconde moitié du 13ème siècle que les Mongols ont choisi le bouddhisme tibétain comme religion d’État. Vu la taille énorme de leur royaume, une religion structurée et hiérarchisée était plus adaptée que leur animisme clanique. Ce n’est qu’en 1260 qu’un maître tibétain fut choisi pour représenté le lamaïsme à la cour de Kubilai Khan (1216-1294) à Beijing. Cette nomination est à l’origine de ce que l’on appelle encore aujourd’hui la relation de « maître spirituel à maître politique ».
Un autre point qui n’est généralement pas soulevé par les défenseurs de l’indépendance du Tibet : au cours du 13ème siècle, les bases pour une gestion indépendante de la province actuelle du Qinghai se sont posées, tant du point de vue militaire que politique. C'est à cette époque que le Prince Godan a reçu ce territoire de Kubilai Khan qui, de ce fait, échappait au contrôle de Lhassa. La région n’était d’ailleurs pas habitée par des Tibétains, mais par les « Xia » qui furent quasiment décimés par les troupes mongoles en 1227. Or les défenseurs actuels de l’indépendance du Tibet prétendent que le Qinghai appartient « depuis toujours » au royaume tibétain, et ce jusqu’à la prise de pouvoir par le régime communiste. Aussi exigent-ils son « retour » dans leur « Grand Tibet libre et indépendant ».
L'entièreté de la province chinoise du Qinghai est revendiquée par le 14ème dalaï-lama. Elle est pourtant peuplée d’un mélange de groupes ethniques. Des groupes mongols y sont restés depuis le 13ème siècle, du temps où le Qinghai était le lieu de rencontre et de combat entre Tibétains et Mongols. Les armées mongoles ont amené des prisonniers arabes dans cette région. Ceux-ci ont donné naissance aux populations Hui et Salar, assez nombreux au Qinghai actuel.
Or pour le gouvernement du 14ème dalaï-lama, le « Grand Tibet indépendant doit être ethniquement pur pour sauvegarder la culture tibétaine». Les Chinois n'y sont pas bienvenus, mais qui sont ces Chinois ? Les Mongols, de nationalité chinoise, peuvent rester parce qu’ils se sont convertis au bouddhisme, mais les Hui et les Salar, aussi de nationalité chinoise, doivent quitter les lieux puisqu'ils sont musulmans. Ceci n’est pas textuellement écrit dans les édits du gouvernement tibétain en exil, mais les Mongols sont cités comme « peuple ami », les autres sont étiquetés de « colons chinois établis au Qinghai depuis la République Populaire chinoise ».
Notes :
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Soinam Benjor dans le magazine “China’s Tibet”, été 1992.
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Gyurme Dorje dans le “Tibet Handbook”, Footprint Handbook, England, 1996.
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Zheng Shan dans “A History of Development of Tibet”, Foreign Languages Press, Beijing, 2001.
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R.A. Stein dans “La Civilisation Tibétaine”, L’Asiathèque, rééd. 1996, pages 42-46.