La violence est inhérente aux institutions religieuses
par Vincent Perrault , le 16 février 2016
L'expansion du bouddhisme, contrairement à celle de l'Islam et du christiannisme, est plus limitée, alors qu'il est plus ancien que ces deux religions. Globalement, les pays de l'Asie, inspirés par la Chine, ont évité de tomber sous la coupe d'un pouvoir religieux, alors que ce fut le cas au Moyen Orient et en Occident. Il reste une diversité de croyances plus importante en Asie (qui remonte à l’Antiquité), alors qu'en Europe et pratiquement dans tout le Moyen Orient, sans parler des indigènes d’Amérique, les anciennes croyances religieuses ont quasi toutes disparues.
La pluralité des dieux dans le bouddhisme et le nombre de "shismes" qu'il a subi montrent que cette "religion" n'a pas eu le caractère monothéiste et détenteur d'une vérité universelle. Par cette diversité, le bouddhisme se détache du monothéisme, il s'impose moins, il est moins nocif. Cela n'a pas empêché pas des dérives dangereuses et sectaires - les rivalités entre écoles occupent l'espace -, et la mise en place d'un régime théocratique médiéval.
Pour ces raisons, je suis content que l'on démystifie le bouddhisme et que l'on présente ses travers, car il y en a! Ils sont propres à chaque croyance et plus largement propres à l'homme. Je suis d'ailleurs persuadé que si les bouddhistes avaient mit la main sur le pouvoir chinois dans le passé, il y aurait eu plus de guerres et de désastres à déplorer.
Aujourd'hui, combien de tensions se soulèvent encore en Asie poussées en avant par les bouddhistes? Quelques remous en Birmanie, mais ailleurs, au Japon, en Chine, en Mongolie, les bouddhistes sont loin de faire des attentats terroristes. En Inde, il y a largement plus de tensions, à la fois entre musulmans et hindous, mais aussi au sein même du peuple indien et de leur différentes croyances. Mais quelles sont les religions qui aujourd'hui détruisent et s'étendent le plus ? Chrétiens et musulmans: les même qu'hier! Or qui veut pouvoir pratiquer sa religion sans qu'on l'ennuie? L'ensemble des peuples de la terre qui n'ont pas eu à se voir imposer une foi qui n'est pas la leur.
Je veux vous citer toutefois le dalaï lama qui dit dans un de ses livres: " Je ne souhaite pas que les gens se convertissent au bouddhisme spontanément, ils sont libres de s'y intéresser, de rester athée, ou de le pratiquer tout en gardant leur religion actuelle." Il s'agit peut-être d'un langage hypocrite, mais si dans ses propres ouvrages, il déconseille de rejoindre le bouddhisme sans avoir réfléchi, on ne peut pas parler d'un prosélytisme actif. C'est sans doute pour lui une manière de mettre en garde en raison des dérives que connait sa religion. Il y a quelque chose de positif ici pour moi, et d'honnête, ce qui ne l'empêche pas d'être toujours une "figure publicitaire" qui se laisse largement instrumentalisée, mais voilà il met en garde, et c'est à noter.
Par ailleurs, il est utile de rappeler que, malgré le message pacifiste du Dharma et le langage tolérant du dalaï-lama, aucun des pays bouddhistes n'a échappé à la violence de ses écoles. Ces violences sont sans doute moins connues car la proportion de bouddhistes est faible (6%) comparée à celle des grandes religions monothéistes :32,8 % pour les chrétiens, 19,6 % pour les musulmans, et 12% pour les hindouistes.
Ci-dessous quelques exemples récents d'exactions bouddhistes...
En Birmanie :
fin mars 2013, plus de quarante musulmans ont été tués à Meiktila par le Mouvement 969, un mouvement bouddhiste extrémiste et islamophobe qui s'en prend essentiellement à la minorité musulmane Rohingya. Des mosquées, des écoles et des magasins tenus par des musulmans ont été incendiés par ces extrémistes bouddhistes qui considèrent l'Islam comme une menace pour la Birmanie, pourtant très majoritairement bouddhiste.
Au Bouthan :
Depuis 1985, une loi impose la culture bouthanaise à l'ensemble du royaume. Une population d'origine népalaise, les Lhotshampa, vivant au Bouthan depuis quatre à cinq générations se voit privée de sa citoyenneté. Ils sont chassés du pays au Bonheur National Brut et se retrouvent entassés par dizaine de milliers dans des camps en Inde.
Au Japon :
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la majorité des temples bouddhistes Zen ont soutenu la militarisation du Japon. A ce propos, il est intéressant de lire le « Zen en guerre », du moine soto Brian Victoria, car on pense souvent chez nous que le Zen échappe à la violence, or il n'en est rien.
Autre exemple au Japon, le 20 mars 1995, la secte bouddhiqe Aum Shinrikyo a perpétré l'attentat au gaz sarin dans le métro de Tokyo, causant 12 morts et plus de 5500 blessés.
En Thaïlande :
Dans le cadre du conflit dans le Sud de la Thaïlande, les agressions de musulmans contre des religieux bouddhistes ont poussé l’armée à transformer les monastères en bases militaires et à organiser les populations bouddhistes en groupes d’autodéfense (estimation de 70 000 volontaires bouddhistes en 2013).
Au Sri Lanka:
70 % de la population est bouddhiste, contre moins de 10 % de musulmans. Dans les années 2010, des moines bouddhistes s'en prennent violemment aux musulmans, les mosquées sont vandalisées. En juin 2014, trois personnes sont mortes et 78 ont été gravement blessées suite à des heurts entre des bouddhistes extrémistes et des musulmans dans une zone touristique, à Aluthgama.
Au Laddakh :
En 1989, l'Association bouddhique du Ladakh a lancé un appel au boycott des magasins musulmans, en raison d'une volonté de ces derniers d'indépendance et de rattachement au Pakistan de cette région. L'appel a également été reconduit en 1992, puis différents bâtiments musulmans ont été incendiés. Différentes batailles ont eu lieu entre les deux communautés, ainsi que des conversions forcées de musulmans au bouddhisme.
En Inde :
En 1997, le moine Lobsang Gyatso et plusieurs de ses disciples, ont été assassiné à Dharamsala. Dans ses écrits, Lobsang Gyatso dénonçait l'expansion sectaire du culte bouddhique de Dordjé Shugden. Pour l'écrivain britannique Pico Iyer, la plupart des observateurs s'accordèrent pour penser que le meurtre est lié aux pratiquants de Shugden. En 2015, Lama Tseta, un ancien dirigeant du mouvement Shugden, affirma que le mouvement complota pour tuer Lobsang Gyatso ainsi que quatre autres personnes dont le dalaï-lama. Mais ce qu'on n'a pas trop raconté c'est qu'une intervention personnelle et autoritaire du dalaï-lama en ce qui concerne la religion Shugden n’a pas été appréciée. Le 6 juin 1996, il a décrèté une interdiction à propos du culte de la divinité Shugden. Une révolution religieuse et culturelle a suivi et des groupes d’activistes sont envoyés dans les temples tibétains en Inde pour y retirer chaque représentation de la divinité Shugden.
Au Tibet :
Selon Barbara Demick, lors des émeutes du 14 mars 2008 à Lhassa, nombre des magasins et des restaurants attaqués et détruits par les bandes d'émeutiers tibétains étaient tenus par des musulmans. Un groupe d'émeutiers essaya même de prendre d'assaut la principale mosquée de la ville, parvenant à mettre le feu à l'entrée principale61.
Un témoin occidental, James Miles, interviewé par CNN, déclare : « Ce que j'ai vu était une violence organisée ciblée contre un groupe ethnique, ou devrais-je dire deux groupes ethniques, essentiellement l'ethnie Han chinoise vivant à Lhassa, mais aussi les membres de la minorité musulmane Hui à Lhassa ». « Presque tous les autres commerces ont été brûlés, pillés, détruits, réduits en pièces, les biens ont été traînés dans les rues, entassés, brûlés. C'était un déversement de violence ethnique de la nature la plus déplaisante qui soit, qui surprit certains témoins tibétains ». On a pu observer des moines bouddhistes briser des vitrines et distribuer des armes aux bandes de jeunes Tibétains.
En Chine :
Depuis 2011, au moins 143 moines, nonnes et laïcs tibétains se sont immolés demandant, selon l'association « International Campain fot Tibet » (la devanture du dalaï lama), la liberté au Tibet et le retour du dalaï-lama. Au moins 116 d'entre eux sont morts. La plupart de ces immolations se sont produites dans la province du Sichuan qui comprend environ 1,5 million de Tibétains. Le « bouddha vivant » Gyalton, vice-président de l'association bouddhiste du Sichuan a dénoncé la série d'immolations comme manifestation d'extrémisme nuisible au développement du bouddhisme. Il a qualifié le suicide de grave déviation par rapport aux principes du bouddhisme, et l'auto-immolation d'acte contre nature. Ces immolations causent, selon lui, effroi et répulsion et risquent d'amener petit à petit la population à perdre la foi. Le dalaï lama a dit la même chose.