Au cœur du World Uyghur Congress : le réseau de droite qui veut faire tomber la Chine
par Ajit Singh, le 29 août 2020
Tout en se faisant passer pour une organisation de défense des Droits de l’Homme, le World Uyghur Congress (WUC) est un réseau séparatiste financé et dirigé par les États-Unis qui a forgé des alliances avec des groupes ethno-nationalistes d'extrême droite. L’objectif énoncé par ses fondateurs est clair: la déstabilisation de la Chine et le changement de régime à Pékin.
Ces dernières années, peu d'histoires ont suscité autant d'indignation en Occident que la condition des musulmans ouïghours en Chine. Les reportages sur la question sont généralement présentés comme des fuites d'informations apparemment spontanées et des expressions de résistance par des militants ouïghours des Droits de l'Homme qui luttent pour être entendus contre un gouvernement chinois tyrannique.Vrai ou faux, presque tout ce qui apparaît dans les récits des médias occidentaux sur les musulmans ouïghours de Chine est le produit d’une campagne médiatique soigneusement conçue, générée par un appareil de séparatistes ouïghours de droite et anticommunistes financés et formés par le gouvernement étatsunien.Ce réseau, qui constitue un rouage essentiel de la nouvelle guerre froide de Washington contre la Chine, a une longue histoire de relations avec l’US National Security State [terme qui fait référence à la fois à la doctrine en tant que telle mais aussi aux institutions issues du National Security Act de 1947: CIA, Dept. de la Défense] et des ultra-nationalistes d'extrême droite.
Au cœur de ce mouvement se trouve le World Uyghur Congress (WUC), une organisation internationale ouïghoure qui prétend être engagée dans une lutte "pacifique, non-violente et démocratique" pour les "Droits de l'Homme". Le WUC considère que la région du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, est le Turkestan Oriental et considère ses habitants musulmans ouïghours non pas comme des citoyens chinois mais comme les membres d'une nation pan-turque qui s'étend de l'Asie Centrale à la Turquie.
Comme l'établit cette enquête, le WUC n'est pas un mouvement local, mais un organisme de tutelle, soutenu par le gouvernement étatsunien, de plusieurs groupes basés à Washington financés et dirigés par les États-Unis. Aujourd'hui, il représente le principal visage et la voix la plus écoutée d'une opération séparatiste visant à déstabiliser la région du Xinjiang en Chine avec pour but ultime de renverser le gouvernement chinois.
Tout en cherchant à orchestrer une "révolution des couleurs" dans le but de changer de régime à Pékin, le WUC et ses ramifications ont noué des liens avec les Loups Gris, une organisation turque d'extrême droite qui s'est activement engagée dans la violence sectaire entre la Syrie et l'Asie de l'Est.
Aucun de ces liens ne semble avoir troublé les sponsors du WUC à Washington. Au contraire, ils ont renforcé l’attrait du réseau, en en faisant l’une des armes politiques les plus puissantes utilisées par les États-Unis dans leur nouvelle guerre froide contre la Chine.
Le bras armé du gouvernement étatsunien pour le changement de régime présente : le World Uyghur Congress
Le WUC se présente comme un "mouvement d'opposition contre l'occupation chinoise du Turkestan Oriental [sic]" qui "représente les intérêts collectifs" et est "la seule organisation légitime du peuple ouïghour au Turkestan Oriental et à l'étranger".Basée à Munich, en Allemagne, le WUC est une organisation parapluie internationale avec un réseau de 33 affiliés dans 18 pays à travers le monde. Le WUC et ses affiliés - en particulier la Uyghur American Association, la Uyghur Human Rights Project, and Campaign for Uyghurs - sont cités dans presque tous les reportages des médias occidentaux sur les musulmans ouïghours de Chine.
Le WUC est soutenu depuis sa création par la National Endowment for Democracy (NED). Avec des millions de dollars des contribuables étatsuniens, la NED et ses filiales soutiennent les partis d'opposition, les groupes de la "société civile" et les organisations médiatiques dans les pays ciblés par les États-Unis pour un changement de régime.
Philip Agee, le regretté opposant militant contre les pratiques de la CIA, décrivait le travail de la NED comme une version plus sophistiquée des opérations secrètes à l'ancienne que Langley [siège de la CIA] avait l'habitude de concevoir. "Aujourd'hui", expliquait Agee, "au lieu que la CIA se promène en coulisses et essaie de manipuler le processus en injectant de l'argent ici et en donnant des instructions en secret et ainsi de suite, ils ont maintenant un acolyte qui est ce National Endowment for Democracy, NED".
L'évaluation d'Agee a été confirmée par Allen Weinstein, ancien trotskyste et membre fondateur de la NED. En 1991, Weinstein déclare au Washington Post: "Une grande partie de ce que nous faisons aujourd'hui a été fait secrètement il y a 25 ans par la CIA."
Lorsque le WUC est fondé en 2004, Louisa Coan Greve, alors responsable du programme Asie de la NED, salue cette décision comme une "grande réussite".
La NED fournit au WUC des millions de dollars de financement, dont 1 284 000 $ depuis 2016 seulement, et des millions de dollars de financement supplémentaire à ses organisations affiliées. Les subventions sont destinées à la formation des militants et des jeunes Ouïghours au plaidoyer et au lobbying dans les médias "pour sensibiliser et soutenir les Droits de l'Homme ouïghours", en mettant un accent particulier sur le Congrès des États-Unis, le Parlement Européen et les Nations Unies.
En 2018, la NED a fourni au WUC et à ses ramifications près de 665 000 dollars, selon l’ancien site Web de l'organisation.
La NED joue un rôle direct en façonnant la direction et la politique du WUC. Non seulement, la NED associe des organisations affiliées au WUC à des agents à elle, comme Coan Greve, mais elle parraine et organise aussi des "séminaires de formation au leadership" annuels pour le WUC depuis 2007.
De nombreux membres éminents du WUC ont également occupé des postes de direction pour Radio Free Asia (RFA) et Radio Free Europe / Radio Liberty (RFE / RL). Ces agences de presse gérées par le gouvernement étatsunien ont été créées par la CIA pendant la guerre froide pour diffuser de la propagande en Chine et en Union Soviétique et pour éveiller l’opposition au communisme aux frontières de ces pays.
Sans surprise, le WUC est étroitement aligné sur l’agenda de politique étrangère de Washington et sur sa nouvelle stratégie hostile de la guerre froide qui cherche à contenir et à empêcher l'essor de la Chine. Le WUC rencontre régulièrement des politiciens étatsuniens et occidentaux et fait pression sur eux en les exhortant à isoler la Chine et à "augmenter la pression sur elle", à renforcer les sanctions économiques, à réduire les liens avec la Chine et à retirer les entreprises occidentales de la région.
Le WUC a célébré l'adoption de la Loi Ouïghour 2019 (The Uyghur Act of 2019) par la Chambre des Représentants des États-Unis, en décembre 2019. Ce projet de loi, qui demande à l'administration Trump de prendre des sanctions contre le gouvernement chinois, est la dernière en date d'une série d'actions contre la Chine.
L’impact le plus fort de cet appareil de changement de régime est médiatique, fournissant une source constante de dissidents ouïghours autoproclamés et d'histoires d'horreur sur les Droits de l'Homme aux journalistes occidentaux avides. L'exposition dont bénéficient le WUC et ses affiliés va bien au-delà des grands médias connus pour faire écho aux sujets de discussion de politique étrangère de Washington; même des médias ostensiblement contestataires, progressistes et de gauche tels que The Intercept, Democracy Now! et Jacobin Magazine leur fournissent une plate-forme dénuée de critique.
Tout en adoptant le récit du WUC, ces médias alternatifs autoproclamés ne semblent jamais mentionner les liens étroits que l’organisation et ses ramifications ont tissés avec l’US National Security State et les mouvements ethno-nationalistes de droite à l’étranger. Pourtant ces relations ne sont pas secrètes. En fait, elles semblent même être une source de fierté pour le leadership du WUC.
Les racines d'extrême droite du mouvement des "Droits de l'Homme" ouïghour
Derrière sa façade droit-de-l'hommiste soigneusement construite, le mouvement séparatiste ouïghour est né d’éléments du Xinjiang qui considèrent le socialisme comme "l'ennemi de l'Islam" et qui ont cherché le soutien de Washington dès le début, se présentant comme des fantassins avides de l'hégémonie étatsunienne.
Isa Yusuf Alptekin est le père fondateur de ce mouvement séparatiste. Son fils, Erkin Alptekin, a fondé le WUC et en a été le premier président. Alptekin père est appelé "notre défunt leader" par le WUC et son actuel président Dolkun Isa.
Né au tournant du 20e siècle, Isa Yusuf Alptekin est le fils d'un responsable du gouvernement local du Xinjiang. Dans sa jeunesse, il reçoit une éducation largement islamique, car sa famille veut qu'il soit un érudit religieux.
Pendant la guerre civile chinoise qui fait rage entre les nationalistes et les communistes de 1945 à 49, Alptekin sert sous l'administration nationaliste du Kuomintang (KMT) au Xinjiang. Tout au long de cette période, le KMT reçoit un soutien militaire et économique massif des États-Unis - y compris des milliards de dollars en espèces et du matériel militaire, ainsi que le déploiement de dizaines de milliers de Marines étatsuniens - dans le but d'étouffer la révolution chinoise.
Dans le même temps, selon l'historienne Linda Benson, Alptekin "devient plus actif tant dans la politique du Guomindang [sic] qu'au niveau national... et rencontre plusieurs fois [le leader du KMT] Tchang Kaï-chek en personne". Pour Alptekin et ses compagnons de voyage, qui font la promotion du nationalisme turc et de l’indépendance éventuelle de la région, "la nécessité de protéger le territoire qu'ils appellent Turkestan Oriental du communisme soviétique et chinois, tous deux considérés comme des dangers réels et actuels pour les peuples islamiques, est très importante".
Pour le KMT, des militants ouïghours comme Alptekin sont les principaux candidats à l’administration provinciale du Xinjiang. Comme l'a expliqué Benson, "la qualification essentielle de ces candidats... est qu'ils sont anticommunistes et antisoviétiques". Dans ses mémoires, Alptekin révèle qu'il "cherchait à éliminer tous les Russes et les gauchistes du gouvernement", et déclare que "les écoles étaient également encouragées à inclure l'instruction religieuse dans leur programme".
Fervent opposant au métissage, Alptekin œuvre pour empêcher les mariages mixtes entre Chinois han et musulmans ouïghours. Pendant son mandat au gouvernement, des fondamentalistes religieux "attaquent les maisons des Chinois han qui sont mariés à des femmes musulmanes […] La foule enlève les femmes musulmanes et, dans certains cas, les malheureuses sont forcées d'épouser de vieux musulmans". Bien que la violence ait tué de nombreux Chinois han, elle se déroule sans aucune réponse du gouvernement pendant le mandat d’Alptekin.
Alors que la guerre civile se poursuit, Alptekin, frustré par le déclin du pouvoir des nationalistes, rencontre des consuls étatsuniens et britanniques au Xinjiang, implorant les deux puissances de renforcer leur intervention en Chine et dans la région. Après la victoire de la Révolution Chinoise, Alptekin s'exile en 1949.
Alptekin s'installe finalement en Turquie et émerge comme le principal dirigeant du mouvement séparatiste ouïghour tout au long de la seconde moitié du XXe siècle. Il entreprend de mobiliser le soutien international pour la cause de l'indépendance du Turkestan Oriental, en courtisant les principaux responsables étatsuniens et les idéologues d'extrême droite et néo-ottomans en Turquie.
Le chef séparatiste ouïghour écrit à plusieurs reprises au président étatsunien de l'époque, Richard Nixon, pour lui demander de soutenir le séparatisme du Turkestan Oriental. Dans une missive de 1969 adressée au président, Alptekin déclare son soutien inconditionnel à la guerre des États-Unis contre le Vietnam: "Nous sommes optimistes et heureux que les États-Unis, en tant que forteresse de la liberté, protègent les nations captives", déclare-t-il. Altepkin plaide alors pour que son "Excellence" Nixon et les États-Unis, "le protecteur le plus éminent des nations captives", soutiennent l'indépendance du Turkestan Oriental.
Alptekin écrit de nouveau à Nixon l'année suivante pour l'avertir des maux de la "Chine rouge". Il qualifie le pays de "grande menace à laquelle le monde entier, sous la houlette des États-Unis d'Amérique, est confronté. Cette menace est maintenant en train d'évoluer pour engloutir la terre. Si on lui laisse le temps, elle peut bouleverser l'équilibre du monde au détriment des nations libres".
"Le monde entier a des raisons de craindre la Chine rouge", insiste Alptekin auprès de Nixon, "car il s'agit probablement d'une menace irrésistible [sic] sur la terre… La Chine est aujourd'hui l'une des plus grandes nations du monde où l'enseignement marxiste ait été mis en œuvre... La Chine peut s'avérer être une plus grande menace encore pour le monde entier, et cette menace est susceptible de provoquer une destruction totale des nations libres si elles ne sont pas prudentes et prévoyantes."
Alptekin conseille à Nixon de mener la "guerre de conquête mondiale de la Chine" en soutenant les mouvements séparatistes, notamment celui des nationalistes du Turkestan Oriental, et en "accélérant le processus de démembrement de l'empire chinois".Élaborant une stratégie détaillée de changement de régime pour Washington, Alptekin exhorte les Etats-Unis à susciter un soutien à sa cause dans le "monde libre", à créer un institut universitaire pour étudier "chaque aspect" des nationalités minoritaires vivant en Chine, à développer une propagande médiatique ciblant ces nationalités minoritaires en exploitant "un réseau de radios diffusant pour ces peuples dans leurs langues respectives", à "concevoir un plan pour assurer la collaboration" des nationalités minoritaires et à "former les enfants des exilés non chinois à l'étranger".En 1970, Alptekin se rend à Washington pour rencontrer des membres du Congrès étatsunien et s'adresser à la Chambre des représentants.
Forger des liens avec les nationalistes turcs fascistes et ethno-suprémacistes
Tout en sollicitant le soutien de Washington, Alptekin développe des liens étroits avec l'extrême droite turque. Ces liens reposent sur une base solide de zèle anticommuniste et de nationalisme pan-turc et néo-ottomaniste.
À de nombreuses reprises, Alptekin rencontre Alparslan Türkeş, un fasciste ultra-nationaliste qui croit ardemment en la supériorité ethnique turque sur les minorités comme les Kurdes et les Arméniens, et pour qui l'éradication du communisme parmi les populations turques de l'Asie centrale soviétique et du Xinjiang est "le rêve qu'il chérit le plus".
Türkeş a longtemps dirigé le Parti d'action nationaliste (MHP), un parti d'extrême droite, et son bras paramilitaire, les Loups Gris. Selon le Washington Post, il a dirigé un groupe meurtrier de "terroristes de droite" qui étaient "aveuglément nationalistes, fascistes ou presque, et déterminés à exterminer les communistes". Le groupe militant fasciste a tué de nombreux militants de gauche, des étudiants, des Kurdes et a notamment tenté d'assassiner le pape Jean-Paul II.
Grâce à un entraînement militaire étatsunien, Türkeş a cofondé la cellule turque de l'opération Gladio, le réseau de groupes paramilitaires anticommunistes "Stay Behind" soutenu par les États-Unis et l'OTAN, qui ont perpétré de nombreux actes de terreur et de sabotage à travers l'Europe.
Alptekin semble avoir partagé la politique haineuse de Türkeş et de l'extrême droite turque, exprimant souvent des opinions anti-arméniennes, notamment la négation du génocide arménien et les allégations selon lesquelles les Arméniens seraient les meurtriers de Turcs innocents.
La droite turque a accueilli à bras ouverts le mouvement séparatiste du Turkestan Oriental, qu'elle considère comme une base essentielle de soutien politique. "Les martyrs du Turkestan Oriental sont nos martyrs", a déclaré Recep Tayyip Erdoğan, alors maire d'Istanbul, lors de l'inauguration d'un parc nommé en l'honneur d'Alptekin, après la mort du nationaliste ouïghour en 1995.
Au cours des dernières décennies, le mouvement séparatiste ouïghour a approfondi ses liens avec Washington et l’US national security state. Le WUC et ses organisations affiliées - y compris la Uyghur American Association, le Uyghur Human Rights Project, et la Campaign for Uyghurs - sont composés d'individus ayant des liens directs avec le gouvernement des États-Unis mais aussi avec l'armée et l'establishment du changement de régime.
Inspiré par les révolutions de couleur favorables au marché libre engendrées par le gouvernement étatsunien dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, le réseau de changement de régime du WUC s’est fixé comme objectif clair de déstabiliser la Chine et de renverser son gouvernement.
En s'engageant à détruire la Chine, les dirigeants de la WUC gagnent l'adulation et le soutien de l'Occident
En 2004, Erkin Alptekin est nommé président inaugural du WUC. Il est le fils de la figure paternelle d'extrême droite et ultra-nationaliste du mouvement séparatiste ouïghour, Isa Yusuf Alptekin, dont nous venons d'exploré le parcours. De 1971 à 1995, Erkin Alptekin travaille pour le réseau de médias RFE / RL financé par le gouvernement étatsunien.
S'exprimant lors des funérailles de son père, en 1995, le jeune Alptekin expose ses vues anticommunistes et séparatistes et exprime son désir de détruire la Chine: "Il y a dix ans, personne ne croyait que l'URSS allait s'effondrer, maintenant on peut le constater. De nombreux pays turcs sont aujourd'hui libres. Aujourd'hui, la même situation s'applique à la Chine. Nous croyons que dans un avenir pas si lointain, nous verrons la chute de la Chine et l'indépendance du Turkestan Oriental".
Le WUC décrit Alptekin comme un "ami proche" du Dalaï Lama, figure de proue du séparatisme tibétain soutenu par les États-Unis et financé par la CIA. "Nous travaillons en étroite collaboration avec le Dalaï Lama", déclare Alptekin au Washington Post en 1999. "Il est un très bon exemple pour nous."
En 2006, Erkin Alptekin a été succédé à la présidence du WUC par Rebiya Kadeer, une entrepreneure de l'immobilier et du commerce multimillionnaire autoproclamée qui a profité des réformes économiques chinoises des années 1980 et prétend avoir été la septième personne la plus riche du pays. Selon le New York Times, la "dissidence de Kadeer a entraîné la fin de son Audi, de ses trois villas et de son vaste empire commercial". Le mari de Kadeer, SIdik Rouzi, a travaillé pour les médias du gouvernement étatsunien Voice of America et Radio Free Asia.
Au cours de son mandat en tant que présidente du WUC, Kadeer rencontre à plusieurs reprises le président étatsunien de l'époque, George W. Bush. Alors que Bush mène sa guerre illégale contre l'Irak et persécute les dirigeants musulmans étatsuniens sous prétexte de sa soi-disant "guerre contre le terrorisme", Kadeer appelle le chef de l’État étatsunien à défendre la cause des musulmans ouïghours. "J'ai été profondément honorée de rencontrer le président", déclare Kadeer. Elle exprime "sa gratitude pour l'engagement démontré par le président Bush à promouvoir la liberté et les réformes démocratiques en RPC".
Lors de la Conférence Internationale pour la Démocratie et la Sécurité de 2007 à Prague, Bush félicite Kadeer en tant que défenseure des Droits de l'Homme dans son discours avant le rassemblement. La conférence est organisée par le Prague Security Studies Institute, un groupe de réflexion qui vise à faire progresser les sociétés de marché libre dans les États postcommunistes, et l'Adelson Institute for Strategic Studies, une organisation israélienne nommée en l'honneur du baron des casinos républicain ultra-sioniste Sheldon Adelson. Parmi les partenaires de la conférence on compte aussi le gouvernement étatsunien et l'OTAN.
Kadeer a entretenu des relations étroites avec le Dalaï Lama et Vaclav Havel, le leader de la "révolution de velours" qui a fait tomber le gouvernement communiste de la Tchécoslovaquie. Havel est un "grand partisan de l'OTAN" et a joué un rôle déterminant dans l’expansion de l’alliance militaire occidentale vers l’est. Kadeer décrit Havel comme "un défenseur intransigeant de la vérité, de la justice et de la paix" et cite ses réalisations politiques comme un exemple à imiter pour la Chine. "La vision de M. Havel pour le peuple tchèque [...] interpelle les démocrates chinois d’aujourd'hui", écrit Kadeer, après la mort de Havel, et "contient [...] les germes d'une nouvelle ère de réforme politique en Chine".
L’actuel président du WUC est Dolkun Isa, lauréat du prix de la démocratie 2019 de la NED. En 2016, Isa a reçu un prix des Droits de l'Homme de la Victims of Communism Memorial Foundation organisme d'extrême droite créé par le gouvernement étatsunien en 1993. Dans son discours d'acceptation, Isa souligne "la résistance des Ouïghours au communisme" et que "nous n'arrêterons pas notre travail tant que nous n'aurons pas relégué cette idéologie destructrice, selon les termes de Ronald Reagan, au «tas de cendres de l'histoire»" .
Isa fait régulièrement pression sur les politiciens étatsuniens et occidentaux pour qu'ils intensifient leur nouveau programme de guerre froide en adoptant des sanctions économiques et en réduisant les liens avec la Chine. Parmi ceux qu'il a rencontrés ces dernières années, il y a des responsables de l'administration Trump à la Maison Blanche, le sénateur républicain de droite Ted Cruz, le consul général des États-Unis à Munich et le directeur intérimaire du renseignement national, Richard Grenell, qui est farouchement opposé à la Chine.
En novembre 2019, Isa participe au Forum International sur la Sécurité de Halifax, un rassemblement organisé par l'OTAN et le Ministère Canadien de la Défense Nationale. Là, il rencontre des personnalités politiques et militaires occidentales de premier plan.En janvier 2020, Isa est accueilli lors d'un événement organisé par le Conseil des Députés des Juifs Britanniques (Board of Deputies of British Jews), un groupe de pression britannique et israélien de droite. Lors de l’événement, Isa rencontre l’organisation ultra-sioniste Bnei Akiva, dont le chef a appelé l’armée israélienne à "prendre les prépuces de 300 Palestiniens" au milieu de l’attaque punitive menée par Israël en 2014 contre la bande de Gaza assiégée.
Omer Kanat est le président du Comité Exécutif du WUC. Kanat a contribué à la fondation du WUC et a été un élément permanent de sa direction. Cet agent chevronné travaille depuis longtemps avec le gouvernement étatsunien, depuis son poste de rédacteur en chef du service ouïghour de Radio Free Asia de 1999 à 2009 à la couverture des guerres étatsuniennes en Irak et en Afghanistan et en passant par l’interview du Dalaï Lama pour la station.
Dans une interview avec Max Blumenthal, rédacteur en chef de The Grayzone, lors d'une cérémonie de remise des prix NED 2018 dans le bâtiment du Capitole étatsunien, Kanat s'est vanté d'avoir fourni aux médias occidentaux de nombreuses révélations sur les camps d'internement du Xinjiang. Il a cependant reconnu que le WUC ne savait pas d’où cette histoire de "millions de détenus", souvent répétée, avait pu naître, à part "d’estimations de médias occidentaux".
Préparant une révolution des couleurs, le WUC détache du personnel auprès d'agents de la sécurité nationale
Créée en 1998, la Uyghur American Association (UAA) est une filiale du WUC basée à Washington D.C. Bénéficiaire de longue date de la NED, l'UAA a reçu des millions de dollars de financement. Selon ses déclarations fiscales accessibles au public, le groupe travaille en étroite collaboration avec le gouvernement étatsunien, en particulier le Département d'État Étatsunien (sorte de ministère fédéral des affaires étrangères), la Commission Exécutive du Congrès sur la Chine (CECC) et la Commission des Droits de l'Homme du Congrès Étatsunien.
"Le National Endowment for Democracy a apporté un soutien exceptionnel à l'UAA", a déclaré Nury Turkel, ancien président de l'AUA, "en nous fournissant des conseils et une assistance inestimables" ainsi qu'un "financement essentiel".
Turkel a attribué à la NED le mérite d'avoir permis à l'UAA d'accroître sa crédibilité et d'étendre son influence. Parmi les principales réalisations qu’il a citées figure une réunion avec le nouveau gouvernement du Kirghizistan "quelques semaines après la chute du pouvoir [de l’ancien gouvernement en 2005]" après la "révolution des couleurs" des tulipes, conçue par les États-Unis, qui a amené au pouvoir un régime pro-occidental.
S'exprimant lors du 5e Congrès de l'UAA, en 2006, Turkel a confirmé le programme de changement de régime de l'UAA, du Uyghur Human Rights Project et du mouvement séparatiste ouïghour au sens large, déclarant que "comme nous avons été témoins de la "Révolution des tulipes" et du renversement de l'ancien gouvernement du Kirghizstan, nos espoirs ont été à nouveau renforcés".
La direction de l’UAA se compose d’opérateurs de l’US National Security State, y compris des employés du gouvernement étatsunien, de Radio Free Asia et du complexe militaro-industriel.
Kuzzat Altay, le neveu de Reibya Kadeer, est l'actuel président de l'UAA. Altay est également le fondateur du Uyghur Entrepreneurs Network, qui prétend offrir aux Ouïghours étatsuniens des conseils pour "créer leur propre entreprise".
En 2019, son réseau d'affaires a organisé un événement en collaboration avec le FBI, cette agence fédérale de maintien de l'ordre bien connue pour sa surveillance des musulmans étatsuniens et pour avoir pris au piège d'innombrables jeunes musulmans étatsuniens mentalement dérangés dans des complots terroristes montés de toutes pièces.
Les anciens présidents de l'UAA incluent Kadeer; Alim Seytoff, ancien correspondant de Radio Free Asia et actuel directeur du service ouïghour; et Ilshat Hassan Kokbore, qui travaille chez Booz Allen Hamilton depuis 2008.
L’Étatsunien Booz Allen est un célèbre entrepreneur privé de l'armée et du renseignement qui engrange des milliards de dollars en contrats avec des agences de renseignement étatsuniennes. C’est dans cette entreprise que travaillait Edward Snowden lorsqu'il a décidé de dénoncer le système de surveillance de masse envahissant et global de la National Security Agency.
Le principal projet issu de l'UAA et de la NED est le Uyghur Human Rights Project (UHRP). L'UHRP a été fondée par l'UAA en 2004 avec la NED comme principale source de financement. La NED a accordé à l'UHRP la somme énorme de 1 244 698 $ entre 2016 et 2019.
L'UHRP se compose de dirigeants du WUC comme Omer Kanat et Nury Turkel, ainsi que d'anciens représentants du gouvernement étatsunien et de hauts responsables de la NED.
Le Dr Elise Anderson est la responsable du Bureau de Programmation pour la Recherche et le Plaidoyer (Program Office for Research and Advocacy) de l'UHRP. En 2019, Elise Anderson a occupé un poste au sein de la Commission Exécutive du Congrès sur la Chine, en tant que boursière Liu Xiaobo - du nom du dissident chinois d'extrême droite qui a soutenu le colonialisme, le militarisme étatsunien et "l'occidentalisation" de la Chine.
Anderson déclare qu'entre 2012 et 2016, elle était "basée à Urumqi, la capitale régionale du Xinjiang", où elle menait des recherches pour son doctorat. L'étendue de ses activités dans la région n'est pas claire, car le CV d'Anderson indique que pendant cette période, elle a également travaillé pour le gouvernement étatsunien en tant que "gardienne d'Urumqi pour l'ambassade des États-Unis à Pékin, en Chine, 2014-16".
Louisa Coan Greve, l'ancienne vice-présidente de la NED, est aujourd'hui directrice du Global Advocacy de l'UHRP pour le plaidoyer mondial. Greve a travaillé auparavant comme vice-présidente de la NED.
Rushan Abbas, la "militante des Droits de l'Homme" préférée de l'US national security state
Une autre organisation influente issue du réseau WUC est la Campaign for Uyghurs. Ce groupe est dirigé par Rushan Abbas, l'ancienne vice-présidente de l'UAA. Simplement présentée comme une "activiste des Droits de l'Homme" ouïghoure par les médias occidentaux, y compris le groupe soi-disant contestataire Democracy Now !, Abbas est en fait une agent de longue date du gouvernement et de l'armée étatsuniens.
Abbas se vante dans sa bio de sa "vaste expérience de travail avec les agences gouvernementales étatsuniennes, notamment la Sécurité Intérieure, le Département de la Défense, le Département d'État et diverses agences de renseignement étatsuniennes".
Lorsqu'elle travaillait pour l'entreprise militaire L3 Technologies, Abbas a servi le gouvernement étatsunien et la prétendue guerre contre le terrorisme de l'administration Bush en tant que "consultante à Guantanamo Bay pour soutenir l'opération Enduring Freedom". Abbas "a également travaillé comme linguiste et traductrice pour plusieurs agences fédérales, notamment pour le Département d'État Étatsunien à Guantanamo Bay (sur l’île de Cuba) ainsi que pour le président George W. Bush et l'ancienne première dame Laura Bush". Comme beaucoup de ses collègues, Abbas a fait un passage à Radio Free Asia.
Alors qu'Abbas a déjà partagé au grand jour son histoire de collaboration avec le gouvernement étatsunien, elle a tenté de supprimer les informations biographiques en ligne à la suite d'une apparition publicitaire désastreuse en décembre 2019. Lors d'un forum de questions-réponses "Ask Me Anything" de Reddit, les participants ont dénoncé Abbas comme un «"atout de la CIA" et une collaboratrice fréquente du gouvernement étatsunien, ce qui l'a incitée à tenter de faire disparaître sa biographie d'Internet.»
Outre sa collaboration avec le gouvernement étatsunien, le travail d'Abbas consiste à contribuer à l'expansion du capitalisme étatsunien dans le Sud. Elle s'enorgueillit de travailler avec des sociétés de conseil telles que ISI Consultants qui "aide les entreprises étatsuniennes à développer leurs activités sur les marchés du Moyen-Orient et de l'Afrique". Abbas affirme avoir "plus de 15 ans d'expérience dans le développement des affaires mondiales, l'analyse stratégique des entreprises, le conseil aux entreprises et les affaires gouvernementales au Moyen-Orient, en Afrique, dans les régions de la CEI, en Europe, en Asie, en Australie, en Amérique du Nord et en Amérique latine".
Célébrer les Loups gris, proposer une intervention militaire étatsunienne et turque
Parallèlement à leurs liens étroits avec Washington, le WUC et le mouvement séparatiste ouïghour maintiennent des liens étroits avec l'extrême droite turque.
En 2015, des membres des Loups Gris affiliés au MHP (Milliyetçi Hareket Partisi - Parti d'action nationaliste) anciennement dirigés par Alparslan Türkeş attaquent des touristes sud-coréens en Turquie, les prenant pour des citoyens chinois, pour protester contre la situation au Xinjiang.
Le chef du parti turc MHP, Devlet Bahçeli, défend les attaques: "Comment faites-vous la différence entre un coréen et un chinois?" s’interroge l'homme politique de droite. "Ils ont tous les deux les yeux bridés. Est-ce vraiment important ?" Les remarques racistes de Bahceli coïncident avec l'affichage d'une banderole des Loups Gris au siège du parti à Istanbul sur laquelle on peut lire "Nous avons soif de sang chinois.".
La police nationale thaïlandaise et un analyste de l’IHS-Jane [entreprise de renseignement de sources ouvertes sur les thèmes de la défense, la sécurité, les transports et la police] accusent les Loups Gris et les militants ouïghours d’avoir perpétré un attentat à la bombe contre un sanctuaire religieux en Thaïlande, tuant 20 personnes. L’attaque était destinée à se venger de la décision du gouvernement thaïlandais de rapatrier un groupe de musulmans ouïghours en Chine. Pékin affirme que les Ouïghours étaient en route vers la Turquie, la Syrie ou l'Irak pour rejoindre des groupes extrémistes combattant dans la région tels que le Mouvement Islamique du Turkestan Oriental (East Turkestan Islamic Movement – ETIM) affilié à Al-Qaïda, ou le Parti Islamique du Turkestan (Turkestan Islamic Party – TIP).
Quelques mois avant l'attentat, un groupe de 200 manifestants brandissant des drapeaux du Turkestan Oriental avait attaqué le consulat thaïlandais à Istanbul en réponse au rapatriement des Ouïghours. Le groupe aurait été dirigé par les Loups Gris et l'Association pour la Culture et la Solidarité du Turkestan Oriental (East Turkestan Culture and Solidarity Association). Cette dernière organisation était dirigée par Seyit Tümturk, qui a été vice-président du WUC de 2008 à 2016 et faisait partie du panthéon fondateur de l'organisation.
Le WUC continue de publier des articles sur son site Web qui louent et célèbrent Alparslan Türkeş, le fondateur d'extrême droite et ultra-nationaliste des Loups Gris et leader de longue date du parti MHP. Son site Web promeut également l'approbation du séparatisme du Turkestan Oriental par les dirigeants actuels du MHP et des Loups Gris.
Tout en établissant des liens avec l'extrême droite turque, les principaux représentants du WUC ont appelé le président turc Erdogan à jouer un rôle interventionniste en Chine, à l'instar des actions de la Turquie en Libye et en Syrie, où elle a soutenu les efforts de changement de régime menés par les États-Unis, l'Occident et une série de groupes extrémistes intermédiaires.
Dans un article publié dans le Wall Street Journal en 2012, Nury Turkel affirme que la Turquie peut jouer un rôle de premier plan dans le "ralliement des démocraties" pour faire pression sur la Chine dans le Xinjiang : "En tant qu'alliée de longue date des États-Unis et voisine de l'Europe, la Turquie est particulièrement bien placée pour le faire".
Comme première étape de cette stratégie, Turkel propose que la Turquie "organise une conférence des "amis des Ouïghours" avec des alliés démocratiques - similaire à celles organisées pour la Libye et la Syrie - afin de discuter de la vision et des objectifs politiques d'Ankara concernant le peuple Ouïghour en Chine".
D'autres représentants éminents du WUC ont vivement soutenu l'interventionnisme militaire turc. Les déclarations politiques de Seyit Tümturk, qui a été vice-président du WUC, soulignent la politique extrémiste et militante qui se cache derrière l’image soigneusement cultivée du WUC: une organisation de défense des Droits de l’Homme "pacifique et non-violente".
En 2018, Tümturk a déclaré que les Ouïghours chinois considèrent les "demandes de l'État turc comme des ordres". Il a ensuite proclamé que des centaines de milliers de Ouïghours chinois étaient prêts à s'enrôler dans l'armée turque et à se joindre à l'invasion illégale et brutale de la Syrie du Nord par la Turquie "pour se battre pour Dieu" - si Erdogan le leur ordonnait.
Peu de temps après les propos de Tumturk, des militants ouïghours vêtus de treillis militaires turcs, du côté turc de la frontière syrienne, ont publié une vidéo dans laquelle ils menaçent de faire la guerre à la Chine:
"Écoutez, bande de chiens, vous voyez ça ? Nous allons triompher !" s'exclame un combattant. "Nous allons tous vous tuer. Écoutez les civils chinois, sortez de notre Turkestan Oriental. Je vous préviens. Nous reviendrons et nous serons victorieux."
Traduction de l'article paru le 5 mars 2020 dans The Grayzone : https://thegrayzone.com/2020/03/05/world-uyghur-congress-us-far-right-regime-change-network-fall-china/
URL de l'article en français: https://blogs.mediapart.fr/capucinesauvage/blog/290820/au-coeur-du-world-uyghur-congress-le-reseau-de-droite-qui-veut-faire-tomber-la-chine