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Washington, atteint de la folie des grandeurs, menace la Chine au sujet du Tibet

par Albert Ettinger, le 31 janvier 2020

Décidément, on aura tout vu (ou presque) ! Voilà qu’à Washington la Chambre des représentants vote en faveur de sanctions contre des responsables chinois s'ils venaient à se mêler de la désignation du prochain dalaï-lama. Les élus délaissent pour un temps leur interminable tragicomédie ubuesque autour du fantasme des complicités russes ou ukrainiennes de l’actuel « Mr President » pour, ensemble, menacer la Chine au cas où celle-ci oserait influencer (et reconnaître !) le choix d’un dignitaire religieux … chinois.

 

Dans un article du 12 novembre 2019 (1), nous avons déjà rappelé que l’oncle Sam « arrive rarement à refréner son besoin urgent de se mêler des affaires des autres ». Un certain Sam Brownback, nommé par M. Trump « Ambassadeur itinérant des États-Unis pour la liberté religieuse dans le monde », avait alors fait la proposition, absurde, que « l'ONU s'implique rapidement dans le choix du prochain dalaï lama ». Mais vu que les extravagances des seigneurs de Washington, Républicains et Démocrates confondus, sont de moins en moins prises au sérieux par la communauté internationale, la proposition de ce « diplomate » américain, décrit à bon escient par un professeur américain comme étant « un taureau transportant un magasin de porcelaine », n’a pas eu la moindre résonance.

Mais puisque des deux partis dont les représentants s’activent dans les arènes washingtoniennes se sont donné comme symbole, fort judicieusement, l’un l’éléphant et l’autre l’âne, il fallait sans doute s’attendre à plus de casse.

Statue du 11e Panchen Lama au temple Yonghe à Pékin (Photo de Bjoertvedt, source Wikimedia Commons)
Statue du 11e Panchen Lama au temple Yonghe à Pékin (Photo de Bjoertvedt, source Wikimedia Commons)

 

Les Tibétains de Chine ont le droit de choisir leur prochain dalaï-lama !

97% environ des Tibétains vivent en Chine, contre seulement 3% qui vivent en exil. (2) Les bouddhistes tibétains, dans leur immense majorité, sont donc des citoyens chinois. C’est à eux, à leurs dignitaires religieux, en accord avec leurs dirigeants politiques, que revient le droit de choisir le prochain dalaï-lama. C’est une évidence.

Pourtant, le 29 janvier 2020, les parlementaires américains viennent de voter un texte qui « prévoit la possibilité pour Washington de geler les avoirs américains de tout responsable chinois cherchant à identifier et installer un dalaï lama approuvé par le gouvernement chinois après la mort du chef religieux, actuellement âgé de 85 ans. Ces responsables se verraient également interdire l'entrée sur le territoire américain. »

C’est hallucinant ! Et ce n’est pas tout. Cette loi qui doit encore être approuvée au Sénat et signée par le président Trump, « prévoit également d'interdire à la Chine toute nouvelle ouverture de consulat tant que les États-Unis n'auront pas reçu l'autorisation d'ouvrir une mission diplomatique à Lhassa, au Tibet. »

Après Hongkong et le Xinjiang, le Tibet revient ainsi au centre de l’ingérence et de l’interventionnisme américains à l’égard de la Chine. Imaginez un peu la réaction, par exemple, de la France si la Chine soutenait les indépendantistes corses et exigeait l’installation d’une mission diplomatique à Ajaccio, ou encore la réaction de la Grande-Bretagne si la Russie soutenait l’indépendance de l’Écosse et exigeait l’installation d’un consulat russe à Édimbourg. On pourrait ajouter la Catalogne ou la Flandre.

Le dalaï-lama en 2009 avec Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis (Source : Wikimedia Commons)
Le dalaï-lama en 2009 avec Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis (Source : Wikimedia Commons)

 

Au diable le droit international !

Cette loi américaine « contrevient gravement au droit international et aux normes fondamentales des relations internationales, c'est une ingérence grossière dans les affaires intérieures de la Chine et un mauvais signal envoyé aux forces défendant ‘l'indépendance du Tibet’ », a immédiatement réagi Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères chinois. (3)

L’incroyable outrecuidance des dirigeants de l’empire américain ne connait manifestement plus de limites. Non contents de déchirer des traités multilatéraux sans se soucier le moins du monde de l’avis de leurs « partenaires », non contents de commettre des assassinats politiques sur le territoire d’un État « allié » en violant sa souveraineté, non contents de fouler au pied le droit international et un nombre appréciable de résolutions de l’ONU et de son Conseil de sécurité en avalisant l’annexion de territoires conquis par la force (Golan syrien, Jérusalem et territoires palestiniens), non contents, encore, de harceler le gouvernement allemand et les entreprises suisses concernées afin de les empêcher d’achever le pipeline Nordstream 2, et l’Europe entière pour empêcher Huawei de participer à l’installation du réseau 5G, les États-Unis s’arrogent un droit de décision et de veto concernant des questions qui relèvent de la souveraineté chinoise. C’est d’un autre âge. On dirait que la classe politique américaine, tout en s’entredéchirant dans le cadre d’une série de tragicomédies aussi pénibles qu’absurdes, a complètement perdu la boule dans le domaine des relations extérieures.

 

Notes :

1) http://tibetdoc.org/index.php/religion/bouddhisme-tibetain-dans-le-monde/509-washington-voudrait-s-immiscer-dans-le-choix-d-un-15e-dalai-lama

2) Voir Francoise Robin, Clichés tibétains, Éditions Le Cavalier Bleu, p. 73

3) https://information.tv5monde.com/info/etats-unis-les-representants-votent-pour-proteger-le-dalai-lama-vive-indignation-de-pekin