Energie solaire sur le haut plateau tibétain

par Elisabeth Martens, le 3 avril 2021

Avec 71 % du parc mondial (chiffre de 2018), la Chine est largement en tête des pays producteurs de chaleur d’origine solaire. Pourtant, le potentiel solaire de la Chine est peu développé dans les zones de fortes activités économiques, en grande partie côtières. Mais il se rattrape dans les régions de l'ouest, du désert de Gobi jusqu'au plateau tibétain. Le maximum de potentiel solaire du pays est mesuré en Région autonome du Tibet (RAT). Dès lors, utiliser l'énergie solaire du Tibet était une évidence gouvernemental dans la course à une « Chine verte ».

La carte ci-dessous l'indique, le potentiel solaire de la Chine est assez modeste dans les régions à grande activité économique, le bassin central et les régions côtières. Par contre, il est important dans les régions du désert de Gobi, et augmente encore sur le haut plateau tibétain, seul à dépasser le seuil de 2 000 kWh/m². Les régions administratives correspondantes sont la Région autonome du Tibet (RAT), les provinces du Qinghai et du Gansu et la Région autonome de Mongolie intérieure.1

 

Potentiel de l'énergie solaire de la Chine

 

 

Avec ses 3000 heures d’ensoleillement annuel, le Tibet est la deuxième région la plus riche au monde en termes d'énergie solaire, après le désert du Sahara. En raison de la rareté de l'air sur le plateau tibétain, lorsque le rayonnement solaire pénètre dans l'atmosphère, la perte d'énergie est faible. Couplé à une faible latitude et à un climat relativement sec, le rayonnement solaire est puissant et le temps d'ensoleillement est long. À Lhassa, la quantité de chaleur solaire par heure reçue par chaque mètre carré de terre est équivalente à celle émise par un fourneau électrique d'un kilowatt pendant une heure.

Au début des années 1990, le gouvernement a lancé un vaste projet nommé « Tibet ensoleillé ». Au départ, le projet a été mis en œuvre essentiellement pour freiner le déboisement de la région. Il visait également à réduire la pénurie chronique d'électricité dans les zones agricoles et pastorales et à pourvoir tous les villages même les plus reculés d'électricité. Des cuisinières solaires ont été distribuées gratuitement par le gouvernement, par les entreprises, ainsi que par… l’ambassade allemande. Elles servent à faire cuire les aliments et à faire bouillir l'eau. Il s'agit d'une surface en miroir à haute réflectivité spéculaire qui concentre la lumière du soleil sur une petite zone de cuisson. On les rencontre partout au Tibet, dans les campagnes, dans les villages et les villes, dans les monastères. Ces paraboles solaires sont devenues des ustensiles indispensables de la vie quotidienne. Mais elles ont un usage relativement restreint et n'ont pas empêché la population rurale de récolter le peu de bois encore disponible sur le plateau tibétain alors que, par ailleurs, un programme de reboisement a aussi été mis en route. La bouse de yack est aussi ramassée, séchée et vendue, mais tout cela n'est pas suffisant pour le chauffage et la cuisine des familles et des monastères.

 

 

Paraboles solaires dans une cour intérieure de Lhassa (2008)

 

Dans les années 1990, des subsides ont été octroyés aux particuliers qui installaient des dispositifs utilisant l’énergie solaire. Les chauffe-eaux solaires sont apparus sur les toits, puis les panneaux photovoltaïques se sont multipliés comme des petits pains. Depuis les années 2000, toutes les boutiques tibétaines en proposent à leur étalage, du panneau à 20 yuan pièce (environ 2,50 €) susceptible de faire fonctionner un petit moteur, jusqu’au panneau de grande taille destiné à alimenter les appareils ménagers, l’énergie solaire a envahi le quotidien des Tibétains. Depuis cette époque, les panneaux solaires font partie du matériel emporté par les pasteurs lors de la transhumance, on en voit sur les tentes des nomades..

Panneaux photovoltaïque en vente dans une boutique de Lhassa (2008)

 

 

Panneaux solaires sur une tente traditionnelle près de Litang (2007)

 

 

Le projet « Tibet ensoleillé » a joué un rôle important dans l'accélération de l'utilisation de l'énergie solaire au Tibet. De 1990 à 2000, 50.000 paraboles solaires et 10.000 lampadaires solaires ont été installés, des maisons pourvues d'un chauffage solaire ont été construites sur une surface totale de 200.000 mètres², les chauffe-eaux solaires ont couverts une surface équivalente à 35.000 mètres², et 150 kilowatts ont été distribués par divers petits systèmes de production d'énergie photovoltaïque.2

panneaux photovoltaïques et mini éolienne pour antennes de gsm (Zhongba, 2019)

 

Depuis lors, les centrales solaires se sont multipliées au Tibet. Ces infrastructures permettent aujourd’hui au Tibet d’être la province la plus avancée en matière d’énergie solaire sur le territoire chinois.

En 2010, une centrale photovoltaïque de 10 mégawatts a été construite à Yangbajing, une ville située à 90 km au nord de Lhassa, capitale du Tibet. Elle côtoie la centrale géothermique (ou thermoélectrique) qui y était installée depuis 1977. La puissance de la centrale photovoltaïque de Yangbajing a été augmentée en 2012 pour atteindre 20 mégawatts.

En 2011, une centrale photovoltaïque de 30 mégawatts a été mise en service dans la préfecture de Xigaze, à environ 3 km au nord-ouest de Xigaze, la deuxième plus grande ville tibétaine.3 Ce fut pendant quelques années la centrale photovoltaïque la plus performante du Tibet.

 

ferme solaire proche de Xigazé (2019)

 

Mais elle a été dépassée par celle Shuanghu située dans le nord du Tibet, préfecture de Nagchu. Au début des années 1990, une centrale électrique de 25 kilowatts y fut construite. A cette époque, elle était la plus grande centrale solaire de Chine.4 Mais en 2017, une centrale photovoltaïque d'une superficie de 27 hectares est venue la supplanter, elle produit annuellement 110 mégawatts pour le quotidien de plus de 4 000 villageois de la préfecture de Shuanghu et des environs.5

L’achèvement en novembre 2013 de la centrale photovoltaïque de Ngari dans l'ouest tibétain s’inscrit elle aussi dans une politique d'autosuffisance énergétique du Tibet. Prévue pour fournir de l’électricité pendant 25 ans, la centrale de Ngari, la plus haute du monde (à 4270 mètres d’altitude), a une capacité annuelle de 10 mégawatts.

Si on déborde de la RAT, mais en restant sur le haut plateau tibétain, on peut encore citer la centrale photovoltaïque de Hainan dans le nord de la province du Qinghai (province voisine du Tibet). Elle a été construite sur « le désert de Tara », une vaste prairie semi-désertique qui en faisait l’endroit idéal pour la construction d'un parc photovoltaïque. Le parc solaire a été associé au barrage de Longyangxia, situé sur le cours supérieur du fleuve Jaune, lui-même faisant fonctionner une centrale hydroélectrique de 1280 mégawatts par 4 turbines de chacune 320 MW. Avec l’ajout du parc solaire, la centrale hydroélectrique a pu accroître son efficacité économique et optimiser l’utilisation de sa capacité annuelle. Dans sa première phase, la centrale photovoltaïque de Hainan mise en service en 2013 était directement connectée à l’une des turbines de 320 mégawatts. Une seconde phase de construction de la centrale photovoltaïque a commencé en août 2014 et a été mise en service en 2017, portant sa capacité à 530 MW.6 La centrale a été officiellement connectée au réseau électrique du Qinghai en 2018.7 A présent, sur les deux côtés des routes sillonnant le désert de Tara, de grandes surfaces de panneaux photovoltaïques solaires ont remplacé l’ancien terrain stérile.8 La ferme solaire couvre une superficie de plus de 27 kilomètres carrés et compte près de 4 millions de panneaux solaires.

 

ferme solaire dans le « désert de Tara » au Qinghai

 

 

A côté de ces centrales géantes, on trouve aussi près de 300 installations plus modestes, représentant un total de 10.000 panneaux solaires qui alimentent les villes et les villages, mais qui chauffe aussi les serres à légumes de plus en plus nombreuses sur le haut plateau, ainsi que les enclos pour le bétail en hiver ou pendant la nuit. En 2007, les logements, les serres et les étables chauffés à l'énergie solaire couvraient presque 3 millions de m² et 300.000 paysans et pasteurs bénéficiaient du solaire pour les travaux agricoles.9

Le Tibet fait figure de pionnier dans l’utilisation de l’énergie solaire. Le temps des lampes à beurre est révolu, les Tibétains d'aujourd'hui utilisent l'énergie solaire pour regarder la télévision, pour faire tourner les réfrigérateurs et charger les téléphones portables, pour broyer l'orge de la tsampa et battre le beurre, pour chauffer les maisons, les tentes, les serres, les enclos. De nos jours, les lampadaires, les cuisinières, les chauffe-eaux et les chauffages solaires sont présents partout au Tibet permettant désormais d'économiser 150.000 tonnes de charbon par an.10

 

 

serre à légumes dans la banlieue de Lhassa (2019)

 

 

petit marché de légumes à Lhassa (2019)

Notes :

1 https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nergie_solaire

2 http://m.tibet.cn/fr/index/top/202011/t20201123_6902593.htm

3 http://french.china.org.cn/business/txt/2011-03/31/content_22267430.htm

4 http://m.tibet.cn/fr/index/top/202011/t20201123_6902593.html

5 http://french.peopledaily.com.cn/Economie/n3/2017/0712/c31355-9240797.html

6 https://fr.wikipedia.org/wiki/Barrage_de_Longyangxia

7 http://m.tibet.cn/fr/aid/201901/t20190114_6480263.html

8 http://m.tibet.cn/fr/environment/201812/t20181217_6465466.html

9 http://french.china.org.cn/china/txt/2007-12/18/content_9397716.htm

10 https://business-herald.com/environnement-2/tibet-lenergie-propre