La langue maternelle du 14ème dalaï-lama est le chinois

par Jean-Paul Desimpelaere, le 26 mars 2009

La langue maternelle du 14ème dalaï-lama est le chinois et son lieu de naissance, un choix politique. Le village natal du 14ème dalaï-lama, Taktser (ou Hongya en chinois) se trouve non loin de la ville de Xining, capitale de la province de Qinghai, à mi-chemin entre Lhassa et Pékin, donc relativement loin du Tibet. Toutefois, pour le 14ème dalaï-lama, cette région fait partie de son « Grand Tibet ».

 

Les parents du 14ème dalaï-lama étaient des paysans libres, c'est-à-dire qu'ils n’étaient pas soumis au servage d’un grand propriétaire ou d’un monastère. Ils vivaient dans une région marquée par une grande diversité de populations : Han, Hui et Tibétains, principalement.

Les Tibétains ne constituaient qu’une petite minorité dans le village natal du dalaï-lama et dans les environs.

 

Cela explique que le chinois était la langue maternelle du 14ème dalaï-lama, fait qu'il a préféré taire en Europe. Il l’a prudemment admis dans ses interviews, bien que tardivement. Il n’en a rien dit non plus dans ses premières mémoires rédigées en 1990 (intitulées « Freedom in Exil », ou « Au loin la liberté »).

En 2006, il le dit plus clairement à Thomas Laird : « En ce temps là, dans mon village, on parlait une sorte de mauvais chinois. En tant qu’enfant, j’ai commencé à apprendre le chinois, mais c’était un dialecte chinois de Xining ». Xining, la capitale du Qinghai, a toujours été un carrefour important pour cette partie Nord du Haut Plateau. Dans un passé lointain, au moins quatre langues y coexistaient : tibétain, mongol, chinois et arabe.

 

Notons au passage que le 14ème dalaï-lama dit dans la même interview que, pendant son enfance, la province du Qinghai n’était pas dirigée par des Tibétains, mais par un général au service de Pékin… alors que son « gouvernement en exil » prétend que le Qinghai a été rattaché à la Chine par les communistes (1).

dans la région natale du 14ème dalaï-lama (photo JPDes., 2005)
dans la région natale du 14ème dalaï-lama (photo JPDes., 2005)

 

Le village natal du 14ème Dalaï-lama Lama compte actuellement une centaine de personnes. Il se situe juste après un grand barrage sur le cours supérieur du Fleuve Jaune. Au Sud, s’étend le département autonome tibétain, Huangnan, le long du Longwu, un affluent du Fleuve Jaune.

Le département fait partie de la province du Qinghai. Les Tibétains y sont à peine majoritaires. Y vivent aussi des Han, des Hui, des Mongol et des Salar.

 

Huangnan est très riche en temples et en monastères, tous construits après la chute du royaume tibétain des Tubo (9ème siècle). Au Tibet, à cette époque, les lamas bouddhistes ont été persécutés. Aussi ont-ils fui le Tibet, et ils ont été se réfugier, entre autres, dans la région de Huangnan.

Le temple de Nangzhong, non loin de la réserve d’eau de Lijia sur le Fleuve Jaune, est considéré comme le lieu de la Renaissance du bouddhisme tibétain au 10ème siècle, après les persécutions des bouddhistes. A cette époque, Nangzhong est devenu un lieu de regroupement pour les nyingmapa (ou bonnets rouges) (2).

 

Le lieu de naissance du 14ème dalaï-lama est un choix politique. En effet, dans son testament, le 13ème dalaï-lama avait donné des instructions quant à l’endroit où sa réincarnation devrait être recherchée : « Là-bas dans le lointain Nord-est, c’est encore le Tibet », avait-il écrit. Par « le lointain Nord-est », il signifiait l’Amdo, dans la province actuelle de Qinghai. Les lamas désignés pour les recherches du Tulkou y ont trouvé l’actuel 14ème dalaï-lama.

 

La région n’était plus gouvernée par les Tibétains depuis l’effondrement du grand royaume des Tubo au 9ème siècle. Incorporé dans l’empire chinois à partir du 13ème siècle, ce n'est qu'en 1725 que le Qinghai a finalement reçu un statut administratif clair. L’empereur Kangxi l'a nommé le « Kokonur Territorium » suite à l’anéantissement d’un soulèvement mongol et Dzoungare du Xinjiang.

Quelques années plus tôt, l’empereur Kangxi avait déjà chassé les Dzoungares du Tibet qui avait été ravagé par ces derniers.

 

Les dalaï-lamas n’ont jamais régné sur le Qinghai, tout au plus sur l’actuel Tibet. Les réincarnations des dalaï-lamas ont invariablement été trouvées au centre du Tibet. Alors pour quelle raison le 13ème dalaï-lama épingla-t-il un point sur la carte qu’il nomma « le lointain Nord-est, encore le Tibet », alors qu’il s’en situait fort loin ? Devons-nous vraiment nous poser cette question ? Chez nous un pape n’a pas besoin d’être romain, quelquefois il peut s’agir d’un polonais, voire latino. Mais il y a souvent des raisons à cela.

 

En effet, il y avait aussi des raisons pour que le 13ème dalaï-lama épingle un point du ‘Kokonur’. En 1913, avec l’aide des Anglais, il avait retracé la carte du Tibet, il le nomma le « Grand Tibet ». Il s'agissait d'un territoire immense (le double de la province du Tibet) qui équivaut à cinq fois la France et qu’il décréta indépendant. Il profitait de la faiblesse de la toute nouvelle « République de Chine » (1911).

Ce qu’il désigna comme « Grand Tibet » recouvrait le royaume des Tubo des 8ème et 9ème siècle. Mais le 13ème dalaï-lama n’a pas pu concrétiser son rêve d’un Grand Tibet indépendant. 

 

Comme le formulait son prédécesseur, l’actuel 14ème dalaï-lama est né à la frontière fictive de ce « Grand Tibet ». Dans une interview de Laird, il déclare : « Maintenant, les gens de l’Amdo éprouvent un sentiment particulier vis-à-vis du Tibet parce que le panchen lama et moi-même sommes tous deux originaires de l’Amdo. Pendant les siècles précédents, l’Amdo était séparé du Tibet central, mais comme nous sommes tous deux nés là-bas, ils se sentent aujourd’hui plus reliés au Tibet. En cela, mon lieu de naissance a eu une influence ».

Il semble que le 14ème dalaï-lama ait voulu reprendre à son compte le rêve du 13ème, la création d'un « Grand Tibet libre », c'est-à-dire indépendant de la Chine. De son lieu d'exil, il s'y essaye mais cela ressemble fort à autant de provocations.

 

En 1984 d’abord, au cours de rencontres avec des dignitaires tibétains − initiées par Pékin après l'arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping qui désirait mettre rapidement derrière lui la question tibétaine (envisageant même le retour du dalaï-lama au Tibet sous certaines conditions), les émissaires de Dharamsala sont arrivés à la table des négociations avec cette revendication qui n’avait aucune chance d’aboutir, à savoir la création du « Grand Tibet », qui aurait amputé la Chine d'un quart de son territoire et aurait entraîné l'expulsion des ethnies non tibétaines. 

 

En 1987 ensuite, optant pour la fuite en avant, l'« Océan de Sagesse » est venu chercher l’appui du « monde libre » en présentant devant la Commission des Droits humains du Congrès des USA un Plan de paix en cinq points, relevant du fantasme politique et de la provocation.  Ce faisant, il savait très bien que, loin de contribuer à « gérer un conflit dans la dignité », cette initiative ne servirait qu’à compromettre le dialogue avec Pékin et à souffler sur des braises indépendantistes, toujours pas éteintes à ce jour.

 

Pendant ce temps, à Dharamsala, la sœur du 14ème dalaï-lama, Jetsun Pema, raconte comment elle présente sa région natale aux enfants tibétains en exil : « Sur la carte, les enfants peuvent constater que le village du 14ème dalaï-lama se situe maintenant dans la province chinoise du Qinghai. La plupart des familles y sont devenues chinoises. Des tableaux démographiques montrent aux enfants que dans certaines provinces tibétaines annexées par la Chine, il n’y a plus qu’un Tibétain pour au moins 300 ou 400 Chinois. ». Le livre de Jetsun Pema (une suite d'interviews avec Irène Frain) est intitulé : « Pour que le monde puisse refleurir »… en toute honnêteté, semble-t-il !

 La prairie au Qinghai ’refleurit’ déjà...(photo JPDes ., 2005)
La prairie au Qinghai ’refleurit’ déjà...(photo JPDes ., 2005)

Notes :

  1. Les articles et interviews de Thomas Laird ont été rassemblé en un livre sorti en 2006 : « The story of Tibet, Conversations with the Dalaï Lama », Grove Press, New York. Le livre est édité sous copyright du 14ème dalaï-lama qui donna l’ordre à trois relecteurs de contrôler doublement ses citations (c’est noté dans la préface). Dans ses commentaires, Laird lui-même prend parfois quelques libertés avec les faits historiques. Par exemple, pour en rester au village natal du dalaï, Laird écrit que la maman du 14ème dalaï-lama mit seize enfants au monde dont onze survécurent. Dans son autobiographie, le 14ème dalaï-lama écrit que seulement sept enfants ont survécus. C’est de peu d’importance s’il n’y avait eu que cette seule erreur historique, mais ce n’est pas le cas ! Toutefois, une recommandation du 14ème dalaï-lama aplanit les différends d’un tour de mains : « Une action fidèle à la vérité et à la loi ne se laisse pas décourager ».

  2. HKCTP 7/06