Un avis sur le livre "Les dévots du bouddhisme" de Marion Dapsance

par Elisabeth Martens, le 20 novembre 2016

Enfin un livre qui secoue nos idées préconçues à propos de la pratique du bouddhisme tibétain (B.T.) en France... il était temps! Je ne peux qu'applaudir l’initiative et le cran de Madame Dapsance pour avoir osé aborder ce sujet délicat et trop peu controversé chez nous, et d'avoir eu le courage d'étaler sans retenue les absurdités d'un des piliers du bouddhisme tibétain en France. Que tous les intéressés par le B.T. se précipitent sur ce livre avant de pousser la porte d'un centre du B.T., histoire de revenir les pieds sur terre avant une lévitation nirvanique qui, ils le constateront dans ces pages, n'est pas si prometteuse qu'il n'y paraît de prime abord.

 

On y fait la connaissance d'un "chef spirituel", Sogyal Rinpoché (S.R.), à la tête d'un des plus importants centres du B.T. de France. On y découvre le caractère despotique, parano, fantasque, infantile de ce personnage qui, profitant de son titre de Rinpoché et de sa nationalité tibétaine, se prend au jeu du pouvoir. En effet, S.R. exerce son pouvoir de maître du B.T. sans mesure sur ses disciples français (et surtout françaises) qui sont, certes, de bonne volonté, mais se retrouvent à la merci de cet homme névrosé, capricieux et déviant sexuel. Donc, merci à Mme Dapsance pour remettre nos pendules à l'heure !

Toutefois, quel intérêt y a-t-il à décrire de manière détaillée les menus préférés de S.R., ses exigences vestimentaires, ses habitudes (ou plutôt, maniaqueries) concernant l'organisation de ses déplacements, la couleur des fleurs à côté de l'autel, la disposition des chaises dans la salle de culte, etc. Est-ce pour prouver qu'elle y fut, Marion Dapsance en personne? Inutile de remplir 300 pages de ces menus détails qui rendent la lecture du livre fastidieuse.

Ce soucis de la description minutieuse empêche sans doute Mme Dapsance de prendre du recul, par ex., quand elle affirme que la soumission du disciple vis-à-vis du maître est spécifique à Rigpa (le centre bouddhiste dirigé par S.R.). Il lui aurait été facile de visiter d'autres centres du B.T. en Europe pour constater le même aveuglement des disciples occidentaux pour certains maîtres tibétains à qui il suffit de porter l'habit safran et de marmonner quelques "ommanipadmeum" pour recevoir des honneurs démesurés.

Au Tibet même, on constate aujourd'hui encore, cette abnégation et soumission à la hiérarchie cléricale. L'obéissance au Maître y est présentée comme une nécessité sur la voie de l’Éveil,  avec tous les abus de pouvoir que cela peut comporter : abus sur les moines situés au bas de l'échelle (tributaires des déviances sexuelles des aînés), sur les moinillons surveillés de près par les Döbdos (les plus jeunes ont à peine cinq ans) et, durant tout le second millénaire lorsque le B.T. exerçait son pouvoir au Tibet, abus sur une population exsangue composée essentiellement de serfs et d'esclaves.

S.R. ne sort pas de nulle part, s'il a pu devenir cet énergumène égotique, narcissique et sans scrupule tel que le décrit Mme Dapsance, c'est aussi parce que l'histoire du bouddhisme au Tibet a été scandaleusement abusive. S.R. en est l'héritier, certes involontaire, mais l'héritier consentant, tout autant que ses congénères.

Par ailleurs, le contexte international actuel donne implicitement le champ libre aux extravagances de ce personnage grotesque. En effet, le dalaï-lama (D.L.) en personne est venu bénir le centre Rigpa et cautionne les enseignements de S.R. qui, pourtant, sont décrits par Mme Dapsance comme particulièrement niais. Or le D.L. ne serait pas devenu l'emblème hyper-médiatisée du B.T. et de sa lutte pour l'indépendance du Tibet sans les personnalités les plus à droite de notre planète. Sans le soutien continu d'une droite qui lorgne vers le Marché chinois et attend la division de la Chine avec impatience, cela fait un bail que le D.L. ne pourrait plus enfiler ses "aimables fadaises" sur son chapelet de bonimenteur.

Quand on parle de la pratique du B.T. en France ou en Europe aujourd'hui, tel que dans le livre de Mme Dapsance, faire fi du contexte historique et géopolitique est une gageure, et Mme Dapsance, malgré le courage de ses propos, l'a (hélas!) relevé avec succès.