Une réponse au discours ethniciste tenu par les partisans de l'indépendance du Tibet

par Albert Ettinger, le 13 octobre 2016

La Chine est un État multiethnique. Ses ennemis les plus farouches, tels les « neocons » américains (1), voient en cette réalité une possibilité de créer tensions et divisions. Ils vont jusqu’à nier l’existence même de cet État, en le dénonçant comme un « État rêvé », un vœu pieux, une « fiction » qui n’existe que sur le papier des déclarations officielles, celles du gouvernement ou du parti communiste. En réalité, il n’y aurait rien qui unit les différentes « minorités nationales » aux Hans, l’ethnie majoritaire, et à l’État central. De surcroît, ces idéologues vont jusqu’à nier l’existence de la Chine dans l’histoire : ainsi, jusqu’en 1911, il n’y avait pas de Chine, juste un empire mandchou.


Cette position « ethniciste » rejoint les arguments des partisans de l’indépendance tibétaine et du « gouvernement en exil » du dalaï-lama (2).
Il s’agit d’ailleurs d’une approche traditionnelle d’extrême droite, et ceux qui la partagent devraient aussi militer pour la destruction de cet autre État « rêvé » qu’est la Belgique, ou pour le rattachement du Haut-Adige à l’Autriche (et le rattachement de l’Autriche, autre État qui ne repose pas sur une base ethnique, à la Grande Allemagne…)


L'opinion de ces partisans de l’indépendance tibétaine sur les empereurs mandchous et les minorités nationales en Chine colle très bien avec celle des militaristes japonais de l’époque qui ont créé l’ « État fantoche » de Mandchoukouo ainsi qu’un gouvernement de collaborateurs mongol. 
On est là au cœur du sujet, celui des colonialistes ou impérialistes agresseurs qui tentent de tirer profit de différences ethniques, religieuses et culturelles pour déstabiliser, et si possible démembrer, leurs ennemis ou les objets de leur convoitise afin de pouvoir les dominer ou les détruire.
Les Japonais l’ont fait en Chine, les nazis l’ont fait en Ukraine et dans les Balkans, les Britanniques l’ont fait partout dans leur empire (en Inde, leurs troupes étaient surtout constituées de Sikhs).  Les Américains l’ont fait au Laos et au Vietnam, en utilisant les peuplades des « montagnards » Hmong et Méo comme mercenaires (sans d’ailleurs se soucier le moins du monde de leur sort). Ils l’ont fait au Nicaragua avec les Amérindiens qu’ils ont utilisés contre les Sandinistes.
Ils l’on fait avec la « coalition du Nord » pour conquérir l’Afghanistan, les chiites et les Kurdes pour détruire l’Irak, les habitants de la Cyrénaïque pour anéantir la Libye, les sunnites intégristes pour mettre la Syrie à feu et à sang.


Après avoir constaté que plus de 60% du territoire de la Chine multiethnique sont habités par des minorités, Thomas Hoppe, un sinologue allemand (décédé en 2010), pourtant militant de « la cause tibétaine », écrit dans son étude scientifique Tibet heute : « Dans les bureaux des services secrets étrangers qui imaginent des scénarios, on s’est bien rendu compte de cette faiblesse de l’État territorial chinois. » 
Et en réponse à la question si « un changement de régime » en Chine pouvait aboutir à la réalisation des visées de l’exil tibétain, il répond sans équivoque : « Ces revendications (…) ne sont réalisables que par la force militaire, utilisée contre une Chine malade en train de dépérir, et très probablement que sous l’égide d’une puissance extérieure agissant pour le compte du Grand Tibet ; qui d’autre que les USA pourrait entrer en ligne de compte ? » (Thomas Hoppe, Tibet heute : Aspekte einer komplexen Situation, Hamburg, Institut für Asienkunde, 1997, p. 31).

Derrière ce genre de position à l’égard de la Chine, on est donc en droit de soupçonner des desseins sordides antichinois et des réseaux liés aux services secrets US. Un indice qui confirme cette suspicion est que les partisans de l’indépendance tibétaine et d’autres ethnies de Chine n’étendent jamais leur analyse « ethniciste » à d’autres pays de la région, à des pays qui ne figurent pas sur la liste noire du gouvernement et des services secrets US. 
D’autant plus que cela montrerait à quel point cette approche est absurde. 
Ainsi, l’Inde ne compte pas une cinquantaine d’ethnies différentes comme la Chine, mais des centaines.  72% des Indiens sont des Indo-Aryens, 25% des Dravidiens, 8,2% des populations indigènes (600 tribus d’ « Adivasi ») et 3% de la population appartiennent à d’autres groupes ethniques (tibéto-birman, munda et mon-kmer). 
Les Indiens parlent plus de 100 langues différentes appartenant à quatre grands groupes.  Si on tient compte des dialectes, on arrive au chiffre à peine croyable de 1 600 idiomes différents.  Seulement 30% des Indiens parlent la langue nationale (l’Hindi).  Il y a d’ailleurs plusieurs mouvements séparatistes dans le nord de l’Inde, d’origine ethnique, mais aussi religieuse.
 
Note:

(1) “neocons”: une abréviation assez répandue pour les néoconservateurs américains qui ont une influence déterminante sur la politique étrangère américaine... une nouvelle ethnie aux Etats-Unis??? en tout cas, elle est belle en francais!
(2) article à lire sur: http://one-just-world.blogspot.lu/2010/08/han-chinese-racism-in-tibet.html qui s'ouvre sur ces phrases: “Tibetans are a uniquely distinct Race, different from all the surrounding Peoples.” “They inhabited their own Territory for many Millennia as a cohesive and homogeneous Race.”

au Tibet (photo Jpdes 2005)
au Tibet (photo Jpdes 2005)