La langue Mandchoue, comme la tibétaine : disparues à cause des Chinois ?

par Jean-Paul Desimpelaere, le 30 juin 2009


Dans une allocution donnée au Parlement européen le 4 avril 2008, le 14è dalaï-lama a dit ceci : « La langue, l’écriture et la culture du peuple mandchou ont disparu ». Cela faisait suite à : « le gouvernement chinois est à l’origine d’une immigration massive de Han dans les régions tibétaines qui mènera graduellement à l’extinction de la culture et de la langue du Tibet. »

 

L’auditeur européen pensera, surpris : « Il y a déjà eu un précédent ! Les mandchous n’existent plus alors qu’ils ont été à la tête de l’empire. L’extermination culturelle en Chine doit donc vraiment être terrible. » Réaction normale, car qui sait réellement quelque chose à propos des mandchous ici, sans parler de leur langue ?

Le dalaï-lama laisse entendre que la langue mandchoue a disparu à cause de l’immigration massive de Han dans leur région, immigration poussée par l’actuel gouvernement communiste. C’est un habile retournement de l’histoire pour des oreilles européennes mal informées. Quelques éclaircissements sont nécessaires.

Les mandchous étaient un peuple de cavaliers rassemblés dans l'extrême nord-est de la Chine. Ils ont assailli Beijing en 1644 – ils étaient alors à peu près deux millions – et se sont appropriés du trône de l’empereur. C'est ainsi qu'est née la dynastie Qing. Ils ont saisi les terres et ont soumis les paysans, ils ont levé des armées de Han et ont amené l’empire chinois à son expansion maximale, le Tibet et le lointain Xinjiang oriental y étaient inclus.

Mais qu’est devenue leur langue ? Ils lui ont donné une sorte de statut « administratif solennel ». Pour la littérature, la poésie, la calligraphie, l’écriture de l’histoire, les sciences et le commerce, ils ont préféré embrasser la langue chinoise. Plusieurs empereurs Qing excellaient en poésie chinoise et la dynastie des Qing a vu naître de grandes œuvres.

Si bien qu'à la chute des Qing (fin du 19ème siècle, début du 20ème), il ne restait rien de la langue mandchoue ; ils en étaient eux-mêmes la cause. En 1911, lors de la chute de l’empire, la langue mandchoue n’était plus d’usage, même dans les cercles aristocratiques, et il n’était pas question d’enseigner le peuple dans sa propre langue.

Durant les années mouvementées de la Première République de Chine, suivie de la Seconde Guerre Mondiale, la langue mandchoue ne refit pas surface. En bref, l’écriture mandchoue avait disparu bien avant la Révolution Chinoise. Les premières années de la République Populaire étaient occupées à d’autres problèmes que ceux de la sauvegarde des langues. Il s’agissait de reconstruire un pays gigantesque qui était détruit.

Actuellement, la Chine connaît une certaine prospérité, et les intellectuels ont le loisir d’aller rechercher l’héritage culturel mandchou ; c’est ce qui se passe. Un total d'environ deux millions d'écrits est conservé aux Archives Nationales. Des linguistes et des historiens chinois ont lancé un mouvement pour sauver la langue mandchoue.  En 2006, une première école en mandchou a été ré-ouverte.

L’allusion à la destruction de la langue et de la culture mandchoues que faisait le dalaï-lama au Parlement Européen en avril 2009 était donc tout à fait déplacée, mais intentionnelle de sa part, car elle laissait paraître que ce sont « les communistes chinois qui ont fait disparaître la langue mandchoue ». Cela s'inscrit dans sa croisade contre l’actuel gouvernement chinois. Son « histoire mandchoue » n’est pas le seul épisode de l’histoire chinoise que détourne le dalaï-lama, par contre, elle est nouvelle et nos oreilles s'y prêtent volontiers tellement nous sommes habitués à ce genre de discours.

Quelques jours plus tard, en Pologne, c’est par un « We must do that ! » (Nous devons faire cela) convaincu que le dalaï-lama a commencé son discours où il appela les dirigeants internationaux à faire entrer la Chine dans le « camp démocratique ». Sur son site web, le 14ème dalaï-lama décrit Walesa comme « l’icône anti-communiste polonaise » ; autant dire que la Pologne l'a accueilli les bars ouverts.