Des agriculteurs tibétains aisés

par Jean-Paul Desimpelaere, le 28 février 2008

Dans une interview menée par "Le Nouvel Observateur" (17/01/2008), l’actuel dalaï-lama disait ceci à propos des Tibétains riches vivant en R.A.T. : “Depuis la venue des Chinois au Tibet, les quelques développements positifs ne peuvent pas compenser toutes les destructions qu’ils ont occasionnées. Bien sûr, pour certains Tibétains qui jouissent aujourd’hui de beaucoup de privilèges – en termes de traitement, de logement, etc. – et qui parfois viennent de familles de soi-disant ‘serfs’, leur situation personnelle est nettement plus avantageuse maintenant.” Le sous-entendu de la part du dalaï-lama est que les Chinois auraient soudoyé une minorité de Tibétains pour servir leur régime, des « fonctionnaires collaborateurs » bien payés. Il n’utilise pas cette expression de façon directe mais son fan-club n'y manque pas.

un gros bourg près de Xiangcheng dans le nord du Sichuan près de la frontière du Tibet (photo JPDes, 2007)
un gros bourg près de Xiangcheng dans le nord du Sichuan près de la frontière du Tibet (photo JPDes, 2007)

En septembre 2007, nous avons rencontré des fermiers tibétains aisés. Nous n’avons pas dû chercher longtemps, c'était à la frontière entre le Sichuan et la R.A.T., dans une des 21 maisons colossales d'un village à côté de Xiangcheng (ou Chaktreng).


Pour arriver dans les pièces à vivre situées au premier étage, nous avons du passer par la porcherie au rez-de-chaussée, ce qui indique qu’il s’agissait de fermiers traditionnels. Quelle ne fut pas notre surprise, à l’étage : des meubles magnifiques, de style traditionnels aussi, mais qui n'avaient certainement pas été chinés sur une brocante. Et des espaces énormes, trop en fait. La famille avait construit cette maison il y a 20 ans. A l’époque, ils y vivaient à 10. Les quatre enfants ont quitté la maison, les deux fils se sont mariés et travaillent à Xiangcheng-ville, les deux filles sont à l’internat de la Haute École des Études tibétaines.


Le patriarche de la maison est un oncle qui est moine, converti en marchand de bétail. Durant la Révolution Culturelle (1964-1974), il a dû quitter le monastère où il s'était engagé, pour revenir vivre dans sa famille, comme la plupart des moines ont dû le faire à cette période-là. Il n'est jamais retourné au monastère, même quand ceux-ci ont rouvert leurs portes. Ses parents n’étaient pas des serfs dans l’ancien régime, mais des fermiers moyennement riches qui avaient leurs propres serfs.

Ils n’ont cependant pas été expropriés pendant la réforme agraire des années 60. La famille dispose encore aujourd’hui d’un hectare de terres, ce qui représente le triple de ce que possède en moyenne une famille de paysans chinois. Sur ces terres, ils produisent surtout des céréales, de l’orge, du maïs, des pommes de terre et des tomates en serre. A côté de cela ils ont 4 porcs et 6 vaches.


Mais la famille doit surtout sa petite fortune à leur oncle moine et son commerce de bétail. Celui-ci procure à la famille un revenu supplémentaire de minimum 1000 euros par an que la famille dépense intégralement à l’achat de meubles et d’appareils ménagers. De plus, les membres de la famille parcourent régulièrement les montagnes pour aller ramasser des champignons (le fameux « caterpillar fungus ») et d’autres plantes médicinales pour ensuite les vendre au marché.

un décor intérieur somptueux
un décor intérieur somptueux

Au premier étage de l’habitation, la famille a fait construire pour l'oncle-moine une salle de prière assez vaste pour y mettre une centaine de personnes. Nous leur avons demandé s'ils ont dû dépenser beaucoup pour la construction de leur maison. "Non", ont-ils répondu, "seuls les piliers et la décoration nous ont coûté de l’argent. Pour la construction même les gens du village nous ont aidé gratuitement".
 
la cuisine équipée
la cuisine équipée