Les colères de l'Himalaya font trembler Yushu

par Elisabeth MARTENS, le 19 octobre 2016

Lundi 17 octobre 2016, la ville de Yushu et ses environs ont à nouveau été secoué par un violent séisme de 6,4 sur l'échelle de Richter. L'épicentre a été enregistré à une profondeur de 32 km. Il s'agit d'une zone où surviennent de fréquentes secousses sismiques, a indiqué l'Institut de géophysique américain (USGS). En effet, les populations locales se souviennent encore du tremblement de terre qui a eu lieu en 2010 dans la même région (magnitude de 6,9 sur l'échelle de Richter). Il avait causé 3000 morts et avait entièrement détruit les villages de Trangu et de Ganda, proches de la ville de Yushu. Aussi, les autorités locales sont actuellement en alerte maximale.


Depuis plus d'un siècle, les géologues et paléogéographes se penchent sur les colères de l'Himalaya qui, régulièrement, font trembler la terre. Ce genre de catastrophes à répétition interroge le monde scientifique. La théorie de la tectonique des plaques, qui a émergé dans les années 1970, a offert un cadre cohérent à tout un ensemble de phénomènes géologiques, entre autres la répartition des zones sismiques et volcaniques. Selon cette théorie, la surface de la terre peut être découpée en un nombre limité de plaques indéformables, mais mobiles les unes par rapport aux autres. Ces plaques flottent sur le manteau sous-jacent qui, lui, est un magma fluide... un peu à la manière dont d'énormes icebergs flottent sur la mer.


Cette histoire nous transporte à une époque appelée le Permien, il y a 255 millions d'années. Les continents étaient soudés les uns aux autres et était composés de deux blocs gigantesques: au Nord, la "Laurasie" comprenait l'Amérique du Nord, le Groenland, l'Europe et la Sibérie. Au Sud, le "Gondwana"  comprenait l'Amérique du Sud, l'Afrique, L'inde, l’Arabie, Madagascar, l’Antarctique, et l'Australie. Les deux masses continentales étaient séparées d'un océan surnommé "Téthys".


Les lignes de force du champ magnétique terrestre a beaucoup varié au cours des âges géologiques et ces variations ont mis ces masses terrestres en mouvement l'une par rapport à l'autre. Ce schéma, connu sous le nom de "dérives des continents" a été proposé par un météorologue dans les années 1960. Il est aujourd'hui admis par le monde scientifique. Les données récoltées depuis lors par les paléomagnéticiens ont apporté quelques éclaircissements quant à la géodynamique du continent eurasiatique.  

 

Durant la dérive des continents, qui a débuté il y a plus de 250 Millions d'années, l'Inde va progressivement se désolidariser de l'antarctique et laisser Madagascar se diriger vers le continent africain. Cela s'est produit entre 130 et 80 millions d'années. L'Inde, elle-même, a continué sa route vers le Nord à une vitesse record de 17 cm/an... jusqu'à environ 55 millions d'années, quand elle entre en collision avec le continent eurasiatique. Sa vitesse va être freinée jusqu'à 5 cm/an, mais la collision se poursuit encore aujourd'hui!

 

La lointaine période précédant la collision entre l'Inde et le continent eurasiatique, période durant laquelle le plateau était immergé dans l'océan Téthys, a laissé de nombreux et précieux vestiges.

 

Les roches ont enfermé dans leurs sédiments de microscopiques radiolaires, des protistes dont la taille varie de 50 à 300 µm. Ces organismes unicellulaires, les premiers eucaryotes proliférant dans le plancton marin, témoignent de la présence de Thétis, il y a 500 millions d'années, sur l'actuel Haut plateau tibétain.

 

A l'époque où l'océan Thétis recouvrait le Plateau, le sel marin s'y est déposé. Il a ensuite été enfoui dans les plis et replis des croûtes terrestres alors que se formaient la chaîne de l’Himalaya et que s'élevait le haut plateau.
Il se trouve actuellement a une profondeur de 400 à 700 mètres sous terre. Le comté de Markam dans la R.A.T. compte plus de 3000 marais salants. La saumure s'évapore au soleil et le sel rose est alors récolté grâce à une technique ancestrale qui date de la dynastie Tubo. Le sel rose de l'Himalaya est considéré comme le plus riche en sels minéraux, fer, calcium, potassium, etc. Et contient plus de 80 oligo-éléments. Il aurait des vertus thérapeutiques remarquables. C'est également ce sel qui est utilisé dans la construction des lampes à sel.

Depuis il y a 55 millions d'années, l'Inde poursuit sa progression vers le Nord à une vitesse de 5 cm par an. La croûte indienne continue à s'insérer sous la croûte continentale en soulevant cette dernière et en s'enfonçant dans le manteau. Les hauts sommets de l’Himalaya (le Makalu, l’Everest, l'Annapurna, le Kailash...) sont le résultats de portions de lithosphères continentales qui se sont superposées le long de grandes failles, provoquant des chevauchements dont les bords sont repoussés vers le Nord.

 

Le Haut plateau tibétain, grand comme l'Europe occidentale, se situe tout entier à l'altitude du Mont Blanc: près de 5000m de haut, 2500km de long d'Est en Ouest, et 1500km du Nord au Sud. La chaîne de l'Himalaya n'est en fait qu'un étroit rempart de fortification protégeant et limitant cette gigantesque plaine somme toute assez monotone: des lacs grands comme des mers, des vastes steppes où paissent d'innombrables troupeaux de yacks, de moutons et d'antilopes. Les eaux venant des glaciers et de la pluie ne s'échappent que par l'Est grâce aux grands fleuves : le Jaune et le Bleu, le Tsangpo (ou Brahmapoutre) et le Mékong.

 

En plus du soulèvement provoqué par le chevauchement des croûtes terrestres, des blocs entiers glissent latéralement empruntant la voie des failles. Ainsi, le "bloc de la sonde", constitué de la péninsule indochinoise (Birmanie, Thaïlande, Cambodge), est refoulé vers le Sud-Est par la pénétration de la péninsule indienne sous le plateau tibétain. Tandis que le "bloc de la Chine du Sud" est refoulé vers l'Est. Cette intense activité géologique provoque des remous, des crevasses se forment, et la terre tremble le long des failles!

 

La ville de Yushu se trouve sur le trajet d'une de ces failles (début de la faille du Fleuve rouge), et ses habitants sentent régulièrement les borborygmes des profondeurs terrestres. Heureusement, suite au tremblement de terre de 2010, les autorités ont reconstruit les habitats, les écoles, les hôpitaux, etc. en tenant compte de spasmes intestinaux de l'Himalaya. Et pour que vive et revive le festival de la course aux chevaux qui a lieu dans la plaine de Yushu tous les ans à la fin du mois de juillet!

 

Notes:
(1) cartes et graphiques de: "Himalaya-Tibet, le choc des continents", sous la direction de Jean-Philippe Avouac et Patrick De Wever, CNRS Editions, 2002