Le dalaï-lama, un Nobel de la Paix pas aussi pacifiste qu'il n'y paraît

par Jean-Paul Desimpelaere, le 7 septembre 2009

Le prix Nobel de la paix fut attribué au dalaï-lama en 1989. Cet événement s’inscrivait dans l’offensive mondiale contre le « Mur de Berlin » qui fut d’ailleurs brisé la même année. Alors que le 14ème dalaï-lama venait à peine de recevoir ce prix prestigieux, il appelait déjà à la violence au Tibet... en des termes masqués, bien évidemment. Ci-dessous quelques exemples de « pacifisme » de notre saint Nobelisé.

 

En janvier 1990, il s’exprimait ainsi sur la BBC : « Si, dans l’année, le gouvernement de Beijing n’arrive pas à entamer avec moi des discussions sur l’autonomie du Tibet, je vais devoir revoir ma position. Jusqu'à présent, j’étais ouvert au compromis, mais maintenant, nombre de jeunes tibétains sont pour l’usage de la violence. » (1) Plus tard, en avril 1991, à l’émission en langue tibétaine « Voice of America », il déclare ceci : « Nous devons agir plus fermement en faveur de l’indépendance. L’immigration de Chinois au Tibet est énorme et les jeunes Tibétains ne trouvent plus de travail.

C’est un nouvel élément d’instabilité et il est possible qu’il y ait de nouvelles émeutes. » (2)

Ces déclarations du dalaï-lama se situent dans la lignée de la fraction armée de la communauté tibétaine en exil. Dans les années septante déjà, elle a été largement soutenue par Dawa Norbu, un intellectuel tibétain en exil ayant une forte influence sur la diaspora tibétaine. Considérant que les guerriers Kham qui avaient menés la résistance jusque-là étaient dépassés, ce dernier plaidait pour une nouvelle sorte de guérilla tibétaine.

Il mettait son espoir dans la jeunesse qui, d'après lui, serait capable de créer des foyers locaux de résistance, à l’intérieur même du Tibet. En même temps, il déplorait que les Tibétains ne reçussent plus d’armes des nations alliées « L'OLP a pu en recevoir pour son Jihad », disait-il, en ajoutant « qu'Arafat s’est imposé aux Nations Unies, alors que nous mendions pour y obtenir un siège. » (3)

Depuis sa fuite en 1959, le 14ème dalaï-lama soutient lui aussi la fraction armée de la communauté tibétaine en exil. Dès le début des années soixante, des réfugiés tibétains ont été recrutés par le frère du ès dalaï-lama pour servir dans une brigade armée spéciale, nommée « Special Foreign Forces » (SFF), un contingent de 10.000 soldats au total. Une photo d’archives montre le 14ème dalaï-lama, debout dans une jeep, saluant le rassemblement des SFF en juin 1972 à Chakatra, en Inde (4). L’intervention de ces troupes requiert l’accord personnel du dalaï-lama.

Créées à l’origine pour effectuer des missions commandos au Tibet, à ce jour, elles servent principalement comme troupes frontalières de l’Inde. En 1971, les soldats tibétains des SFF étaient, avec l’approbation du dalaï-lama, aux avant-postes de l’attaque indienne contre le Pakistan Oriental qui devait alors devenir le Bangladesh.(5) Depuis 1999, 4000 commandos SFF sont stationnées au Ladakh, tout près du Cachemire, et affrontent régulièrement des milices islamistes. Le dalaï-lama est allé à Leh, la capitale du Ladakh, leur apporter sa bénédiction personnelle.

C'était en 1999, soit dix ans après avoir reçu son prix Nobel de la Paix. (6)

Un autre exemple de la Paix distribuée par le dalaï-lama s'est déroulé au Bhoutan, nommé « l’Etat-frère » par le dalaï-lama. Environ cinq mille réfugiés tibétains se sont installés au Bhoutan à partir de 1959. L’entente entre le dalaï-lama et le Bhoutan qu'il fut bonne jusqu’en 1973. Une trentaine de Tibétains furent alors chassés du petit royaume. En effet, un nouveau roi venait d’être intronisé, or le père d'une concubine du roi (7) fut accusé de conspirer avec la communauté tibétaine du pays en vue d'assassiner le jeune roi et de faire du Bhoutan un État tibétain. Le commanditaire de ce coup d’état n’était autre que Gyalo Thondup, le propre frère du 14ème dalaï-lama. (8) (Voir aussi dans les mémoires du 14ème dalaï-lama, page 271).

Cet incident fut suivi de l'expulsion des Tibétains du Bhoutan qui, suivant le conseil du dalaï-lama ne s'étaient pas fait naturaliser bhoutanais, mais avaient gardé la nationalité tibétaine, ce qui facilita leur expulsion. Les États-Unis ne voulurent pas les accueillir. Finalement, c'est l’Inde qui les prit sous son aile.

En octobre 2001, lors d’une conférence de presse à Strasbourg, après son discours devant le Parlement européen, le 14ème dalaï-lama a exprimé son soutien aux bombardements américains en Afghanistan : « J’admire le fait que les Américains choisissent soigneusement leur cibles avec un maximum de précautions pour limiter les victimes civiles. Cela me parait être une forme plus civilisée de violence que celle de la première et de la deuxième guerre mondiale, ou celle des guerres de Corée et du Vietnam. » Serait-il partisan d’une guerre « chirurgicale » ?

Il ajoute : « Les bombes ne peuvent détruire que des choses physiques, elles ne détruisent ni la pensée ni les émotions. Parler et convaincre sont les seules solutions à long terme. » (9) Cela lui valut d’être fustigé par Elton John qui l’avait longtemps admiré : « Forget the f---ing dalaï-lama, it’s a f---ing joke. (Oubliez le p—ain de dalaï-lama, c’est une p—ain de blague.) Où est le message de paix et de sagesse quand les guerres deviennent de pire en pire ? F---ing nowhere to be seen. (On ne le voit nulle part, p—ain.) » (10).

Le dalaï-lama préfère ne pas se prononcer à propos de la guerre en Irak. Lors d’une interview juste après sa rencontre avec entre autres Bush, Powell et Cheney, il dit : « Il est trop tôt pour dire si la guerre en Irak était un erreur. L’Histoire le dira. Le terrorisme est la pire forme de violence, nous devons donc bien répondre, mettre des contre-mesures en œuvre. En principe, je crois que la non-violence est la meilleure solution.

Mais certaines guerres peuvent être bonnes. La guerre du Vietnam était une erreur, alors que la guerre de Corée et la seconde guerre mondiale ont protégé le reste de la civilisation et la démocratie. Et la guerre d’Afghanistan était une sorte de libération pour la population qui avait beaucoup souffert sous les régimes précédents. Mais la guerre en Irak est plus compliquée et cela prendra du temps pour pouvoir la juger. » (11).

Un peu plus tard, il s’expliqua plus clairement à propos de ce qu’il voulait dire sur la Corée et le Vietnam : « La guerre de Corée a tout de même été une victoire partielle, alors que celle du Vietnam a causé trop de morts sans apporter de résultat. » (12)

Sans doute voulait-il dire que les États-Unis furent les grands perdants de cette dernière, il manifestait par là sa compassion vis-à-vis de Américains. De la même manière que lors du second anniversaire du 11 septembre : il a appelé le peuple américain à transformer son chagrin en « force intérieure ». Force intérieure et puissance extérieure ne font qu’un dans le bouddhisme tibétain, elles habitent les guerriers mythiques du royaume de Shambala et remportent la victoire sur l’Empire du Mal (ou « l'Axe du Mal »?)

Depuis que les armes ont été rendues au début des années septante, la ligne de conduite officielle du dalaï-lama et de son gouvernement en exil est une résistance pacifique soutenue par une reconnaissance internationale. Pourtant la lutte armée n’a jamais été bannie par le gouvernement tibétain en exil. Une partie du parlement est ouvertement partisane de la violence. En mars 2007, Kelsang Phuntsok, président du Tibetan Youth Congress et membre influent du gouvernement tibétain en exil, dit ceci : « Revendiquer l'autonomie du Tibet est une erreur capitale. (13)

Nous voulons l’indépendance. La violence n’est pas un tabou pour nous, tuer du Chinois est la chose la plus aisée qui soit. Mais dans la phase actuelle, cela ne sert à rien. » (14) Tout le monde sait bien que la conjoncture ne s’y prête pas encore, et par « conjoncture », on pourrait également entendre que les bailleurs de fonds et les fournisseurs d’armes ne suivent plus. Mais la violence sommeille dans la communauté tibétaine à l’étranger.

En janvier 2007, le rédacteur en chef du « Tibetan Bulletin », une publication anglophone du gouvernement en exil, écrit : « La non-violence n’est pas plus spécifique à la culture tibétaine qu’à n’importe quelle autre culture dans le monde. Il y a parfois des circonstances atténuantes qui rendent la violence nécessaire, en temps de guerre par exemple. La violence prend alors une forme de croisade, on dit chez nous un « Tensung », une guerre pour défendre les lois bouddhiques, le dharma. » (15)

Dans le même article, il pose ouvertement cette question : « Combien de soldats avons-nous besoin pour dévisser un boulon du chemin de fer ? ». Il faisait allusion à la nouvelle ligne entre le Qinghai et le Tibet... un appel masqué au sabotage ?

Plus loin, il cite Lodi Gyari, le représentant du 14ème dalaï-lama aux États-Unis, qui dit que seul le dalaï-lama est capable de réunir les Tibétains en exil ; sans lui, ce serait l'anarchie, la violence latente présente dans la diaspora tibétaine exploserait d'un coup.

Notes:

  1. Site web de TIN (Tibet Info Net)

  2. idem

  3. Dawa Norbu, “Tibetan Review”, fev-mars 1975. Quelques années seulement après le démantèlement de la résistance armée

  4. Photo reproduite dans Conboy, page 247.

  5. WTNN, World Tibet Network News, 08/01/2003

  6. PNS, Pacific News Service, 31/07/2001

  7. Ashi Yanki

  8. New York Times et Far Eastern Economic Revieuw, cité par Grunfeld, page 201

  9. Agence France Presse, Strasbourg, 24/10/2001

  10. ABC News, 17/10/2001

  11. AP, Associated Press, New-York, 11/09/2003

  12. ARTE, interview

  13. Autonomie extrême sans independence, la “voie du milieu” telle que le 14è dalaï-lama la proclame maintenant

  14. Interview le 27 mars 2007 dans “Der Spiegel”

  15. Dhundup Gyalpo, “Non-violence vs violence, the case of Tibet and Palestine”, Tibetan Bulletin, site internet du gouvernement en exil, janvier 2007