Le dalaï-lama approuve l’annexion du Tibet du Sud par l’Inde

par Albert Ettinger, le 27 décembre 2017

Le 14e dalaï-lama se prétend héritier du Mahatma Gandhi, apôtre de la non-violence et de la tolérance religieuse, patriote tibétain et défenseur suprême du Tibet. Mais qu'en est-il en réalité ? En réalité, il est plutôt le contraire de tout cela, voyez par vous-même....  Les agissements politiques que le 14e dalaï-lama poursuit en dépit de son prétendu retrait de la politique, ses provocations visant à envenimer les relations entre l’Inde, son pays d’accueil, et la Chine sont là pour le prouver, de même que le penchant qu’il a ces temps-ci pour l’extrême droite indienne. Tout cela est trop peu connu en Occident. Ses accointances politico-religieuses avec le fascisme hindou ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ses autres amitiés sulfureuses bien connues, celles avec des nazis et criminels de guerre allemands, avec l’hitlérien ésotérique Miguel Serrano ou avec le terroriste japonais Shoko Asahara.

La visite du dalaï-lama à Tawang, une provocation délibérée

En avril 2017, le dalaï-lama fit une visite très remarquée et médiatisée au monastère de Tawang, situé près de la petite ville du même nom, à proximité de la frontière actuelle entre l’Inde et la Chine.(1) Cette visite eut lieu peu de temps après celle de l’ambassadeur US Richard Rahul Verma qui, elle aussi, avait suscité des protestations de la Chine.

Monastère de Tawang, statue du bouddha avec photo du dalaï-lama. (Source : Wikimedia commons ; auteur Doniv79)
Monastère de Tawang, statue du bouddha avec photo du dalaï-lama. (Source : Wikimedia commons ; auteur Doniv79)


 

Ce qui rend la visite de Tawang aussi remarquable - et ce qui en fait une provocation politique à l'égard de la Chine - c'est que la ville de Tawang et son monastère sont situés dans une région peuplée majoritairement de tribus d’ethnie tibétaine qui fut jadis arrachée au Tibet (et donc à la Chine) et rattachée aux Indes britanniques par les colonialistes anglais. Elle fut ensuite annexée par l’Inde devenue indépendante. La région, d’abord appelé NEFA (North-East Frontier Agency), a été rebaptisée Arunachal Pradesh en 1972. La Chine l’appelle le Tibet du Sud.

La frontière entre l’Inde et la Chine dans cette région reste contestée. L’Inde considère la « ligne McMahon », tracée par le Lieutenant-Colonel Sir Arthur Henry McMahon lors de la Conférence de Simla (en 1914) comme sa frontière légale. Elle ne s’est pourtant pas privée d’en « corriger » le tracé original en sa faveur, arguant qu’il comportait des erreurs parce qu’il ne suivait pas toujours la ligne de crête, ce qui aurait été l’intention initiale de McMahon. La Chine, elle, n’a jamais reconnu officiellement la ligne McMahon comme frontière, contrairement au gouvernement du 13e dalaï-lama. Elle souligne que l’accord du gouvernement de Lhassa n’avait aucune valeur juridique parce qu’il ne représentait pas un pays indépendant reconnu par la communauté internationale. Elle rappelle en outre que le territoire rattaché à l’Inde, d’une superficie de 65 000 m2, est une ancienne terre tibétaine : le monastère de Tawang fut fondé par Merak Lama Lodre Gyatso en 1680-1681, sous le 5e dalaï-lama, et Tawang fut le lieu de naissance du 6e dalaï-lama.

Le 14ème dalaï-lama n'en n'est pas à sa première provocation de ce type : en novembre 2009, il avait déjà fait ce genre de visite. (Voir entre autres :http://www.tibetdoc.org/index.php/politique/geopolitique/246-l-arunachal-pradesh-une-ancienne-dispute-entre-la-chine-et-l-inde)

 

La région disputée du Tibet du Sud devenue l’Arunachal Pradesh indien (source : Wikimedia commons/CIA)
La région disputée du Tibet du Sud devenue l’Arunachal Pradesh indien (source : Wikimedia commons/CIA)

 

Le Tibet a été la principale pierre d’achoppement dans les relations entre l’Inde et la Chine, en particulier depuis l’échec de la révolte de 1959 et la fuite en Inde du pontife tibétain. L’Inde n’a pas seulement accordé un exil doré au dalaï-lama (après avoir déjà abrité les contre-révolutionnaires tibétains de la première heure comme Tsepon W. D. Shakabpa), mais a permis l’établissement d’un « gouvernement tibétain en exil » sur son sol et les activités antichinoises de celui-ci. Elle a même intégré une force armée composée de mercenaires tibétains (appelée Special Frontier Force no. 22) dans sa propre armée de terre, avec la bénédiction du dalaï-lama. Depuis 1959, elle a toujours tenté d’utiliser les exilés tibétains pour nuire à la Chine et pour promouvoir ses propres desseins expansionnistes.

Expansionnisme indien

L’Inde poursuit en effet une politique expansionniste ; elle a essayé maintes fois de repousser sa frontière au-delà de la ligne McMahon, plus loin sur le territoire chinois. Déjà au cours des années 1950, elle fit publier des cartes géographiques « qui montraient de vastes revendications territoriales indiennes », avec, dans le secteur NEFA, la ligne de crête comme frontière, « bien qu’en certains endroits elle passe un peu au nord de la ligne McMahon. »  En 1959, « la presse indienne commença à soutenir ouvertement l’indépendance du Tibet. Nehru ordonna d’établir ‘autant de postes militaires que possible le long de la frontière’ »(2) revendiquée par l’Inde, voulant créer ainsi un fait accompli.

En aout 1959, les troupes chinoises réagirent en s’emparant d’un avant-poste indien nouvellement installé situé à Longju, à un ou deux kilomètres au nord de la ligne McMahon, donc du côté chinois. Afin d’éviter de futurs incidents, Zhou Enlai proposa à Nehru, dans une lettre du 24 octobre 1959, de retirer les troupes des deux pays à vingt kilomètres de part et d’autre de la « ligne de contrôle actuel » qui correspondait à la ligne McMahon. Sans succès, puisqu’en novembre 1961, Nehru adopta officiellement une politique offensive (« Forward Policy ») consistant à établir 43 avant-postes militaires dans les zones disputées situées au nord de la « ligne de contrôle actuel » à laquelle s’était référé Zhou Enlai.(3)

En 1962, cette politique indienne conduisit à une guerre entre les deux pays qui se termina très vite par une écrasante victoire chinoise. L’Armée populaire de libération occupa brièvement le secteur NEFA avant de se retirer sur ses anciennes positions le long de la ligne McMahon et de libérer les prisonniers de guerre indiens. En Inde, la défaite fut ressentie comme une « humiliation nationale ».

Les provocations indiennes n’ont pas cessé pour autant. Par exemple, en 1984, les Indiens installèrent un poste d’observation dans la région de Tawang, dans la vallée Sumdorong Chu, trois kilomètres au nord de la ligne McMahon. Ils quittèrent le poste avant l’hiver; en 1986, des troupes chinoises s’installèrent dans la vallée, en les devançant cette fois, ce qui provoqua l’ire des nationalistes indiens.(3)

Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi et des nationalistes hindous, les provocations indiennes à la frontière avec la Chine se multiplient et regagnent en intensité. Le dalaï-lama, lui, y participe de bon gré, d’autant plus qu’il entretient des relations très étroites avec la mouvance hindouiste, qui s’est rendue coupable de terribles atrocités envers les minorités et que la plupart des sociologues indiens qualifient de fasciste. Ce sera d’ailleurs le sujet de notre prochain article.

Le monastère de Tawang (Source Wikimedia commons ; auteur Vikramjit Kakati)
Le monastère de Tawang (Source Wikimedia commons ; auteur Vikramjit Kakati)

 

 

Le dalaï-lama approuve l’annexion de territoires tibétains volés par l’Empire britannique

C’est donc à bon escient qu’un journal en ligne indien, en commentant la visite du dalaï-lama à Tarwang, souligna que celui-ci « reçut la permission, ou plutôt fut encouragé activement, d’entreprendre des activités qui pourraient sembler normales pour un éminent dirigeant bouddhiste, mais qui sont en vérité des provocations peu subtiles contre Pékin. »(4)

Le 14e dalaï-lama est un partisan déclaré du Grand Tibet (voir : http://www.tibetdoc.org/index.php/histoire/periode-bouddhiste/320-qu-est-ce-que-le-grand-tibet-historique). Il n’hésite pas à revendiquer, au profit du Tibet « indépendant » ou « vraiment autonome » de ses rêves, des territoires chinois qui n’ont jamais fait partie du Tibet, du moins depuis la fin de la dynastie des Tubo qui fut une dynastie de guerriers et de conquérants, des territoires peuplés par différentes ethnies, tibétaines et non tibétaines. Mais son « nationalisme tibétain », pourtant si virulent quand il s’agit de s’opposer à la Chine, se volatilise dès qu’il s’agit des intérêts de ses maîtres indiens et américains.

Il a cependant évité longtemps de reconnaitre officiellement l’appartenance du Tibet du sud à l’Inde. Encore en 2003, il souligna que « l’Arunachal Pradesh faisait en fait partie du Tibet ». Mais en 2007 déjà, il admit qu’en 1914, le gouvernement tibétain et la Grande Bretagne avaient tous les deux reconnu la ligne McMahon. En juin 2008, il reconnut pour la première fois que « l’Arunachal Pradesh fait partie de l’Inde selon la convention signée par les représentants du Tibet et de la Grande Bretagne. »(5)

Ironie de l’histoire : Au moment même où le dalaï-lama reconnaît l’annexion du Tibet du Sud en se référant à la Conférence de Simla, le gouvernement de la Grande Bretagne fait un revirement tout à fait remarquable (bien que trop peu remarqué) à ce sujet. En effet, le 29 octobre 2008, le Ministère britannique des affaires étrangères publia sur son site une « communication écrite ministérielle sur le Tibet » dans laquelle non seulement il « reconnaît que le Tibet fait partie intégrante de la République populaire de Chine », mais répudie la position britannique adoptée depuis le début du 20e siècle qui ne reconnaissait à la Chine qu’une « suzeraineté » sur le Tibet et non la pleine souveraineté.

Qualifiant l'ancienne position d'anachronique et de legs de l'époque coloniale, le Ministère britannique des affaires étrangères déclara encore que « la position prise par le Royaume-Uni au début du XXe siècle sur le statut du Tibet » était « fondée sur les données géopolitiques de l'époque. Notre reconnaissance de la ‘position spéciale’ de la Chine au Tibet s'est élaborée autour du concept dépassé de suzeraineté. Certains se sont emparés de cela pour jeter le doute sur les buts que nous poursuivons et pour prétendre que nous refusons la souveraineté chinoise sur une vaste partie de son territoire. Nous avons fait entendre clairement au gouvernement chinois, et publiquement, que nous ne soutenons pas l'indépendance tibétaine. Comme tous les autres États membres de l'Union européenne, ainsi que les États-Unis, nous considérons le Tibet comme faisant partie intégrante de la République populaire de Chine. »

La Wikipédia française relate en plus que « David Miliband, le ministre britannique des affaires étrangères, a même présenté ses excuses pour le fait que son pays n'ait pas fait cette démarche plus tôt. »(6)

Dans un commentaire intitulé Did Britain Just Sell Tibet? (« Est-ce que la Grande Bretagne vient de vendre le Tibet ? ») publié par le New York Times, le tibétologue Robert Barnett attira l’attention sur le fait que la nouvelle position britannique « a des implications plus vastes. La revendication de l'Inde sur une partie de ses territoires du nord-est par exemple, repose largement sur la Convention de Simla qui délimite la frontière entre l'Inde et le Tibet (la ligne McMahon), convention que les Britanniques viennent apparemment de jeter aux orties. » (7)

Barnett a sans doute raison en ce qui concerne les implications de ce changement de cap britannique en matière de droit international. Nous devons pourtant le corriger quand il parle de « revendication » indienne des territoires en question : l’Inde ne les revendique pas (seulement), mais elle les occupe et les a annexés. Et puis, on peut s’étonner de la question (rhétorique ?) qu’a choisie M. Barnett comme titre de son article. Comment, en effet, la Grande Bretagne pourrait-elle « vendre » le Tibet ? N’est-ce pas plutôt le 14e dalaï-lama, emboîtant le pas au 13e, qui a vendu une partie du Tibet, le Tibet du Sud, à l’Inde ?

Sources :

  1. Cf. https://www.hongkongfp.com/2017/04/08/dalai-lama-visits-disputed-monastery-angering-china/
  2. https://en.wikipedia.org/wiki/McMahon_Line
  3. Cf. ibid.
  4. https://www.ndtv.com/opinion/chinese-proved-today-they-have-fallen-right-into-modis-trap-1677620
  5. https://en.wikipedia.org/wiki/McMahon_Line
  6. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_McMahon
  7. http://www.nytimes.com/2008/11/25/opinion/25barnett.html?_r=1&ref=opinion et https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_McMahon