Le dalaï-lama se solidarise avec l’hindouisme politique

par Albert Ettinger, le 28 décembre 2017

Quand eut lieu à Delhi, en novembre 2014, le Premier congrès mondial hindou « organisé avec l’aide du RSS (Rashtriya Sevak Sangh) et du VHP (Vishwa Hindu Parishad) », un invité de marque fut tout particulièrement honoré : le dalaï-lama.(1) On lui fit, par exemple, l’honneur d’être le premier à pouvoir s’adresser aux 1800 délégués venus d’une cinquantaine de pays, avant les deux autres invités d’honneur, « le chef du RSS Mohanrao Bhagwat et le patron du VHP Ashok Singhal » (2), et immédiatement après le mot de bienvenue de Swami Vigyananand, le président et fondateur de la World Hindu Foundation (WHF).

De nombreuses photos sur Internet montrent le dalaï-lama en compagnie de Mohan Bhagwat et d’Ashok Singhal, allumant une lampe sacrée en signe d’inauguration du congrès (3), par exemple, ou bras dessus, bras dessous, le visage tout aussi souriant de bonheur que ses deux amis indiens (4).

Dès le mot de bienvenue de Swami Vigyananand, le ton du congrès était donné, puisque le dirigeant hindou souligna la nécessité, pour la « société hindoue », de se « placer stratégiquement afin d’influencer les domaines vitaux de l’économie, de l’éducation, des médias et de la politique » non seulement en Inde, mais «  au niveau mondial. » (5)

La Tibetan Review, porte-parole dalaïste, rapporta fièrement que le diplôme d’honneur que les organisateurs remirent au dalaï-lama le décrit comme « une manifestation d’Avalokiteshvara, le Bodhisattva de la Compassion, et comme quelqu’un qui a déjà reçu le prix Nobel de la paix et le prix Magsaysay » (un prix fondé par les frères Rockefeller). Le dalaï-lama leur revalut ces gentillesses en soulignant que le « Bouddhisme et l’Hindouisme » sont des « Frères spirituels » et en constatant que les « tantras hindous et bouddhistes ont beaucoup en commun », ce qui suscita des applaudissements dans toute la salle. « Nous autres Tibétains sommes les chelas [mot sanskrit qui veut d’abord dire « serviteur » ou « esclave » (6)] ou disciples, mais je pense que nous pouvons affirmer avoir été des chelas fidèles. Nous avons préservé intact le savoir que nos maîtres ont en partie délaissé ces derniers temps. Ce que je vous demande, c’est d’accorder plus d’attention à cet ancien savoir partout où vous avez fondé des temples et d’autres institutions », dit-il. Il ajouta, flattant ainsi les sentiments nationalistes et de suprématie culturelle de son auditoire, que « comparé à la psychologie hautement développée de l’Inde, la psychologie moderne a atteint à peine le niveau d’une école maternelle. » (7)

Le patron du VHP, prenant la parole après le dalaï-lama, lâcha qu’il « était temps de rendre les Hindous invincibles. En rappelant le moment favorable venu grâce à l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Narendra Modi, Singhal ajouta que ‘le pouvoir, jadis volé au roi hindou Prithviraj Chauhan, est retourné après 800 ans dans les mains d’hindous qui se respectent.’ » Bhagwat, dans son discours, abonda dans le même sens en affirmant « que le temps était venu pour les hindous de prendre la tête dans le monde. Le monde a essayé le conservatisme, le fondamentalisme et le socialisme sans trouver la solution à ses problèmes. Il tourne maintenant son regard vers l’hindouisme.’ »(8)

Qui sont au juste ces gens dont le messianisme, la vision du monde et les rêves de pouvoir semblent tellement plaire au dalaï-lama ?

Narendra Modi rend hommage au Parlement indien à V. D. Savarkar. (Source https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0, via Wikimedia Commons)
Narendra Modi rend hommage au Parlement indien à V. D. Savarkar.
(Source https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0, via Wikimedia Commons)

 

Modi ou l’extrême droite hindouiste au pouvoir

Le 30 janvier 1948, Mahatma (« Grande âme ») Gandhi mourut sous les balles de Nathuram Godse. Celui-ci n’était ni musulman, ni communiste athée, ni chrétien. L’assassin du père de l’indépendance indienne était un nationaliste hindou, membre du RSS. Lui et ses coreligionnaires faisaient grief à Gandhi de ses appels contre la violence sectaire et de son attitude jugée trop conciliante envers le Pakistan et les musulmans indiens.

Néanmoins, depuis 1947, l’année de son indépendance, jusqu’en 2014, l’Inde fut dirigée par le Parti du Congrès, l’ancien parti de Gandhi et de Nehru. Ce parti laïc a laissé son empreinte sur les institutions et la société indiennes : « La Constitution fait de l'Inde une république laïque, interdit la discrimination fondée sur la religion et consacre la liberté de conscience. » Cependant, en raison du rôle important que joue la religion dans la vie sociale indienne, « le droit civil indien reconnaît l'application du droit hindou ou de la charia pour les citoyens hindous ou musulmans respectivement ». (9)

L’élection de Narendra Modi en 2014 a attiré l’attention du monde sur le « retour du nationalisme identitaire hindou ». En effet, ce Premier ministre « est issu des entrailles les plus profondes du mouvement politique hindouiste, et son parti, le BJP (Bharatiya Janata Party) n’est au fond qu’ « une émanation électorale » du la milice RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh ou ‘Organisation volontaire nationale’). (10) Selon Wikipédia, celle-ci est une organisation « paramilitaire » qui « propage une conception raciale du peuple indien. » Elle continue « de se rendre responsable de violences contre les chrétiens et les communistes pouvant aller jusqu'au meurtre » (11) et se signale par une haine viscérale des musulmans.

Des adhérents du RSS à l’entrainement à Nagpur, en 2011 (Source : Wikimedia commons/Ganesh Dhamodkar)
Des adhérents du RSS à l’entrainement à Nagpur, en 2011 (Source : Wikimedia commons/Ganesh Dhamodkar)

 

Le BJP profite en outre de l'appui du VHP (Vishva Hindu Parishad), une organisation religieuse qui forme, avec le RSS et nombre d'associations, de syndicats etc., le réseau du Sangh Parivar (la « grande famille » du nationalisme hindou). (12) L’idéologie commune à toutes ces organisations se résume dans le concept de l’hindutva, c'est-à-dire l’ « hindouité », et dans l’idée d’une Grande Inde sous domination hindoue.

« Beaucoup de sociologues indiens ont décrit le mouvement de l’hindutva comme fasciste au sens classique du terme, en ce qui concerne son idéologie et sa base sociale, en s’en prenant spécialement aux concepts de majorité homogénéisée et d’hégémonie culturelle », écrit la Wikipédia anglaise en ajoutant que les critiques « ont utilisé les épithètes de ‘fascisme indien’ et de ‘fascisme hindou’ pour décrire l’idéologie du Sangh Parivar. » (13)

Ces partisans d’une Grande Inde hindoue qui adoraient le Führer

Le Generalfeldmarschall Rommel visitant une unité de la « Légion indienne » sous commandement SS, France, mur de l’Atlantique, 10 février 1944 (Source : Archives fédérales allemandes, image 101I-263-1598-04)
Le Generalfeldmarschall Rommel visitant une unité de la « Légion indienne » sous commandement SS, France, mur de l’Atlantique,
10 février 1944 (Source : Archives fédérales allemandes, image 101I-263-1598-04)

Le terme hindutva fut rendu populaire en 1923 par V. D. Savarkar qui considérait tout le subcontinent indien, Akhand Bharat, comme la terre des hindous. Son nationalisme hindou « acceptait en son sein les fidèles de toutes les religions indiennes, y compris le bouddhisme, le jainisme et le sikhisme, mais excluait les adhérents de ‘religions étrangères’ comme l’islam, le christianisme, le judaïsme ou le zoroastrisme. » (14) Dans sa conception, « est hindou celui qui considère l’Inde comme sa mère-patrie et comme terre sainte ». (15)

Cela pourrait bien inclure le dalaï-lama qui confie aux lecteurs de son autobiographie que, lors de son premier voyage en Inde, il avait au fond de lui « le sentiment d’être de retour » dans sa « patrie spirituelle », et qui souligne encore que pour « nous autres Tibétains, l’Inde est Aryabhumi, la Terre Sainte. » (16)

L’autre frère Savarkar, G. D. Savarkar, un co-fondateur du RSS, définit les grandes lignes de l’idéologie nationale-hindouiste dans un essai sur le nationalisme, ultérieurement traduit et publié (dans une version abrégée) par le dirigeant nationaliste Golwalkar en 1938 sous le titre We, and our Nationhood, Defined. Il s’agit d’un ouvrage qui « heurte à tel point les sensibilités post-hitlériennes » que même le Sangh Parivar s’est senti obligé de s’en distancier. (17) C’est d’ailleurs ce même G. D. Savarkar qui a écrit la préface d’un livre de Savitri Devi alias Maximine Portaz, une Française née à Lyon, « convertie au paganisme aryen dans les années 1920, partisane de l’indépendance de l’Inde, puis finalement propagandiste après-guerre d'un néonazisme mêlé d’hindouisme. » (18)

« Plusieurs des figures les plus éminentes du RSS admiraient profondément le fascisme et le nazisme » peut-on lire dans un article de l’International Business Times accessible sur Internet. La fascination qu’ils éprouvaient à l’égard de l’Allemagne et de l’Italie n’était due qu’en partie au fait que le mouvement anticolonial indien et les pays du fascisme partageaient un ennemi commun : l’Empire britannique.

Madhav Sadashiv Golwalkar, le dirigeant historique du RSS que nous venons de mentionner, chantait les louanges du nazisme et voulait appliquer l’idéologie nazie à l’Inde : « La fierté raciale des Allemands est devenue le sujet du jour », écrivit-il. « Afin de maintenir la pureté de la race et sa culture, l’Allemagne choqua le monde en purgeant le pays des races sémites - des Juifs. Ici la fierté raciale suprême s’est manifestée. L’Allemagne a aussi montré qu’il est quasiment impossible pour des races et des cultures présentant des différences fondamentales de s’assimiler et de se fondre en un tout unifié – une bonne leçon à tirer pour nous, en Hindoustan [Inde], et dont nous pouvons profiter. » Il l’explique la façon dont l’Inde devrait profiter de la leçon allemande comme ceci : « Il n’y a que deux voies ouvertes aux éléments étrangers, ou bien se fondre dans la race nationale et adopter sa culture, ou bien vivre à sa merci aussi longtemps que la race nationale leur permettra de le faire et quitter le pays dès que la race nationale le veut. » En plus explicite, cela veut dire que les « races étrangères doivent ou bien adopter la culture et la langue hindoues, apprendre à respecter et à révérer la religion hindoue, ne penser qu’à glorifier la race et la culture hindoues, c.-à-d. la nation hindoue, et doivent abandonner leur existence séparée pour se fondre dans la race hindoue, ou bien peuvent rester dans le pays complètement soumis à la nation hindoue, sans rien revendiquer, sans mériter aucun privilège et encore moins de traitement préférentiel, et même sans les droits du citoyen. »

En 1939, un porte-parole du Hindu Mahasabha (parti hindou) souligna les liens profonds qu’il y avait, selon lui, entre l’Allemagne nazie et l’Inde hindoue en rendant hommage à « l’idée solennelle de l’Allemagne d’une renaissance de la culture aryenne, à sa glorification de la swastika, à sa promotion de l’étude du Véda et à sa qualité d’ardent défenseur de la civilisation indo-germanique ». Et il poursuivit avec la prédiction que la « croisade allemande contre les ennemis de la culture aryenne va ramener toutes les nations aryennes du monde à la raison et réveiller les hindous indiens en vue de la restauration de leur gloire perdue. »

Pendant la Seconde guerre mondiale, « certains nationalistes indiens », parmi eux même un dirigeant du Parti du congrès, Subhash Chandra Bose, « furent soutenus ouvertement par les nazis allemands – en fait, des soldats indiens servaient même dans les armées d’Hitler et dans les SS de sinistre mémoire. » (19)

Cet aspect de l’histoire du RSS et de la mouvance hindouiste n’a pas dû contrarier Sa Sainteté outre mesure, puisqu’il s’agit d’une histoire en grande partie partagée et d’une sympathie commune. (20)

 

  1. https://www.dalailama.com/news/2014/his-holiness-the-dalai-lama-chief-guest-at-1st-world-hindu-congress
  2. http://www.tibetanreview.net/dalai-lama-honoured-at-inaugural-global-hindu-meet/
  3. à voir sous http://www.deccanchronicle.com/141122/nation-current-affairs/article/after-800-years-delhi-has-%E2%80%98proud-hindu%E2%80%99-power-delhi-vhp-leader
  4. à voir sous http://www.rediff.com/news/report/world-hindu-congress-800-yrs-on-hindus-have-reclaimed-delhi-vhp/20141122.htm
  5. http://vhp.org/news-national/world-hindu-congress-concludes/
  6. selon http://theosophy.wiki/w-en/index.php?title=Chela
  7. http://www.tibetanreview.net/dalai-lama-honoured-at-inaugural-global-hindu-meet/ et https://www.dalailama.com/news/2014/his-holiness-the-dalai-lama-chief-guest-at-1st-world-hindu-congress
  8. https://timesofindia.indiatimes.com/india/Build-culture-centres-not-temples-Dalai-Lama-to-RSS/articleshow/45236803.cms
  9. https://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_en_Inde
  10. http://www.bfmtv.com/international/inde-retour-nationalisme-identitaire-hindou-776327.html
  11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Rashtriya_Swayamsevak_Sangh
  12. https://fr.wikipedia.org/wiki/Bharatiya_Janata_Party
  13. https://en.wikipedia.org/wiki/Hindutva
  14. https://en.wikipedia.org/wiki/Hindutva
  15. https://en.wikipedia.org/wiki/Ganesh_Damodar_Savarkar
  16. Dalaï-lama, Au loin la liberté, pages 164 et 173
  17. Mani Shankar Aiyar, Confessions of a Secular Fundamentalist, Penguin Global, 1st edition, 2006
  18. https://fr.wikipedia.org/wiki/Savitri_Devi
  19. http://www.ibtimes.com/hindu-nationalists-historical-links-nazism-fascism-214222
  20. Lire sur les liens du gouvernement tibétain et du dalaï-lama avec les nazis (et les dénégations de Françoise Robin) : http://www.tibetdoc.org/index.php/accueil/recension/279-une-reaction-a-l-ouvrage-cliches-tibetains-idees-recues-sur-le-toit-du-monde-de-francoise-robin-de-l-inalco