Xinjiang, petit exercice de vérification !

par Michèle Janss, le 9 Juillet 2020

Source: Investig’Action

Une étude publiée récemment et diffusée par les agences de presse affirme que la Chine mènerait dans sa région du Xinjiang une politique de contrôle des naissances extrêmement coercitive avec des stérilisations forcées visant notamment la communauté ouïghoure.

 

D’où vient l’info ?

La presse a largement repris  et commenté cette annonce. L’implantation d’un stérilet aurait été imposée à certaines femmes. Le stérilet étant un moyen contraceptif beaucoup plus facilement réversible qu’une injection d’hormones, par exemple, on est loin de la stérilisation. Cette contradiction dans les propos devrait nous alerter sur le sérieux de cette étude. Ces derniers temps, on a vu pas mal de déclarations fausses, exagérées ou contradictoires à propos de la Chine, la situation internationale est tendue, il n’en faut pas plus pour se poser quelques questions. La première étant : d’où vient donc cette nouvelle vague d’informations sur la Chine déferlant tout à coup dans les médias ?

L’ enquête approfondie de l’agence Associated Press qui prétend lever le voile sur la situation au Xinjiang provient en réalité d’un seul rapport, publié par la Jamestown Foundation et signé Adrian Zenz. Celui-ci est présenté comme « chercheur indépendant », anthropologue et superviseur à l’École européenne de culture et de théologie.

Analysons un peu.

https://www.liberation.fr/planete/2020/12/14/adrian-zenz-un-chercheur-dans-le-viseur-de-pekin_1808695/
https://www.liberation.fr/planete/2020/12/14/adrian-zenz-un-chercheur-dans-le-viseur-de-pekin_1808695/

Source

L’enquête a été publiée par la Jamestown Foundation[1] qui se définit comme un think tank dont la mission est d’informer et d’éduquer les décideurs sur les événements et les tendances dans les sociétés qui sont stratégiquement ou tactiquement importantes pour les États-Unis. La Chine et sa province du Xinjiang sont donc ici reconnues comme tactiquement importantes pour les USA. La fondation a pourtant fait l’objet de critiques en raison de ses liens présumés avec la CIA. Dans les années 80, elle comptait parmi ses administrateurs Dick Cheney et l’épouse de Frank Carlucci alors n°2 de la CIA. Son président actuel, M. Howard, a travaillé pour Zbigniew Brzezinski[2] ainsi qu’ à l’ambassade des États-Unis à Moscou. La Jamestown Foundation est ouvertement anti-Russe, anti-communiste et en liens étroits avec les néo-conservateurs américains.

Dans les nombreuses déclarations de presse sur le Xinjiang , il n’est jamais fait mention de l’origine purement « think tank pro USA » des informations.

 

Qui est Adrian Zenz ?

Adrian Zenz, est présenté comme chercheur indépendant, titulaire d’un doctorat et superviseur à l’École européenne de culture et de théologie[3] à Korntal, Allemagne, spécialiste des politiques chinoises envers les minorités ethniques en Chine.  Mais Zenz est aussi un « born again christian », se déclarant en lien avec Dieu. Les adeptes «nés de nouveau» affirment souvent, parait-il, avoir une relation personnelle avec Jésus-Christ. Zenz annonce la chute du capitalisme et relie les idées actuelles sur l’ égalité des sexes et sur l’interdiction des châtiments corporels, au pouvoir de l’Antéchrist[4].

Il serait également chercheur à la Victims of Communism Memorial Foundation. Quant à l’ École européenne de culture et de théologie où il travaillerait, elle déclare offrir un programme d’enseignement développé par des missionnaires pour des missionnaires qui permet de « réfléchir aux questions théologiques sous l’autorité des Écritures ». On est loin de travaux universitaires scientifiques !

 

Les médias « décodex » ne décodent pas

Les médias  ont néanmoins présenté ces travaux avec le plus grand sérieux, sans dévoiler la personnalité de l’auteur et le contexte de sa publication.

Se contentant de « chercheur allemand », les canaux d’information dominants ne semblent pas avoir analysé l’origine des déclarations sur le Xinjiang.

Libération, l’Express, France 24, RTL (et tant d’autres) qualifient simplement Adrian Zenz de chercheur allemand ou de spécialiste des politiques chinoises. « Le chercheur allemand indépendant Adrian Zenz a été l’un des premiers à apporter des indices probants sur l’existence d’un réseau de camps d’internement au Xinjiang »[5] peut-on lire dans Le Monde. Pour un média prétendant « décoder » l’info et conseiller, via son décodex, le lecteur innocent, on ne peut pas dire que la vérification des sources soit appliquée systématiquement ! Lorsqu’une agence de presse publie un tel communiqué, il est repris par un grand nombre de journaux et livré sans précaution aux lecteurs. Ce qui génère, dans un cercle réellement vicieux, un grand nombre d’articles dont Zenz est la source, créant ainsi artificiellement, par la loi des chiffres, un « spécialiste ».

Parmi les quelques rares publications plus claires, le Wall Street Journal dévoile[6] : KORNTAL, Allemagne — Les recherches d’un anthropologue « chrétien born again » travaillant seul depuis un bureau exigu d’une banlieue allemande ont plongé la Chine et l’Occident dans l’un de leurs plus grands affrontements au sujet des droits de l’homme depuis des décennies. » C’est quasi le seul journal qui ne présente pas Zenz comme chercheur ou expert. On se demande d’ailleurs si son bureau est vraiment exigu…

Voyons comment la RTBF (radio-télévision belge francophone) traitait le sujet des internements, en mars 2019 :

« Depuis 2014, le Xinjiang a annihilé 1.588 groupes violents et terroristes, arrêté 12.995 terroristes, saisi 2.052 engins explosifs, sanctionné 30.645 individus coupables de 4.858 activités religieuses illégales, et confisqué 345.229 copies de matériel religieux illégal », selon le document gouvernemental. Ces chiffres n’ont pas pu être vérifiés de manière indépendante par l’AFP. (…)

Selon Adrian Zenz, expert de la sécurité en Chine à l’European School of Culture and Theology (Allemagne), il y aurait désormais jusqu’à 1,5 million de personnes internées au Xinjiang. Ce chiffre « se base sur le fait qu’il y a toute une gamme de différentes structures d’internement, dont beaucoup ont connu une expansion spectaculaire en 2017, mais aussi en 2018 (…) et sur les taux croissants d’internement parmi les Kazakhs et d’autres petites minorités musulmanes », a-t-il déclaré à l’AFP.[7]

Il y a donc les chiffres du gouvernement chinois, douteux parce que non vérifiables. Par contre, les chiffres de Adrian Zenz, présenté ici comme expert, ne sont pas qualifiés de tout autant non-vérifiables et même s’expliqueraient par toute une gamme de structures d’internement, par ailleurs non précisées.

 

Un nouveau prétexte foireux ?

Les Etats-Unis ont ouvertement déclaré la guerre à la Chine. Or, comme nous le rappelle l’adage bien connu, la première victime de la guerre, c’est la vérité. Instrumentaliser le sort de minorités pour déstabiliser un pays? Washington n’en serait pas à un coup d’essai. Il convient dès lors de faire preuve d’esprit critique face aux informations passant en boucle sur la Chine, surtout lorsque la source est aussi douteuse.  

Le Xinjiang a sans aucun doute été le théâtre de nombreux attentats islamistes et le séparatisme ouïghour dans un contexte de guerre commerciale entre la Chine, les USA et l’UE arrange bien le camp occidental. Il reste à espérer qu’un « christian born-again » ne brandira pas une quelconque fiole-à-la-Colin-Powell sous le nez de politiciens guerriers friands d’affrontements armés, punitifs ou commerciaux.

Notes:

[1] https://jamestown.org

[2] artisan majeur de la politique extérieure agressive des USA  (soutien aux moudjahidines afghans), auteur de « Le grand échiquier » et « The Choice: global Domination or Global Leadership »

[3] Mais on ne trouve pas le nom d’Adrian Zenz sur le site de cette école : https://www.awm-korntal.eu/page/european_school_of_culture_and_theology.html

[4] Zenz, Adrian; Sias, Marlon L. (November 2012). Worthy to Escape: Why All Believers Will Not Be Raptured Before the Tribulation. WestBow Press. pp. 30–47. ISBN 978-1-4497-6906-2.

[5] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/25/ouigours-le-but-des-centres-de-reeducation-est-d-endoctriner-et-de-changer-une-population-entiere_6020408_3210.html

[6] https://www.wsj.com/articles/the-german-data-diver-who-exposed-chinas-muslim-crackdown-11558431005

[7] https://www.rtbf.be/info/monde/detail_la-chine-dit-avoir-arrete-pres-de-13-000-terroristes-au-xinjiang?id=10173911