Ouïghours : un pavé (made in USA) dans la mare

par Gaston Monatte, le 22 avril 2021

commentaire sur l'article "Les accusations de génocide dans le Xinjiang sont injustifiées" par Jeffrey Sachs et Willian Schabas, deux bonzes du néolibéralisme, à lire en bas de page.

Project syndicate” (PS), est un réseau de 459 médias dans 150 pays. Dans son édition du 20 avril, il présente un article signé Jeffrey Sachs et Willian Schabas intitulé "the Xinjiang genocide allegations are unjustified, en d’autres termes “Les accusations de génocide au Xinjiang sont injustifiées” (lire l'article ci-dessous, traduit de l’anglais par Martin Morel). Les auteurs autant que la publication jettent un sérieux pavé dans la mare de la campagne internationale hystérique des médias et de quelques politiciens de droite comme de gauche qui “sans opportunisme” aucun, font le choix de soutenir les activistes de groupuscules séparatistes Ouïghours qui en appellent au “Djihad” et à ”anéantir la Chine”."Ces derniers sont en réalité ceux qui terrorisent les Ouïghours du Xinjiang”.

 

De Clémentine Autain à l’atlantiste Raphaël Glucksmann, de Nabilla à l’évangéliste de la secte ”Born again” Adrian Zenz qui pense que sa dénonciation de la Chine est guidée par Dieu, il est devenu dorénavant “fashion” de participer au boycott du coton en provenance du Xinjiang initié par des compagnies connues pour leur respect scrupuleux des droits de l’homme en Asie du Sud-est comme H&M, Adidas, Burberry, Nike. Ce qui en retour a provoqué une chute brutale des ventes de ces entreprises en Chine et sensiblement augmenté celles des produits chinois correspondants. Dans ce secteur concerné, les ventes ont contribué à faire un bond en avant de 7% à la bourse de Shanghaï.

L’article présenté par Project Syndicate est intéressant à plus d’un titre. En premier lieu par le support lui-même. La réputation de PS est d’être une référence internationale en matière de politique étrangère, et d’être très largement relayée dans le monde. PS n’est pas ce que l’on peut qualifier de néoconservateur. Bien sûr, il est critique de la Chine de Xi Jinping et de la Russie de Poutine, toutefois dans un style plus “soft” que bien des commentateurs officiels. PS reflète et suggère souvent par anticipation, parfois de manière critique, ce qu’est ou ce qu’annonce la politique étrangère nord-américaine.

Avec cet article, PS a rejoint en cela le Washington Post qui s’est exprimé récemment dans le même sens et qui sur les Ouïghours a pris ses distances avec le terme de “génocide” en soulignant que l’utilisation du mot génocide est “juridiquement inappropriée”, “intentionnellement incendiaire”, dans un but de “diabolisation”de la Chine.

 

Quelques mots sur les auteurs.


Jeffrey Sachs, économiste, professeur à l'Université de Columbia, New York
Jeffrey Sachs, économiste, professeur à l'Université de Columbia, New York
William Schabas, professeur de droit international à l'Université de Middlesex, Londres
William Schabas, professeur de droit international à l'Université de Middlesex, Londres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeffrey Sachs est un économiste libéral (libéral au sens américain et non celui que nous lui donnons) très écouté, proche de nombreuses administrations démocrates US, il est considéré internationalement comme l’un des cent intellectuels les plus influents au monde. Après la chute de l’URSS, il a été la cheville ouvrière de ce que l’on a appelé "la thérapie de choc" en Russie, Pologne avec les résultats tragiques que l’on sait, idem d’ailleurs en Amérique Latine.

Il s’est depuis racheté une conduite en critiquant les politiques qu’il avait inspirées et en prenant des positions lucides sur différents sujets dont les causes de la crise systémique, une critique souvent radicale de la politique américaine. Sachs est très actif sur les enjeux du développement durable, des inégalités, du réchauffement climatique, il a été le conseiller de plusieurs secrétaires généraux des Nations Unies, dont Antonio Gutteres.

Quant à William Schabas, il est un professeur de droit international de réputation mondiale. Un spécialiste pour les Nations Unies du droit international sur la torture, la peine de mort, les droits de la personne et le génocide sur lequel il a rapporté comme expert des Nations Unies à partir de l’exemple Ruandais. Il a occupé d’importantes charges universitaires et auprès d’institutions comme US Aid que l’on ne peut accuser de radicalisme.

Par conséquent si PS, Jeffrey Sachs et William Schabas recommandent d’arrêter les frais sur "le génocide" des Ouïghours, c’est probablement un indicateur intéressant de ce que cela peut annoncer comme évolution possible de la politique américaine à l’égard de la Chine. Faut-il rappeler ici que le terme de “génocide” a été utilisé par Biden lui-même ainsi que par son administration sans parler des médias mainstream en particulier en France comme le Monde et Libération, Cnews ou France 24 ?

Sachant que cette mise en cause critique de l’utilisation du concept grave de génocide est sans précédent et qu’il ne peut être le produit de la génération spontanée, cet article peut signifier deux choses possibles.

1- Une prise de conscience est en train de s’opérer quant à l’entreprise internationale de falsifications au sujet des Ouïghours, y compris parmi les décideurs américains. Du point de vue de son impact, preuve en est à travers cet article, cette campagne marque le pas. Ses excès et ses caricatures de la réalité au Xinjiang deviennent contre productifs. On en fait trop. Cela donne raison à ceux qui assument courageusement cette dénonciation à contre courant. C’est-à-dire plusieurs lanceurs d’alerte qui en toute honnêteté ont rapporté ce qu’ils ont vu et vécu au Xinjiang, comme l’a fait dans un livre Maxime Vivas.

Une réalité, qui est à des années lumières des descriptions fantasmagoriques d’experts qui n’ont jamais mis les pieds sur place et qui de surcroît pour un grand nombre d’entre eux ignoraient jusqu’ à l’existence des Ouïghours. Malgré les calomnies, cette résistance pro-vérité a tenu bon. D’une certaine manière et à leur manière Jeffrey Sachs et William Schabas vont dans le même sens. Il faut se féliciter de ces réactions critiques qui refusent le prêt à porter idéologique que les médias veulent imposer. Cet état d’esprit nouveau a été aussi favorisé par la fermeté “nouvelle” de la Chine qui a répondu du tac au tac et avec des arguments précis et irréfutables. Cette attitude offensive a contribué à déstabiliser et placer sur la défensive les dirigeants américains comme on l’a vu au sommet d’Anchorage.

A cette occasion la leçon de politique internationale donnée par les responsables chinois aux deux représentants de Joe Biden est implacable. Comme on le voit dans la vidéo de ces entretiens au sommet, la prestation chinoise est tout à fait remarquable. Elle fait grandement la différence avec le contenu affligeant des propos d’Anthony Blinken et Jake Sullivan.

2- L’article de Jeffrey Sachs et William Schabas est donc révélateur à partir d’arguments autant politiques que de droit international. Comme les deux auteurs le démontrent, on ne peut galvauder impunément les principes et valeurs défendues par le système des Nations unies et dont la Charte doit demeurer la référence des Etats et des peuples. Jeffrey Sachs et William Schabas y font référence de manière forte, solennelle et argumentée. Ce qui leur permet d’attirer l’attention sur ce qu’a été la politique des Etats Unis dans son action proclamée contre le terrorisme, et ce à quoi elle a conduit comme exactions en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye.

En fait cet article, en forme d’interpellation de la nouvelle administration US, suggère d’amorcer un virage pragmatique en renonçant aux approximations, aux suppositions, aux interprétations et à la fantaisie.

Comme le montre l’article en deux chapitres publié dans LGS par Jean-Pierre Page et Bruno Drweski sur la nouvelle politique étrangère US face à la Chine, les Etats-Unis sont pris dans une contradiction difficile à gérer : rivalité et besoin de coopérer pour assurer leur survie immédiate; à lire ici : https://www.legrandsoir.info/la-nouvelle-politique-etrangere-us-peut-elle-casser-des-briques-1ere-partie-1.html et https://www.legrandsoir.info/+-etats-unis-+.html

Il est bien beau de parler de changement de régime et même de changement de système à Pékin quand les Etats-Unis n’ont jamais été aussi divisés, polarisés, affaiblis économiquement et socialement. L’article de Jeffrey Sachs et de William Schabas dans Project Syndicate vient utilement rappeler qu’à jouer avec les allumettes, on finit par se brûler.

URL de l'article:  https://www.legrandsoir.info/ouighours-un-pave-made-in-usa-dans-la-mare.html

 

Les accusations de génocide dans le Xinjiang sont injustifiées

par Jeffrey D.Sachs et William Schabas, le 20 avril 2021

traduit de l'anglais par Martin Morel

NEW YORK/LONDRES – Le gouvernement des États-Unis intensifie inutilement son discours à l’encontre de la Chine selon lequel un génocide serait en cours contre le peuple ouïghour, dans la région du Xinjiang. Ces accusations sont très graves, le génocide étant à juste titre considéré comme le crime ultime. De nombreux observateurs appellent ainsi à un boycott des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin, parlant des « Jeux du génocide ».

Les accusations de génocide ont été formulées le dernier jour de l’administration Donald Trump par le secrétaire d’État de l’époque, Michael Pompeo, qui n’a pas caché son recours au mensonge en tant qu’instrument de la politique étrangère américaine. Voici désormais que l’administration de Joe Biden abonde dans le sens des affirmations peu étayées de Pompeo, alors même que les meilleurs juristes de l’actuel département d’État partagent semble-t-il notre scepticisme quant à ces accusations.

Cette année, le rapport sur les pratiques en matière de droits de l’homme du département d’État suit Pompeo dans ses accusations de génocide formulées contre la Chine dans le Xinjiang. Ce rapport n’utilisant le terme que dans sa préface à une seule reprise, puis dans le résumé analytique du chapitre portant sur la Chine, le lecteur est censé en deviner les éléments de preuve. La majeure partie du rapport traite de questions telles que la liberté d’expression, la protection des réfugiés, ou encore les élections libres, sans aucun lien avec les accusations de génocide.

Un certain nombre d’accusations crédibles de violations des droits de l’homme impactant les Ouïghours existent, mais ces violations ne sont pas constitutives d’un génocide. Nous devons par ailleurs comprendre le contexte de la répression chinoise dans le Xinjiang, pour l’essentiel motivé par des raisons comparables à celles qui ont fondé les interventions de l’Amérique au Moyen-Orient et en Asie centrale après les attentats du 11 septembre 2001 : combattre le terrorisme des groupes militants islamistes.

Comme l’a expliqué l’homme d’affaires et écrivain Weijian Shan, base à Hong Kong, la Chine a connu des attentats terroristes répétés dans le Xinjiang, au cours des mêmes années durant lesquelles la réponse défaillante de l’Amérique face aux attaques du 11 septembre a conduit à de nombreuses violations du droit international et effusions de sang causées par les États-Unis. D’ailleurs, jusqu’à la fin de l’année 2020, l’Amérique catégorisait le Mouvement islamique ouïghour du Turkestan de l’Est comme un groupe terroriste, et luttait contre les combattants ouïghours en Afghanistan, faisant parmi eux de nombreux prisonniers.

Jusqu’en juillet 2020, les Nations Unies relevaient la présence de milliers de combattants ouïghours en Afghanistan et en Syrie.Une accusation de génocide ne doit jamais être proférée à la légère. L’emploi inapproprié du terme peut conduire à des tensions géopolitiques et militaires, et dévaluer la mémoire historique de génocides tels que la Shoah, mettant ainsi potentiellement à mal la prévention de futurs génocides. Il incombe au gouvernement américain de faire preuve de responsabilité lorsqu’il est question d’accusations de génocide, une responsabilité à laquelle ce gouvernement a manqué en l’occurrence.

La définition du génocide figure dans le droit international au travers de la Convention des Nations Unies sur le génocide (1948), une définition que plusieurs décisions judiciaires ont par la suite précisée. La plupart des pays, dont les États-Unis, ont intégré la définition de la Convention à leur législation nationale, sans y apporter de modification significative. Ces dernières décennies, les principaux tribunaux des Nations Unies ont confirmé que cette qualification exigeait la preuve d’un très haut niveau de destruction physique intentionnelle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux.

La définition précise cinq actes, dont un doit être perpétré pour que le génocide soit qualifié. Il va sans dire que les massacres figurent au plus haut de la liste. Le rapport du département d’État sur la Chine énonce que « plusieurs » meurtres ont été constatés, tout en précisant « l’absence ou la faible disponibilité d’autres informations », et ne détaille qu’un seul cas – celui d’un homme ouïghour détenu depuis 2017 et mort de causes naturelles, d’après les autorités. Le rapport n’explique pas même pourquoi cette version officielle devrait être remise en question.

Techniquement, un génocide peut être prouvé sans éléments confirmant que des personnes ont été tuées. Mais dans la mesure où les tribunaux exigent la preuve d’une destruction physique intentionnelle d’une population, il est difficile de le démontrer en l’absence de preuves indiquant des massacres, en particulier lorsqu’aucune preuve directe n’existe qui indiquerait une intention génocide, par exemple sous la forme de déclarations politiques, mais uniquement des éléments circonstanciels, qualifiés par les tribunaux internationaux de « ligne de conduite ».

Les tribunaux internationaux ont à plusieurs reprises affirmé que lorsque des accusations de génocide n’étaient fondées que sur des déductions face à une ligne de conduite, tous les autres éléments d’accusation devaient être écartés définitivement. C’est la raison pour laquelle la Cour internationale de Justice a rejeté en 2015 les accusations de génocide formulées contre la Serbie, puis la contre-accusation concernant la Croatie, malgré des preuves d’épuration ethnique terrible en Croatie.Ainsi, quels autres éléments pourraient fonder l’existence d’un génocide en Chine ? Le rapport du département d’État évoque l’incarcération massive d’environ un million de Ouïghours. À condition que cela soit prouvé, il s’agirait évidemment d’une violation majeure des droits de l’homme ; mais ici encore, rien ne prouve en soi l’intention d’exterminer.

L’un des cinq autres actes constitutifs d’un génocide réside dans « l’imposition de mesures visant à empêcher les naissances parmi une certaine population ». Le département d’État évoque la célèbre politique agressive de contrôle des naissances menée par la Chine. Jusqu’à récemment, la Chine appliquait strictement la politique de l’enfant unique pour la majorité de sa population, mais le pays se montrait plus souple avec les minorités ethniques, dont les Ouïghours.

Aujourd’hui, la politique de l’enfant unique ne s’applique plus aux Hans, majoritaires en Chine, mais des mesures plus strictes ont été imposées à la minorité musulmane du Xinjiang, dont les familles sont traditionnellement plus nombreuses que la famille chinoise moyenne. Pour autant, le Xinjiang enregistre encore aujourd’hui une croissance démographique positive, la population ouïghoure augmentant plus rapidement que la population non-ouïghoure dans le Xinjiang sur la période 2010-2018.

Les accusations de génocide sont alimentées par des « études » telles que le rapport du Newlines Institute, qui a récemment fait les gros titres. Newlines est décrit comme un think tank « non partisan » basé à Washington. À y regarder de plus près, il semble en réalité s’agir d’un projet mené par une petite université de Virginie, conduit par 153 étudiants et huit membres de la faculté, à l’agenda politique apparemment conservateur. Plusieurs grandes organisations des droits de l’homme ont d’ailleurs invité le think tank à cesser d’utiliser le terme de génocide.

Les experts de l’ONU appellent à juste titre les Nations Unies à enquêter sur la situation dans le Xinjiang. Le gouvernement chinois, pour sa part, a récemment déclaré qu’il accueillerait volontiers une mission de l’ONU dans le Xinjiang, sur une base « d’échange et de coopération », pas dans une démarche de prononcé de culpabilité avant même la présentation de preuves. 

À moins que le département d’État soit en mesure de fonder ses accusations de génocide, il lui faut les retirer, tout en soutenant une enquête de l’ONU sur la situation dans le Xinjiang. Le travail des Nations Unies, et notamment celui des Rapporteurs spéciaux de l’ONU sur la situation des droits de l’homme, est essentiel pour promouvoir la lettre et l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

URL de l'article en anglais:  https://www.project-syndicate.org/commentary/biden-should-withdraw-unjustified-xinjiang-genocide-allegation-by-jeffrey-d-sachs-and-william-schabas-2021-04