Les Tibétains profitent-ils vraiment de l’aide massive du gouvernement à la R.A.T. ?

par Jean-Paul Desimpelaere, le 27 novembre 2010

« La population tibétaine ne bénéficie que d'une très faible portion des subventions que le gouvernement central chinois octroie massivement à la Région autonome du Tibet (R.A.T.) », répètent en chœur l’administration du dalaï-lama (« Département de l’Information et des Relations Internationales »), la « Campagne Internationale pour le Tibet » (ICT, International Campaign for Tibet), « Human Rights Watch » (HRW) et autres groupes de soutien à l'indépendance du Tibet. Cet argument est alors « courageusement » diffusé par nos médias. Pourtant, pour ceux d'entre nous qui se sont rendus quelques fois au Tibet ces trente dernières années, c’est évident : le niveau de vie augmente à vue d’œil en RAT, et ce beaucoup plus rapidement que dans le reste de la Chine. C’est la conséquence d'une politique délibérée du gouvernement national.

 

Ces cinq dernières années (2006-2010), Beijing a alloué annuellement 4 milliards d’euros d’aide au développement au Tibet (1). Cela fait 1 milliard de plus que l’ensemble de ce que l’état belge distribue à toutes les régions en voie de développement dans le monde. Il faut ici rappeler que le Tibet compte « seulement » trois millions d’habitants. L’aide gouvernementale représente donc un peu plus de 1000 euros par an et par habitant. Aucune autre région au monde ne reçoit autant de soutien.

Pour les cinq années à venir, la Chine va doubler l’aide annuelle au Tibet, jusqu’à 8 milliards d’euros. La plus grande part en sera consacrée à l’écologie, l’enseignement, la sécurité sociale et les soins de santé. Par le passé, les aides visaient surtout l’infrastructure : routes, renouvellement urbain (2), l’énergie, le reboisement, une ligne ferroviaire, les aéroports (3), le secteur de la construction (habitations, écoles, hôpitaux, bâtiments publics).

L’économie du Tibet est 60 fois plus importante qu’il y a trente ans et par rapport à l’ensemble de la Chine, c’est 70 fois plus importante. Les revenus de la RAT sont à peu près trente fois plus élevés qu’il y a trente ans et 35 fois plus élevés que dans l’ensemble de la Chine. Le dédoublement des subventions pour les cinq années à venir s'inscrivent dans une tentative de rattrapage de la RAT par rapport au reste de la Chine.

Le résultat est visible et touche à peu près toute la population tibétaine. Le nombre de pauvres est descendu à 8% (4). Ceux-ci se comptent principalement parmi les paysans et les éleveurs vivant et travaillant dans un environnement rude et isolé. Ceux-ci reçoivent une petite prime supplémentaire de quelques dizaines d’euros par personne et par an.

Ces dernières années, j’ai eu l'occasion de questionner une quarantaine de familles paysannes dispersées dans tout le Tibet. Deux d’entre-elles vivaient encore de manière très rudimentaire et avaient un revenu en-dessous de 1000 euros par an pour toute la famille. C’était des éleveurs de moutons installés dans une région aride et qui n'avaient pas de culture d’orge en plus. Toutes les autres familles interrogées gagnaient plus de 2000 euros par an, parfois beaucoup plus quand ils avaient une activité complémentaire. Par exemple, certains possédaient un camion et faisaient du transport en sous-traitance. Leur revenu annuel atteignait alors 10.000 euros, parfois plus. Ces chiffres sont évidemment difficiles à comparer avec le coût de la vie chez nous, néanmoins, ils donnent un ordre de grandeur.

Les Tibétains habitant en zones rurales (c-à-d 80% de tous les Tibétains) possèdent leur propre maison et ne doivent pas louer de terres, ni payer d’impôts sur le revenu. Justement, à propos de maisons : ces cinq dernières années, une majorité des familles paysannes tibétaines a construit une nouvelle maison ou a rénové leur ancienne. En cinq ans de temps (2006-2010), à peu près 80% de la population rurale – soit 220.000 familles, ce qui représente 1,2 millions de personnes - s'est construit une nouvelle maison, suite à une campagne menée à grande échelle par le gouvernement régional tibétain.

La RAT a distribué des subsides s’élevant à 6000 euros en moyenne par famille pour la rénovation rénovation de la maison, l'acheminement de l’eau potable, de l’électricité et du téléphone. Depuis lors, les conditions de vie dans les campagnes tibétaines se sont nettement améliorées, ce qui est visible pour nous, simples voyageurs étrangers. Le Human Rights Watch (HRW) est pourtant sarcastique à ce sujet et accuse le gouvernement chinois de « déplacer les Tibétains, de les forcer à déménager dans des villages groupés pour pouvoir mieux les contrôler et ainsi faire disparaître leur mode de vie traditionnel » (5). L’accusation est reprise par le congrès des États-Unis (6) et par le parlement européen (7).

un des premiers
un des premiers "nouveaux villages » en RAT (photo JPDes. 2005)

Une étude récente à ce sujet, effectuée sur place par trois anthropologues réputés (deux Américains et un Tibétain) est très éclairante (8). Ils ont consacré neuf mois à leur recherche en y impliquant tous les habitants de trois grands villages, un total de 309 familles. Comme pour les études précédentes de l’un d’entre eux – Melvyn Goldstein, qui parle couramment le tibétain – le rapport insiste sur le fait que leurs interviews n’étaient soumises à aucun contrôle ni à aucune restriction. Leur méthode de recherche (questions qui se recoupent et vérifiées ultérieurement) a également permis d’éviter la fantaisie autant que possible. Ces chercheurs sont d’ailleurs connus pour leur sérieux dans les cercles de tibetologues du monde entier.

Que concluent-ils ?

La rénovation d’une habitation ou la construction d’une nouvelle maison s’est passée de manière volontaire, les familles concernées ont clairement pris l’initiative elles-mêmes.

En 2009, seulement la moitié des familles dans les trois villages avait construit une nouvelle maison. Donc, pas ou pas encore 80%.

Une nouvelle maison coûte 5000 à 8000 euros en matériaux. Les familles s’occupent elles-mêmes de la construction.

La campagne du gouvernement mettait à disposition des subventions allant de 1000 à 3000 euros. De plus, l’emprunt pour financer le reste se faisait sans intérêt pendant les trois premières années.

Dans les trois villages concernés, il n’a pas été question de déménager, le village restait au même endroit, le réseau social n’a pas été rompu, contrairement aux accusations du HRW et autres.

Il y a eu une concertation poussée dans les villages pour éviter de sacrifier des terres agricoles dans les limites du possible.

Les familles possédant un camion ont choisi de s’installer plus près de la route principale.

Toutes les nouvelles habitations ont été construites dans le style traditionnel tibétain, elles sont plus spacieuses et plus solides que les maisons en argile d’avant.

un
un "ancien" village en RAT (photo JpDes., 2005)

Lors d’une étude précédente, M. Goldstein avait exploré une région où vivent des populations semi-nomades. Ici aussi, le HRW tire une sonnette d'’alarme : « les nomades sont forcés de se sédentariser », prétend l'organisation. Goldstein réfute cela en disant  simplement: le nomadisme 100% n’existe quasiment plus au Tibet, les « nomades » sont devenus semi-nomades, c-à-d qu'ils possèdent une maison, mais y séjournent seulement la moitié de l’année. Des subventions leur ont également été attribuées. Leur nouvelle maison sont sur la même parcelle que leur ancienne maison, et il n’est pas question de « sédentarisation forcée ».

À ceci, je voudrais ajouter que la partie méridionale de la province du Qinghai est bien en train de se dépeupler, mais pour des raisons écologiques : il y a risque de désertification. Le gouvernement n’a pas attendu que les yacks broutent toute l'herbe et a, en effet, délocalisé quelques dizaines de milliers de personnes. Dans cette région Sud du Qinghai, un projet de replantation intensive a été mis sur pied pour essayer de freiner la désertification.

Une des pièces dans les nouvelles maisons est souvent réservée comme lieu de culte (photo JPDes. 2005)
Une des pièces dans les nouvelles maisons est souvent réservée comme lieu de culte (photo JPDes. 2005)

Pendant leur étude dans les trois villages, les chercheurs ont également posé des questions par rapport aux autres avantages sociaux. Toutes les familles semblaient affiliées à une « assurance maladie » : elles payent 5 euros par an pour couvrir des frais de santé qui peuvent s'élever à 60 euros par an. En plus, les frais d’hospitalisation sont remboursés à concurrence de 90 à 95%. Un début de pension pour la population rurale est aussi octroyé : 60 euros par an par personne de plus 55 ans qui n’a qu’un fils ou deux filles. À partir de 80 ans tout le monde reçoit une prime de 30 euros par an. Dans ces trois villages, il y avait aussi quelques familles pauvres. Celles-ci recevaient de 15 à 40 euros par an et par personne, comme soutien supplémentaire.

Par ailleurs, les subsides pour la diversification de l’activité agricole sont importants. Par exemple, des serres pour le maraîchage sont gratuitement mises à disposition. Autre exemple, un élevage de poulets dans un village tout proche a bénéficié d’un million d’euros pour le démarrage de l’activité (installation, achat des poussins et de fourrage). L’objectif de cet élevage est de fournir en viande de poulet la ville voisine, Xigaze. L’achat de petites machines agricoles est également subventionnée à 30%. Les engrais le sont à 50%. Et pour finir, il y a encore une subvention agricole de 50 euros par hectare cultivé.

En bref, le gouvernement a lancé un vaste programme qui donne la priorité aux populations rurales du Tibet, et le niveau de vie du Tibétain moyen s'est amélioré de plus de 10% par an depuis l'an 2000... et cela se voit ! Qui affirme le contraire devrait retourner en RAT pour y jeter un nouveau coup d’œil. Le gouvernement distribue même des bons d’achat aux Tibétains lors des festivités locales importantes, comme le festival de l’automne qui a lieu maintenant.

Avec cela, je n’ai même pas encore mentionné les autres réalisation du gouvernement de la RAT soutenu par le national: une route décente vers chaque village, la distribution d’eau potable sur tout le territoire et de l'électricité dans tous les villages. N’oublions pas : le Tibet est très étendu, les villages sont parfois éloignés de plusieurs dizaines de kilomètres. La densité de la population au Tibet est de deux habitants au kilomètre carré.

Le gouvernement chinois veut s’assurer la confiance des Tibétains par ces investissements énormes, c’est évident. Ces subventions sont un traitement de faveur par rapport aux autres régions pauvres de la Chine. La RAT est constamment sous le feu du réseau de soutien au dalaï-lama et des amicales européennes et américaines qui revendiquent l'indépendance du Tibet. Or le gouvernement chinois souhaite maintenir la stabilité sur tout son territoire, aussi en RAT.

Notes :

  1. Communiqué de presse, Lhassa 17/03/2010

  2. Pensez par exemple au réseau d’égouttage, il était encore en grande partie inexistant dans toutes les villes tibétaines en 1980

  3. N’oublions pas que le Tibet fait 2,5 fois la superficie de la France. Le Tibet compte aujourd’hui cinq aéroports, autant que la Belgique qui est 40 fois plus petite.

  4. Le gouvernement du Tibet qualifie les gens de « pauvres » s’ils disposent de moins d’un dollar par jour. Dans le reste de la Chine, les autorités le critère est d'environ un demi-dollar par jour. Cela implique que les Tibétains reçoivent un soutien financier plus rapidement qu'ailleurs en Chine.

  5. Site web du HRW, mai 2007

  6. US, Congressionnal executive commission on China, rapport annuel, octobre 2007

  7. Commission pour les droits de l’homme du parlement européen, 27 novembre 2007

  8. Melvyn Goldstein, Geoff Childs et Puchung Wangdui. L’étude est parue dans le « Journal of East Asian Studies », nº63, janvier 2010

PS de J.V.M (France) :

Merci pour l’envoi de votre rapport.Il est excellent et reflète exactement ce que j’ai pu constater récemment avec ma délégation constituée de diverses catégories de professionnels. Il faudrait forcer nos médias à stopper cette désinformation médiatique. Je m’en occupe comme je peux. Bien sincèrement.