Les monastères tibétains s’intègrent au Marché

par Jean-Paul Desimpelaere, le 24 janvier 2010

Depuis les années quatre-vingt, les restrictions concernant les pratiques religieuses au Tibet se sont nettement assouplies. Certains monastères tibétains se sont peu à peu vu renaître et, avec l'essor économique du Tibet, ils se tournent volontiers vers l'une ou l'autre activité commerciale... à l'exemple des trappistes chez nous qui produisent du fromage ou de la bière.

 

Le monastère de Rongbuk est certainement le monastère situé à l'altitude la plus élevée au monde : 5010 mètres, au pied du Qomolongma (ou l'Everest). En 2007, il y avait huit moines et vingt nonnes qui géraient ensemble cette « affaire »... parce qu’il s’agit bien d’une affaire avec un revenu de 20.000 euros/an, ceci juste avant le changement de siècle. Depuis lors, le chiffre d'affaire a dû augmenter.

Cet argent est-il rentré dans les caisses grâce aux pèlerins ? Non, il vient essentiellement des alpinistes et des touristes occidentaux. Les moines s’occupent de leurs transports, les nonnes font la lessive et nettoient la trentaine de chambres du monastère mises à la disposition des touristes-trekkers. Un seul petit nuage à ce tableau idyllique : le bois... pas le moindre arbre qui pousse à l’horizon !

Le bois de chauffage est produit à quelques centaines de kilomètres de là, et il faut le leur livrer. Non loin du monastère s’est aussi ouvert un hôtel super cosy avec baie vitrée offrant une vue époustouflante sur l’Everest. Les trekkers peuvent rejoindre le camp de base en charrette tirée par des chevaux. Il est même possible d’envoyer une petite carte postale depuis le camp;de base car un véritable bureau de poste permanent y a été installé.

 

Le monastère de Tashilumpo de Xigaze (siège officiel des panchen-lamas) lorgne aussi sur le marché moderne : les moines y ont ouvert un magasin, une maison de thé et un restaurant. Le magasin est une sorte de supérette pour les besoins du quotidien, mais il propose aussi des souvenirs, des instruments de musique et des articles d’offrandes bouddhistes, comme de l’orge en sachets, de l’encens en bâtons et du beurre de yack à brûler dans les bougeoirs. Le personnel est exclusivement composé de moines. Par ailleurs, les moines de Tashilumpo disposent désormais de leur propre clinique, avec du matériel médical spécialisé pour les radiographies et les électrocardiogrammes. Les trois-quart des fonds viennent d’un don d’une organisation d’aide au développement basée à Hong Kong. Les 14 médecins de la clinique sont des moines trilingues (tibétain, chinois et anglais). Ils soignent les patients de l'extérieur et fabriquent eux-mêmes des remèdes tibétains traditionnels. Pour cela, ils perçoivent un modeste supplément de salaire d’environ 50 euros par mois. L’emploi des téléphones portables est une autre avancée pour le monastère car la distance entre l’entrée et le temple principal est assez grande et de plus, le monastère s’appuie sur un flanc abrupt de la montagne... téléphoner est plus facile que grimper !

Au Norbulingka, le Palais d’été du dernier dalaï-lama, lors du « festival du yaourt » qui se tient annuellement à la fin de l'été, on peut désormais écouter de la techno ! Pendant ces quelques jours de fête, les jardins du Palais d'été se transforment en camping provisoire. Des jerrycans remplis de kang (bière d’orge) se passent de main en main, des groupes de Tibétains jouent à des jeux de société sous les arbres, des mamys dansent sur des airs traditionnels. Et à côté des tentes dressées pour les concours traditionnels d’opéra, d'autres abritent des jeunes Tibétains survoltés qui diffusent de la musique techno. Impossible de passer à côté des publicités gigantesques de Pepsi et Budweiser : parasols, bannières et tentes arborent leurs sigles publicitaires et les meilleurs chanteurs de karaoké gagnent des récompenses « en nature ».

Le monastère de Ganden, près de Lhassa, possède sa propre société de bus depuis 1986. Neuf bus par jour assurent le transport des touristes et des fidèles depuis Lhassa jusqu'au monastère. Les véhicules sont conduits par des moines habillés en civils. Par ailleurs, en 1998, le monastère de Ganden a reçu la direction d’un nouveau projet de maisons louées à des villageois situés plus bas. Les locations rapportent 20.000 euros/an. De plus, le monastère a ouvert un bon nombre de magasins à Lhassa. Vingt moines y travaillent en permanence et chacun d'entre eux gagne environ 400 euros « d’argent de poche » par an. Les moines de Ganden sont relativement bien lotis, et beaucoup d’entre eux soutiennent leur famille financièrement. Toutefois, la plupart des moines des monastères tibétains vivent encore aujourd’hui majoritairement grâce aux dons des pèlerins... à l’exception de ceux du Potala à Lhassa qui perçoivent un salaire mensuel de 500 yuan de l’autorité locale, un peu à l'image des prêtres de la basilique de Koekelberg à Bruxelles.

Les bus de Ganden montent cette pente venant de la vallée (photo JPDes. 2005)
Les bus de Ganden montent cette pente venant de la vallée (photo JPDes. 2005)

Le monastère de Tagong appartenant à l’école bouddhiste des Nyingmapa, se situe dans l’Ouest du Sichuan, non loin de la petite ville de Kangding. Le monastère est situé sur des terres de pâturages et jouit d'une vue imprenable sur des sommets enneigés, aussi ses alentours se sont-ils transformés en un petit centre commercial : les hôtels, les magasins et les restaurants se bousculent et les moines se baladent fort à l'aise dans ce bazar avec leur GSM dernier-modèle collé à l'oreille.

aux alentours du monastère de Tagong (photo JPDes., 2007)
aux alentours du monastère de Tagong (photo JPDes., 2007)

Le lama réincarné Phurbu, des monastères de Purungnang et de Yasha à Garze (au Sichuan), a ouvert deux importantes affaires commerciales : des plantes médicinales tibétaines transformées en pilules y sont vendues en gros. Le gain généré par ce commerce a été investi dans la restauration du monastère de Purungnang ainsi qu’à la construction d’une maison de retraite en ville.

La « pilule de Garze » est renommée pour son action rapide et efficace contre la gastro-entérite, ceci bien au-delà des frontières de la Chine. Pourtant le lama Phurbu ne parvient pas à obtenir l’autorisation de vendre cette pilule à l’étranger en raison des normes sévères concernant la vente des médicaments traditionnels à l’étranger. Durant la période des réformes agraires des années cinquante, le lama Phurbu a dû quitté le monastère et il s'était converti en conducteur de tracteurs. Dans les années quatre-vingt, il a eu l’occasion d’achever ses études bouddhiques, ce qu’il fit avec enthousiasme.

Puis il a repris son statut de lama réincarné... mais il roule toujours en tracteur !