#MeToo ? À genou ! (sexisme et religions)

par André Lacroix, 11 janvier 2019

L’antiféminisme des trois grandes religions monothéistes n’est plus aujourd’hui contesté que par quelques exégètes usant d’aguments tarabiscotés pour essayer de démontrer que le judaïsme, le christianisme et l’islam, tant dans le écritures que dans la tradition, accorderaient à la femme un statut égal à celui de l’homme.

Mais ces trois religions auraient-elles le monopole du sexisme ? Et l’islam en particulier ?

 

 

 

Il n’y a pas que la burqa

Comme le fait justement remarquer l’historienne Anne Morelli, « on vise souvent l'islam [avec raison], mais dans les lettres de saint Paul, qui font partie du canon des textes catholiques, il est dit que le mari est le chef de sa femme comme le Christ est le chef de son Église, que les femmes doivent avoir la tête couverte, qu'il leur est interdit de parler en public et d'intervenir dans les assemblées. Il y a une prière dans le judaïsme où les hommes remercient Dieu d'être nés juifs et de ne pas être nés femmes. Dans le talmud, mieux vaut brûler la torah que la confier à une femme. Aucune religion ne fait la promotion des femmes. L'émancipation de la femme s'est toujours faite dans un cadre laïque. » (1)

Sans doute y a-t-lieu de replacer ces discriminations sexistes dans le contexte historique où sont nées ces trois religions, à savoir des sociétés traditionnellement patriarcales et machistes. Sans doute aussi faut-il saluer les efforts tentés par des penseurs éclairés, issus de ces trois monothéismes, pour débarrasser leur foi des considérations sexistes. La question qui se pose précisément est de savoir s’il s’agit d’oripeaux qu’on peut impunément jeter aux orties ou bien de fondements constitutifs qui leur collent tellement à la peau qu’un arrachement aurait des conséquences létales. Seul l’avenir nous le dira.

Mais, hic et nunc, le scepticisme s’impose. On n’oublie pas, par exemple, l’obligation de procréer abondamment que les religieux, bien en cour en Israël, continuent d’imposer aux femmes juives. On connaît le rôle subalterne que l’Église catholique réserve aux femmes dans sa structure hiérarchique. Et quant à l’islam, il est difficile de voir dans la permission de conduire une auto − accordée récemment aux femmes par le prince régnant en Arabie saoudite – autre chose qu’un miroir aux alouettes dans cet État musulman où des féministes sont torturées (2).

C’est ce qu’illustre avec talent le caricaturiste Luz :

assohum.org
assohum.org

 

Et dans l’hindouisme ?

Lors d’un déplacement officiel de deux jours au Bangladesh en juin 2015, le Premier ministre indien Narendra Modi – un nationaliste hindou – a salué la détermination de son homologue bangladaise Sheikh Hasina à lutter contre les groupes islamistes … « bien qu’elle soit une femme », suscitant ainsi, sous le hashtag #DespiteBeingAWoman, une avalanche de commentaires sarcastiques du genre : "J’ai réussi à me lever et à manger mon petit-déjeuner bien qu’étant une femme. » Réponse de … la bergère au berger, en quelque sorte.

Beaucoup moins drôle : d’après « France Info » (15/05/2018) se basant sur plusieurs enquêtes, « le sexisme tue. Quelque 239 000 petites Indiennes meurent chaque année en raison de négligences (malnutrition, manque de soins, absence de vaccination) dont souffrent moins les garçons dans la société indienne », une société largement influencée par un hindouisme militant.

Tout récemment au Kerala, dans la nuit du 1er au 2 janvier 2019, deux femmes d’une quarantaine d’années, qui avaient osé se rendre dans le temple de Sabarimala pour prier Ayyappa (une divinité vénérée en Inde du Sud), ont été violemment prises à partie par des hindous fanatiques, alors pourtant que la Cour suprême indienne, le 28 septembre 2018, s’était prononcée contre « l'exclusion sociale des femmes fondée sur le statut menstruel » (3)…

 

Et dans le bouddhisme (tibétain) ?

Le 22 septembre 2015, le dalaï-lama était interviewé à la BBC. Alors que le journaliste Clive Myrie menant l'entretien évoque la possibilité que le prochain Lama puisse être une femme, le chef spirituel acquiesce, avant de glisser sur la peau de banane d'un cliché quelque peu sexiste : « les femmes, biologiquement, ont plus de possibilités de montrer de l’affection et de la compassion ». Préjugés, quand tu nous tiens.

Le dalaï-lama parvient vite à redresser la barre par un « Les femmes devraient avoir plus d’importance dans le monde ». Ouf. On serait tenté d'applaudir. Sauf que, à nouveau, ça se gâte lorsque le leader des Tibétains revient sur l'hypothèse d'une future lama, avançant que « si c’est une femme, elle devrait avoir un visage très très séduisant ».

Petit hoquet de l'intervieweur juste en face. « Si le dalaï-lama est une femme, elle devra vraiment être belle ?! » lance le journaliste de la BBC avec un rire crispé. Et le leader bouddhiste de confirmer qu' « elle devra être séduisante, sinon elle sera inutile. » Quoi, vraiment ? Une blague un brin pince-sans rire peut-être. « Non c’est vrai », appuie le dalaï-lama, devant l'incrédulité de son interlocuteur.

On notera que ce n'est pas la première fois que le guide spirituel aborde la gent féminine sous cet angle. Lors  d'une autre interview, avec CBS cette fois, il avait révélé son penchant très prononcé pour les « femmes séduisantes ». Avant de souligner « que pour les maris, une large partie de l’argent est utilisée par les épouses ». Ce n'était pas en 1950, mais en 2013 (4).

Il convient de remarquer que ce sexisme de café du commerce ne représente qu’une petite partie du mépris de la femme cultivé par des siècles de bouddhisme tibétain, donnant lieu à toutes sortes de pratiques scandaleuses et humiliantes pour les femmes. Nous conseillons aux lecteurs de relire l’article à ce propos l’article

http://tibetdoc.org/index.php/religion/bouddhisme-tibetain-dans-le-monde/110-abus-sexuels-et-bouddhisme-tibetain, écrit par Élisabeth Martens le 20 janvier2016.

Ces dérives encore actuelles s’enracinent dans une longue tradition censée remonter à Bouddha lui-même. Dans son introduction à l’édition allemande du Malleus maleficarum (Le marteau des sorcières c.-à-d. Le marteau contre les sorcières) publié à Strasbourg en 1486 ou 1487, J. W. R. Schmidt écrit que « déjà plus de mille ans » avant ce document emblématique de la misogynie chrétienne, « Bouddha, à maintes reprises et avec insistance, exhortait ses disciples à éviter les femmes : ‘ Plus secrète que le chemin où passe le poisson dans l’eau est la nature des femmes, ces voleuses insidieuses qui ne disent que rarement la vérité ; pour elles, la vérité est pareille au mensonge, le mensonge pareil à la vérité.’ » (5)

June Campbell, tibétologue, ancienne interprète (et aussi « maîtresse secrète ») du lama Kalu Rinpoché, fournit des citations de Milarepa, l'un des plus célèbres maîtres du lamaïsme, dont la misogynie n'est guère inférieure à celle des auteurs dominicains du Malleus maleficarum occidental. Elle note que le saint gourou « met en garde tous les pratiquants mâles : ‘La femme est toujours une fautrice de troubles... la principale cause de la souffrance’. En ce qui concerne la séduction que les femmes exercent sur les hommes, il écrit : ‘Une amie est d'abord une déesse souriante... Plus tard, elle devient un démon aux yeux de mort... À la fin, elle devient une vieille vache édentée.’ Quant à son rôle, il en fait une description tout aussi impitoyable. ‘Dans le meilleur des cas, elle peut servir autrui, dans le pire, elle apporte malchance et malheur.’ » (6)

June Campbell explique encore que « dans la langue tibétaine, vernaculaire aussi bien que littéraire, le mot le plus utilisé pour ‘homme’, ‘mi’ veut aussi dire ‘être humain’ ou ‘personne humaine’ ». Les quelques autres mots pour ‘homme’, comme « celui qui est né » ou « personne à deux jambes », ne dénotent aucun jugement de valeur. Visiblement, il n’en va pas de même avec les synonymes tibétains pour « femme ». Le dictionnaire tibéto-anglais n’en compte pas moins de vingt. Campbell en cite quelques-uns : « Les deux plus répandus sont kyemen (en tibétain skye.dman.) qui signifie ‘être inférieur de naissance’, et pumo (tib . bu.mo.), qui veut dire ‘personne féminine’. On trouve aussi tsamdenma (tib. mtshams.ldan.ma.), ‘celle qui est soumise à des limitations’ ; chingchema (tib . hching.byed.ma.), ‘celle qui subjugue’ ; dodenma (tib. hdod.ldan.ma.), ‘celle qui éprouve de la concupiscence’ ; gaweshi (tib. dgah.wahi.gshi.), ‘la source du plaisir’ ; et tobmema (tib. stobs.med.ma.), ‘qui est sans sperme (ou force)’. »

Au cours de ses années passées au Tibet au début du 20e siècle, le moine bouddhiste japonais Ekai Kawaguchi avait déjà pu observer que « les garçons au Tibet sont mieux traités que leurs sœurs, et cette discrimination commence peu après la naissance ». (7)

Revenons-en au dalaï-lama. Selon lui, les femmes ne sont nullement discriminées au sein du bouddhisme tibétain ; il nous révèle pourtant qu’il existe « 253 règles pour les moines » tibétains, tandis qu’il y en a « 364 pour les nonnes ». (8) Par conséquent lorsque, exceptionnellement, « une liturgie rassemblait moines et nonnes, celles-ci occupaient systématiquement les rangs les plus bas », rapporte Laurent Deshayes (9).

En bref

Afin de mieux rendre compte de la réalité, et comme un bon croquis vaut mieux qu’un long discours, nous nous sommes permis de retoucher la caricature de Luz. Connaissant son sens de l’humour, nous sommes sûrs qu’il nous le pardonnera.

 

  1. in La Charente Libre, 08/03/2010 ;
  2. voir Paris Match Belgique, 23/11/2018 ;
  3. voir notamment Le Figaro, 04/01/2019 ;
  4. d’après le site www.femina.ch, 24/09/2015 ;
  5. Der Hexenhammer, traduit du latin et préfacé par J. W. R. Schmidt, DTV, Munich, 1982, p. IX-X ; traduction de l’allemand : Albert Ettinger ;
  6. June Campbell, Traveller in Space, Gender, Identity an Tibetan Buddhism, 2002, p. 32-33 ; traduction : Albert Ettinger ;
  7. Three Years in Tibet, p. 479 ; traduction : Albert Ettinger ;
  8. Dalaï-lama, Au loin la liberté, Fayard, 1990, p. 289 ;
  9. Histoire du Tibet, Fayard, 1997, p. 94.