Un data center géant s'ouvre à Lhassa

par Elisabeth Martens, le 3 février 2021

1,5 milliard d’euros, c’est le coût estimé de construction de cet immense data-center et de son raccordement aux réseaux. Il est situé non loin de Lhassa, dans la province du Tibet, à plus de 3.000 mètres d’altitude. La construction a débuté en 2017 et devrait se terminer en 2026. Un investissement colossal, mais qui pourrait rapporter gros. Les services de « cloud » hébergés par ce centre pourraient générer 1,2 milliard d’euros par an.

 

 

Pour décrire le futur data center de Nangsuan Technologies, il ne faut pas être avare en superlatifs. Avec 645 000m² il sera l'un des plus vastes du monde. Il sera, quoi qu’il arrive, le plus haut perché, installé sur le Haut plateau de Lhassa qui culmine à 3000 mètres d’altitude. Au total le projet doit coûter 12 milliards de yuans, environ 1,5 milliard d’euros, un investissement qui sera rapidement amorti selon Hu Xiao, patron de Ningsuan Technologies à l'origine du projet.

 

Des besoins en climatisation plus raisonnables

Commencé en 2017 à Lhassa, le data center vient de terminer la première de ses trois phases de construction. Le choix de Lhassa ne tient pas au hasard. Contrairement à beaucoup de régions chinoises, le Tibet présente un avantage technique considérable, son climat. Les basses températures en altitude permettent de réaliser des économies considérables en énergie, les serveurs nécessitant moins de climatisation.1

Hu Xiao expliquait les avantages d’une installation au Tibet : « Les basses températures moyennes du Tibet, l’air pur et les énergies renouvelables abondantes pour la production d’électricité sont parfaits pour faire fonctionner un grand data-center ».

Au mois de juin, la température moyenne à Lhassa dépasse péniblement les 16°C et c’est le mois le plus chaud de l’année. A Pékin, elle dépasse largement les 25°C pendant l’été avec des maximales au-delà de 30°C. En Asie du Sud-Est, les températures sont encore plus élevées et les besoins en climatisation sans commune mesure.

Hu détaille aussi l’instabilité des réseaux d’électricité qui génèrent une dépendance forte à des générateurs à essence pour prendre le relais, d'où une quantité de CO2 rejeté très élevé. Au Tibet, rien de tout çà. Il évoque un coût d’exploitation 40% plus bas que ce qui se fait en Asie du Sud-Est.2

 

Google consomme des milliards de gallons d’eau pour refroidir ses data centers

Au Tibet, les basses températures permettent de réaliser des économies, tant en énergie qu'en eau, les serveurs nécessitant moins de climatisation. Cela n'est pas le cas, ni en Asie du sud-est ni aux Etats-Unis où Google est un gigantesque consommateur en eau.

Google a fait de réels efforts pour réduire l’impact carbone de ses 21 data centers disséminés dans le monde, avec un certain succès, mais ce n’est pas la seule conséquence qu’ont ces centres sur l'environnement. Dans une grande enquête publiée le 1er avril 2020 par Bloomberg3, les data centers de Google étaient pointés du doigt pour leur consommation en eau.

Grâce à différentes batailles juridiques, Bloomberg a pu déterminer qu’en 2019 Google avait consommé 2,3 milliards de gallons d’eau dans trois États des États-Unis. Cela s’explique par la technique de refroidissement utilisée par Google. L’eau est évaporée pour refroidir l’atmosphère dans le centre. Une technique économe en énergie, mais consommatrice en eau, or c'est une ressource menacée par les sécheresses à répétition provoquées en grande part par le réchauffement climatique.

L’entreprise a été confrontée à un choix cornélien, privilégier les économies d’eau ou celles d’énergie; le faible prix de l’eau a joué. « Si la consommation d’eau diminue, la consommation d’énergie augmente et vice versa », a expliqué à Bloomberg Otto Van Geet, ingénieur au Laboratoire américain des énergies renouvelables.

C’est un critère que devra prendre en compte l’entreprise pour ses nouveaux centres, au risque que ses efforts pour limiter sa consommation de CO2 soient perçus comme du greenwashing.4 En effet, l’un des problèmes relevés par l'enquête de Bloomberg est l’hypocrisie des pouvoirs locaux: ils demandent d’un côté à la population et aux entreprises locales d’être responsable dans leur consommation et de l’autre, ils autorisent des data centers hyper voraces en eau.

En choisissant d'implanter un gigantesque data center au Tibet, la Chine évite ces écueils. Il n'empêche qu'il y aura un coût pour l'écologie du Haut plateau, tant en eau qu'en gaz à effet de serre.

 

645.000 mètres carrés de data-center dans les montagnes

Le projet doit être définitivement achevé fin 2026 selon Hu Xiao. Ce dernier a expliqué que la construction avait pris du retard à cause de la crise sanitaire, « nos employés locaux au Népal et au Bangladesh sont toujours bloqués chez eux par le verrouillage de COVID-19 et leurs contacts commerciaux avec des clients potentiels ont presque gelé ».

Le data-center géant de Lhassa devra couvrir quelques 645.000 mètres carrés. Sa position stratégique lui permet de servir des clients en Chine, mais surtout en Inde, au Bangladesh ou encore au Népal. Le géant de l'e-commerce Alibaba a notamment participé au financement du projet.

Pour Hu Xiao interrogé par "Global Times", « un data center pour le cloud est comme une ambassade de données offshore pour les entreprises chinoises et leurs homologues en Asie du Sud ».

 

 Notes :

1 https://siecledigital.fr/2020/06/10/un-immense-data-center-installe-au-tibet-va-connecter-chine-et-asie-du-sud/

2 https://www.altitude.news/business/startup-innovation-montagne/2020/06/12/data-center-geant-rafraichit-serveurs-air-frais-montagnes/

3 https://www.bloomberg.com/news/features/2020-04-01/how-much-water-do-google-data-centers-use-billions-of-gallons

4 https://siecledigital.fr/2020/04/04/la-voracite-en-eau-des-data-centers-google/