Le Xizang-Tibet, une « Région autonome » de Chine
par Elisabeth Martens, le 9 juin 2025
Le week-end dernier, il faisait magnifique en Belgique. Je revenais tout juste de Chine ; ma nièce et son compagnon m'ont rejoint pour un bbq dans mon jardin. Autour de notre petit feu de camp, je leur racontais mes dernières aventures au Tibet, entre autres les problèmes que j'ai eu pour accumuler d'abord le décalage horaire depuis Bruxelles jusque Pékin, puis le vol direct de Pékin à Lhassa,
changement d'altitude compris... bonjour les dégâts! Cela m'a valu quelques jours d'acclimatation assez corsés. Ma nièce me demande alors s'il y a des correspondances faciles d'un pays à l'autre. Je la regarde, ne comprenant pas très bien la question.
-Hé bien, oui, explique-t-elle, de la Chine au Tibet ?
-Mais le Tibet, c'est en Chine, ai-je rétorqué tout de go.
-Ha oui, évidemment, dit-elle... mais chez nous, quand on dit qu'on va en vacances à l'île de Ré, on dit qu'on va en Bretagne, on ne dit pas qu'on va en France !
-Certes, j'entends bien, à la différence que tout le monde sait que la Bretagne est en France. Mais peu de gens ici savent que le Tibet est en Chine. Beaucoup pensent que le Tibet est un pays, et que la Chine est un autre pays.

Dates-clefs du Xizang, le Tibet chinois
Vous l'aurez compris, il s'agit ici d'éclaircir le statut du Tibet en Chine. Je vous donne ci-dessous les dates-clefs de cette longue histoire :
- Annexion du Tibet (Töbet, en mongol) par la dynastie Yuan (mongole) au 13ème, le Tibet est placé sous administration chinoise.
- Le Xizang (nom donné au Tibet par les Qing) devient un protectorat chinois en 1720 sous la dynastie des Qing, le contrôle du pouvoir central est renforcé par l'envoi des ambans (des représentants impériaux).
- de 1912 à 1950: c'est une période trouble après la chute des Qing ; la Chine est confrontée aux seigneurs de guerre, à l'invasion japonaise, à la lutte entre nationalistes et communistes ; le Tibet tente alors de prendre son indépendance avec l'appui des Britanniques puis des USA (à partir des années 1950), mais il ne fut jamais reconnu en tant que tel au niveau international.
- 1950 : l'Armée populaire de libération entre au Tibet pour rétablir la souveraineté chinoise.
- 1951 : un « Accord en 17 points » signé par les deux parties confirme le retour du Tibet sous l'autorité centrale chinoise.
- 1965 : création officielle de la « Région autonome du Tibet (RAT) », nommée en chinois « Xīzàng Zìzhìqū 西藏自治区"
L'autonomie du Xizang, le Tibet chinois
Que signifie concrètement le terme « autonome » qui qualifie la région du Xizang-Tibet depuis 1965 ?
La Constitution chinoise de 1982 et la Loi sur l'autonomie régionale ethnique de 1984 disent que la Chine est un État socialiste fondé sur une nation multi-ethnique. En Chine, il y a 56 ethnies dont le groupe majoritaire des Chinois Han représente 91%, et 55 groupes minoritaires (9%) qu'on appelle les « minzu », entre autres les Tibétains, mais aussi les Zhuang, les Ouïghours, les Mongols, etc. Ces ethnies ont décidé de se réunir dans la République populaire de Chine (du moins, c'est la doctrine officielle). Cela signifie que la Chine n'est pas un État fédéral.

Un État fédéral, c'est un État dans lequel, il y a une association entre des entités politiques, des régions, parfois des nations, qui ont décidé de faire un bout de chemin ensemble et qui considèrent qu'il faut que chacun conserve une autonomie législative dans un certain nombre de domaines. En Chine, il n'y a pas d'autonomie législative. Les lois sont nationales et ces lois nationales priment toujours (principalement sur le droit pénal, la fiscalité, la défense et les affaires étrangères). L'autonomie des régions ne remet pas en cause l'unité du système juridique national.
Cependant, les 5 régions autonomes (Xizang-Tibet, Mongolie-Intérieure, Xinjiang, Guangxi, Ningxia) et les nombreuses sous-divisions autonomes bénéficient d'une certaine autonomie législative dans des domaines spécifiques. En fonction de la situation réelle de chaque région, les lois nationales peuvent être adaptées, par exemple : les taxes sur les revenus sont moins élevées au Xizang-Tibet que dans le reste de la Chine ; la politique de « l’enfant unique » n’a jamais été d’application au Xizang-Tibet ; des avantages sont octroyés aux jeunes Tibétains qui veulent s'inscrire à l'université, etc. Les régions autonomes jouissent d'une autonomie relativement large dans de nombreux domaines : l'éducation, la culture, les religions, les langues, les fêtes régionales, la santé, le sport, etc.
Les régions autonomes ont donc une marge de manœuvre pour adapter certaines lois, mais elles ne peuvent pas contredire le cadre juridique national et ne peuvent jamais menacer l'unité nationale. Autrement dit, le séparatisme est interdit. Faire de la propagande pour le séparatisme tibétain, par exemple, c'est tout simplement interdit, et c'est sévèrement puni quand cela se présente. En contre-partie, toute forme de discrimination ethnique, même le fait de parler mal de quelqu'un qui est d'une autre ethnie, est totalement interdit. Cela ne signifie pas que cela ne se passe pas, mais c'est interdit par la loi et sévèrement puni quand cela se présente.
Une dialectique à l'oeuvre entre « central » et « régional »
Le Parti communiste chinois (PCC) maintient un équilibre entre l'unité politique et les particularités culturelles des régions et des ethnies. La manière chinoise de penser l'autonomie met l’interaction entre le « régional » et le « central » au cœur du processus. Le « central » puisqu’il est central prend le pas sur le « régional » : il s'occupe des grandes orientations économiques, politiques et sociales.
La répartition des postes de direction reflète à la fois le principe d'autonomie ethnique et la direction globale du PCC. Par exemple, les cadres supérieurs au niveau régional sont répartis en 60 à 70% de Tibétains pour 30 à 40% de Chinois Han. Le gouverneur actuel, Mr Yan Jinhai, est tibétain, le Secrétaire du PCC pour le Tibet est souvent un Han (nommé par le PCC central), mais les vice-secrétaires sont généralement tibétains, l'assemblée populaire régionale est à majorité tibétaine. À la campagne, les chefs de village sont quasi tous tibétains, les cadres du PCC sont à dominante tibétaine dans les postes locaux. Au niveau de l'administration locale, les Han occupent surtout des postes liés aux projets de développement : routes, électricité, énergie, environnement, etc.
Pour résumer, si les Tibétains sont majoritaires dans les postes locaux, surtout ruraux, les Chinois Han dominent les secteurs clés (sécurité, défense, planification économique), et le PCC garde le contrôle ultime sur les grandes décisions. C’est l’État central qui décide de la mise en place des grands projets (comme le « plus grand barrage du monde » mis en projet sur le Yarlung, par exemple), ceci en en accord avec le gouvernement régional. Si l’État central distribue des subsides à la région, c’est le gouvernement régional qui décide de leur utilisation, ceci en accord avec le gouvernement central. À tous moments, il y a aller-retour entre « central » et « régional’ » il y a interaction, dialogue, négociation. L’accent n'est pas mis sur, soit le gouvernement central, soit le gouvernement régional, mais sur la relation qui s'établit entre les deux, comme une dialectique mise en pratique de manière continue.