« Les croyants opprimés du Tibet », dixit l'église catholique...

par Albert Ettinger, le 21 octobre 2014

Au Luxembourg, il y a quelques années (en 2008, si je ne me trompe), un haut responsable catholique lança un vibrant appel aux fidèles qu’il invita à manifester leur solidarité envers « les croyants opprimés du Tibet ». Détail, apparemment sans importance : ces croyants tibétains, moines ou laïcs, n’étaient nullement chrétiens, mais des adeptes du bouddhisme varajnaya, plus communément appelé lamaïsme.

 

Ainsi donc, on ne distinguerait plus, dans nos milieux catholiques, entre la « vraie foi » apostolique et les mécréants de tous bords ? Étonnante évolution, puisque le Tibet lamaïste était perçu, il n’y a pas si longtemps, par les missionnaires catholiques comme une région où le « malin », et donc le diable en personne « régnait en maître depuis des siècles ». (Voir Bonet, p. 158, qui cite le père Melly.)

Ce qui pourrait paraître, à première vue, comme un énorme progrès témoignant d’une approche moins dogmatique et plus tolérante vis-à-vis de croyances et d’idées divergentes, ne l’est point en vérité. En témoigne par exemple le discours du pape de l’époque, Benoît XVI, tenu peu avant à Regensburg, qui reprocha à l’islam d’être une religion prônant la violence. En même temps, on refusa aux chrétiens protestants le qualificatif d’ « Eglise », réservé pour l’éternité et en exclusivité à celle de Rome.

L’église luxembourgeoise, plus spécialement, ne se faisait alors nullement remarquer par des prises de position originales, des changements de doctrine révolutionnaires ou un œcuménisme radical.

Alors comment expliquer cet esprit « œcuménique » quelque peu singulier (sinon totalement saugrenu, puisque incluant les adeptes du « malin » ?) qui s’est manifesté dans l’appel à la solidarité entre catholiques et lamaïstes ?

Peut-on y trouver d’autres raisons que l’ignorance ou la bêtise humaine ? Est-ce que des considérations et intérêts politiques l’emportaient encore, comme de coutume, sur la morale, la foi et même la décence ?

De l’ignorance , il y en avait sans doute !

D’abord au sujet de la doctrine et des pratiques lamaïstes, jugées jadis très sévèrement par les catholiques qui les connaissaient de près. Ainsi, un auteur catholique contemporain, André Bonet, auteur d’un livre intéressant sur « les chrétiens oubliés du Tibet », rend l’opinion des missionnaires en ces mots : « Le bouddhisme se répandit au Thibet sous le nom de lamaïsme. Les esprits envahissent le monde. Ils se confondent avec les forces de la nature.

Le culte des ancêtres, la sorcellerie, les sacrifices humains remplacent la foi dans les vertus de l’humilité. » Et de poursuivre, au sujet des moines et lamas : « Dans de nombreuses lamaseries, on reconnaît des paresseux, des luxurieux, des avares, des gourmands, des voleurs, des menteurs, des brigands, des assassins.

Quelle est leur foi ? s’interroge Maurice Zermatten (un missionnaire). Être lama les met à l’abri du travail. Ils bénéficient des privilèges de la classe religieuse. » (Bonet, p. 117-118)

Ignorance du lamaïsme donc, ou du moins oubli des jugements portés sur lui il n’y a pas tellement longtemps. De surcroît, l’appel précité à la solidarité envers les croyants lamaïstes témoigne de l’oubli (délibéré ?) de l’histoire des missions catholiques en terre tibétaine et donc des relations entre les deux religions.

Car il s’agit en vérité d’une histoire d’intolérance, de persécutions et de violences. Quelques exemples concrets :

Dès qu’il y eut, en 1741, « les premiers baptêmes », les problèmes des missionnaires capucins commencèrent : « les nouveaux baptisés refusèrent de participer à la prière communautaire imposée par les lamas du lieu et furent fustigés publiquement. En 1745, les capucins durent quitter la région », sous la menace de mort. (Bonet, p. 34)

Dans les années 1870, la mission catholique de Batang « fut attaquée par les lamas » et détruite. (Bonet, p. 130)

1905 : Les lamas incitèrent des brigands armés à se rebeller et en profitèrent « pour exercer contre les Chinois et contre la mission catholique la vengeance la plus féroce. » Les 2 et 5 avril, ils assassinèrent respectivement le commandant de la garnison de Batang et neuf mandarins dont le commissaire impérial. Après leur avoir promis la vie sauve, les révoltés tuèrent la centaine de soldats chinois désarmés « jusqu’au dernier. » « Quant « aux chrétiens, pas un n’a échappé à la mort. »

Le père Mussot fut « arrêté à Tchoupalong et ramené à Batang. Il est massacré le 5 avril. (…) Le père Soulié fut pris à Yaregong, le 3 avril, et fusillé le 14. » Pour s’être converti, « onze chefs de famille ont été fusillés à Yerkalo, le 27 avril, après avoir subi d’horribles tortures. » (Bonet, pp. 210-215)

1940 : Le père Nussbaum retourne de Tsechung vers Yerkalo, « accompagné de trois jeunes filles tibétaines catholiques » et d’un « boy ». Le 17 septembre, il est fait prisonnier par « une bande de brigands » recrutée par un « grand lama » de la région et assassiné. (Bonet, p. 217)

1949 : Le père Tornay, qui dirige une mission dans les Marches tibétaines, prend la décision de se rendre en secret à Lhassa, déguisé en marchand tibétain. Le 11 août, il est assassiné sur ordre des lamas. (Bonet, p. 230-233)

La Journée missionnaire mondiale me semble une excellente occasion pour rappeler aux catholiques luxembourgeois le sort de ces martyrs qui est systématiquement escamoté par certains « historiens » … et par leur propre Église.

Note :

Citations tirées de « Les chrétiens oubliés du Tibet » de André BONET et préface de Mgr. Benoît Vouilloz, Paris, 2006