Impact social de la nouvelle ligne de chemin de fer Golmud-Lhassa
par Jean-Paul Desimpelaere, le 7 décembre 2012
L'enquête ci-dessous, menée en 2007 dans la région de Golmud auprès de 24 familles, donne une idée concrète du mode de vie des Tibétains, des Hui, des Han et d'autres minorités ethniques de la Chine, de leurs difficultés économiques et de leurs inquiétudes par rapport à l'avenir, ceci dans un environnement changeant rapidement en raison de la construction de la nouvelle voie ferrée reliant Golmud à Lhassa, mais aussi en raison du projet de réaménagement de la région de Sanjiangyuan qui est en voie de désertification, et encore en raison de la modernisation galopante des zones urbaines.
En août 2007, j’ai eu la chance d’interviewer des familles habitant le long de la toute nouvelle ligne de chemin de fer Qinghai-Tibet. Il s’agit de la ligne entre la ville de Golmud dans la province de Qinghai et la frontière avec la région autonome du Tibet sur le col de Tanggula. Auparavant, le réseau ferroviaire s’arrêtait à Golmud, et la ville servait de relais entre la capitale du Qinghai, Xining, et le reste de la Chine. Vers le sud, en direction du Tibet et pour rejoindre Lhassa, il y avait uniquement une route nationale pour les voitures et les camions. En 2006, une liaison ferroviaire entre Golmud et Lhassa a été construite, ce qui mit un terme au fait que le Tibet était la seule région administrative de la Chine qui n’était pas encore rattachée au réseau ferroviaire.
Le chemin de fer est une prouesse technique. La longueur totale de la nouvelle liaison Golmud-Lhassa est de 1142 km, dont près de 1000 km se situent à plus de 4000 mètres d'altitude et dont 70 km se trouvent au dessus de 5000 mètres. Les viaducs représentent au total 156 km et servent à éviter l'instabilité des sols. Pour les endroits où le chemin de fer passe sur un sol de glace, des techniques spéciales ont été mises en place pour garder le sol froid durant les brefs étés, afin que le sol ne devienne pas glissant. Il y a encore de nombreux autres détails techniques, mais ce n’est pas le sujet de ce rapport.
J’en donne quelques-uns ici car ils illustrent le contexte géographique de ma recherche : la région reliant Golmud au village de Tanggula et jusqu'au col de Tanggulashan, sur les rives du Tutuohe, une rivière-source du Yangzi. C'est dire que l'enquête s'est déroulée sur les premiers 500 km du chemin de fer entre Golmud et Lhassa. La région est particulièrement inhospitalière, aride et sèche, et se situe entre 4000 et 5000 mètres, excepté la ville de Golmud elle-même qui se trouve à 2780 mètres au dessus du niveau de la mer. Je connaissais déjà la région au sud du col de Tanggula (qui se trouve en R.A.T.), elle est plus verte et plus humide, donc plus propice à l’élevage et l’agriculture, et de ce fait, elle est également plus peuplée.
La région depuis Golmud jusqu’à la frontière avec la R.A.T. (région autonome du Tibet) est peu habitée, encore moins que ce que j’avais imaginé. Cette région où trois grands fleuves (le Fleuve Jaune, le Yangzi et le Mékong) prennent leur source est devenue une réserve naturelle. La région se nomme « Sanjiangyuan », en français : « Sources des trois rivières ». Elle se situe à une altitude moyenne de 5000 mètres et recouvre une immense superficie, presque aussi grande que la France. Là vivent entre autres des antilopes tibétaines et des ânes sauvages.
Les dernières décennies ont été témoins d’une désertification de la région de Sanjiangyuan en raison du réchauffement climatique, d'un élevage trop intensif et de la pression démographique. Depuis trois ans, les éleveurs de la région sont invités à quitter la région. Les autorités locales prévoient d’aider plus de 100 000 personnes à déménager d’ici 2010. D'ici une dizaine d'années, la désertification devrait reculer de manière significative. Une centaine de villages sont en passe d’être construits en vue de reloger la population déplacée, chaque famille bénéficiant d'une maison de 70 à 80 m² de surface habitable ainsi que, parfois, d' une serre pour cultiver des légumes. La région choisie pour ma recherche se trouve en partie dans la zone de Sanjiangyuan, et un certain nombre de familles interrogées a dû faire face à ce projet de déplacement.
Nous avons interviewé 24 familles au total, 11 dans la région environnant la ville de Golmud, 4 familles originaires de la région de Tutuohe et qui ont émigré vers Golmud, 6 familles de Tanggulashan et 3 qui sont en train de déménager. Les deux derniers groupes habitent donc encore dans la région de Sanjiangyuan qui devrait peu à peu être « évacuée ».
J'ai choisi d'interroger surtout des familles d’agriculteurs et d'éleveurs. Mon enquête ne prétend pas être une grande étude sociologique, mais pour moi ce fut tout d'abord une familiarisation avec la notion de « recherche sociologique », et puis, au bout du compte, il s'agit quand-même d'un reportage avec des témoignages. Cette étude m'a permis de faire quelques observations intéressantes concernant aussi bien la question traitée (l'impact du nouveau chemin de fer sur la vie économique des autochtones) que le contexte plus général.
Pour mener à bien cette enquête, j’ai reçu l’aide (plus que bienvenue!) du China Tibetology Research Center. Le Centre a mis à ma disposition deux jeunes chercheurs universitaires : Monsieur ZhangYongPan, sociologue de l’Academy of Social Sciences, et Monsieur LaXianJia, tibétologue du China Tibetology Reasearch Center. Grâce à ces derniers, les contacts avec les familles se sont déroulés de manière efficace. Ces deux chercheurs se sont en outre révélés être d’excellents partenaires de discussion. Ils n’ont jamais interféré dans le choix des familles à interroger ; cette décision me revenait et cela m’avait été accordé par leur professeur, le Dr LianXiangMin du CTRC.
Les enquêtes ont été menées de façon tout à fait informelle et les familles purent témoigner librement de leur vécu ainsi que partager leurs commentaires et leurs critiques. Mis à part le soutien du CTRC, nous fumes évidemment aussi accueillis par les chefs politiques locaux de Golmud qui nous encouragèrent à poser toutes nos questions et qui ont eu la gentillesse de ne pas nous accabler de discours politiques. De plus, ils nous aidèrent à louer une voiture ainsi qu'à réserver des logements à Golmud. Eux non plus, n’ont pas interféré dans la réalisation concrète du projet.
Types de familles interviewées
Les activités principales des 24 familles sont définies comme suit : 8 familles d’agriculteurs, 9 familles d'éleveurs, 5 familles de commerçants, une famille d’ouvriers et une famille s'occupant d'un dispensaire de village. Sur les 9 familles d'éleveurs, 6 n’ont pas d’autres activités. Cependant, chez les agriculteurs, il n’y a que deux familles qui vivent exclusivement de l'agriculture, les autres ont également du bétail et travaillent de temps à autre comme ouvriers intérimaires dans la construction ou bénéficient d’une autre source de revenu grâce au travail de leurs enfants. Les commerçants sont directement dépendants de l’agriculture et/ou de l’élevage. Il est en de même pour le médecin du village : ses patients sont majoritairement des agriculteurs ou des éleveurs.
Les familles interrogées vivaient en moyenne à cinq personnes sous le même toit (la moyenne provinciale est de 3,8 personnes). Bien que limité quantitativement, notre échantillon correspond assez bien à la réalité : en effet, dans ces régions rurales où vivent surtout des minorités ethniques, les foyers comptent environ cinq personnes (1), ceci grâce à une politique de natalité libre, càd non soumise à la loi de l'enfant unique comme dans les grandes villes chinoises.
Nous avons visité 14 familles tibétaines, 8 Hui, et 2 Han. Tous les éleveurs étaient tibétains. Chez les agriculteurs, il n’y avait qu’une seule famille tibétaine, les autres étaient Hui (cinq familles) et Han (deux familles). Des cinq familles de commerçants, deux sont Hui et trois sont Tibétains. La famille d’ouvriers est tibétaine. Le docteur et l’entrepreneur sont Hui. La répartition de ces familles permet de se faire une idée générale de la composition de la population. En dehors des Han, qui vivent principalement en ville, les deux plus grands groupes sont les Tibétains et les Hui. Cela vaut tout au moins pour la région autour et au sud de Golmud, car plus à l’ouest, ce sont les mongols qui sont majoritaires. Des groupes plus petits sont constitués de Tu, de Salar, de Ouïghours et même de Kazakhs – un patchwork de peuplades, en somme, comme l’a toujours été la province du Qinghai.
Il est aussi significatif que peu de familles tibétaines s’adonnent à l’agriculture. Les Tibétains de cette région sont principalement des éleveurs. Ce n’est pas le cas pour la plupart des autres régions habitées par des Tibétains, où l’on peut constater qu'ils combinent plus volontiers les activités agricoles et d'élevage. Autour de Golmud, la région est très sèche, avec seulement 20 à 65 mm de précipitations par an. Même pour les yacks, la région est trop sèche, d’où le fait que les familles d'éleveurs se consacrent majoritairement à l’élevage de moutons. En moyenne, les 9 familles de bergers possèdent chacune 700 moutons et 45 yacks sur une superficie de 5000 ha (50 km²) par famille (le plus grand domaine compte 8000 ha, tandis que le plus petit ne représente que 3300 ha). Suite à la dépopulation de la région de Sangjiangyuan, l’activité des familles d'éleveurs se diversifie de plus en plus.
Nous avons rencontré les familles d'agriculteurs dans des villages aux environs de Golmud. A noter que le nom « Golmud » vient du mongol et signifie « endroit où les rivières se rejoignent ». Que l’imagination ne se laisse pas emporter par cette définition : il s’agit plus de ruisseaux que de rivières. Ces ruisseaux proviennent de loin, par exemple de l’eau du glacier des monts Kunlun, à 200 km au sud de la ville. Les « rivières » finissent dans les lacs salés du bassin de Qaidam. Quelques-unes rendent possible l’irrigation en passant par Golmud, ce qui permet à l’agriculture – cultures en serres comprises – d’approvisionner la population en céréales et légumes de façon plus que suffisante.
Un autre exemple de l’étendue de la région par rapport au faible niveau démographique : le district de Golmud couvre une superficie équivalant à la moitié de la Grande-Bretagne, mais ne compte que 270 000 habitants dont plus de la moitié résident dans la ville de Golmud elle-même qui s'étend sur 50 km² et où les nouveaux appartements coûtent environ 800 yuans le mètre carré.(2)
Lieu de résidence des familles interrogées
Seules 6 des 14 familles tibétaines vivent encore sur le sol de leurs ancêtres. Les 8 autres ont abandonné leurs terres d’origine durant ces 20 dernières années.
Par exemple, une des familles tibétaines que j'ai interrogée est arrivée du nord, de Ledu près de Xining, il y a 8 ans, et s’est installée dans un village le long de la route entre Golmud et Lhassa pour y ouvrir un des nombreux petits commerces qui jalonnent la grand-route. Dans ce village, il y a une petite gare, mais il n’y démarre ni train de marchandises, ni train de passagers. Il n'y a pas d'école. La famille était au départ dans l'agriculture exclusivement, mais grâce à l'ouverture de leur petit magasin, ils ont augmenté considérablement leurs revenus – près de 20 000 yuans supplémentaires par an. Le problème qui les préoccupe actuellement est l'absence d’école dans le village, de ce fait leurs deux filles de 10 et 14 ans n’ont pas accès à l’enseignement.
Sur la grand-route Golmud-Lhassa, les aires de repos ont poussé comme des champignons, sans le moindre contrôle de la part des autorités. Résultat : des villages chaotiques, avec des baraquements non entretenus, pas de sanitaire, des décharges publiques autour des maisons, pas d’électricité via le réseau et, par conséquent, des générateurs au diesel polluant et bruyant, pas d’eau courante, du charbon pour le chauffage et pas d’école. Ces aires sont cependant inévitables sur ce long trajet de 500 km (de Golmud à Tanggulashan) sur les quels les camions ne peuvent pas dépasser les 20 à 30 km/h à cause des nombreux nids de poule. Des petits restaurants, des magasins, des lieux de repos ainsi que des logements seraient les bienvenus pour les centaines de camionneurs et leurs accompagnateurs qui sillonnent ces routes chaque jour – sans compter les voitures privées et les bus. A côté de ce manque de planification et de gestion les routes, un tout nouveau chemin de fer se déploie, parallèle à la grand-route, à un ou deux kilomètres de là. Grâce à lui, les autorités prévoient une baisse de 80% du nombre de camions et le remplacement de ceux-ci par le transport ferroviaire.
Par contre dans le village de Tanggulashan, un planning a été mis au point, mais uniquement les familles d'éleveurs originaires du village en bénéficient, car il concerne la partie du village où vivent ces familles et qui se situe en-dehors de la grand-route. Cette partie protégée du village est bien entretenue et un chemin goudronnée y mène et en fait le tour. Chacune des familles d'éleveurs a reçu des autorités locales une installation de panneaux solaires. Ici, il y a une école primaire. Mais près de la grand-route, toutes sortes de petits services ont également poussé de manière erratique, des baraquements tout aussi vétustes et peu entretenus que ceux décrits ci-dessus sont apparus, et où environ 400 personnes s'activent.
Il y a 3 ou 4 ans, 4 familles ont déménagé de Tanggulashan pour emménager sans le moindre frais dans une maison aux environs de Golmud, ceci dans le cadre du projet « Sanjiangyuan ». Par contre, deux autres familles tibétaines d'éleveurs sont venues du Tibet pour s'installer à Tanggulashan, l'une en provenance de la région de Lhassa et l’autre de celle de Qamdo, dans l'est du Tibet. La raison de leur déménagement est la croissance démographique rapide en R.A.T., il n’y avait plus assez de place pour tous les énormes troupeaux.
Il y a encore un éleveur tibétain qui s’est installé il y a 18 ans dans la région de Golmud auquel je voudrais m'arrêter un instant. Ce berger est arrivé d’une région agricole pauvre de la région du monastère Ta’ersi (Kumbum), près de Xining. Lors de son déménagement, il a eu la chance de pouvoir bénéficier d'un « grand terrain » de deux hectares. En effet, il avait une famille nombreuse composée de 4 fils et 3 filles. Ce berger était déjà venu travailler auparavant à Golmud, comme saisonnier. Il y apprit la culture des légumes. Son entreprise est maintenant relativement diversifiée et il cultive céréales et légumes tout en élevant des moutons. Trois de ses fils se rendent encore chaque été sur les monts Nanshan et Kunlun pour y faire paître leurs 800 moutons. Le revenu familial s’élève à 20 000 yuans par an. En 2000, il s’est fait construire une grande maison toute neuve. Un diplôme honorifique est affiché à coté de la porte de sa chambre à coucher : « Sorti de la pauvreté par ses propres moyens ».
Les 10 familles Han et Hui que j'ai interrogées vivent depuis 18 ans au même endroit, dans la région de Golmud. Aucune nouvelle immigration n’a été observée, à part celle touchant les Tibétains de la région de « Sanjiangyuan ». La ville de Golmud connut sa plus grande croissance dans la deuxième moitié des années 80, lors de la construction de la voie ferrée entre Xining et Golmud. Durant une dizaine d'années, les grandes artères de la ville furent modernisées et de nombreux pâtés de maisons ont été construits. Le réaménagement de la ville fut consciencieusement planifié, avec de grands espaces aérés et beaucoup de verdure. Durant la construction du chemin de fer Xining-Golmud, la ville a accueilli plus de 30 000 travailleurs immigrés, mais après, ils ont quitté la région, faute de travail. Du coup, beaucoup de commerces ont du fermer leurs portes. Ces commerces étaient installés dans des bâtiments datant de la fin des années 90.
Le contexte économique de Golmud
Golmud devint une petite ville en 1954, lorsque la route nationale vers Lhassa fut construite. Mais une autre raison pour la création de cette ville était le sel. Le plus grand lac salé de Chine se trouve au nord de la ville et recouvre presque 6000 km²... assez impressionnant ! Le sel ramassé sert à produire de l’iode et du carbonate de calcium en industrie. Non loin de là, dans le bassin de Qaidam, se trouve aussi une exploitation de gaz naturel et de pétrole. Une raffinerie à Golmud approvisionnela R.A.T. en carburant via un pipeline. Il y a de plus une usine de production de polyéthylène et du polypropylène. Le reste du parc industriel est composé de petites usines tels que des briqueteries ou des usines de tapis.
Dans une des familles tibétaines ayant emménagé à Golmud suite au projet « Sanjiangyuan », la mère travaille comme ouvrière dans une des usines de tapis. Elle gagne 60 yuans par jour et travaille 7 jours sur 7 – ce qui doit rester incognito des syndicats chinois -, soit autant qu’une ouvrière de Pékin. À Tanggulashan, où elle vivait encore il y a deux ans, la famille était moins bien lotie. Le mari était ouvrier dans une mine de charbon à des conditions déplorables et le fils gardait des moutons pour d’autres bergers. Ils n'avaient que le strict nécessaire pour survivre. C’est pour cela qu’ils acceptèrent la proposition de quitter la région de Sanjiangyuan. Leurs principales motivations étaient une maison gratuite dans les environs de Golmud – on leur offrit même des sofas tout neufs – et l’accès à l’enseignement pour les enfants. Les deux parents ont trouvé du travail en ville et reçoivent aussi une aide fédérale de 500 yuans par mois. Mais le fils s’ennuie et est nostalgique de ses grands pâturages. Âgé de 18 ans, il est encore à l’école primaire, tandis que sa sœur aînée est nonne – afin de subvenir aux besoins familiaux – et la sœur cadette fréquente l’école de façon plus ou moins normale.
L’ampleur des décisions fédérales et des décisions des autorités locales ainsi que l'inventivité de la population créent une évolution favorable dans la région de Golmud, avec cependant des succès et des échecs. La lutte contre la pauvreté est un travail de longue haleine, mais elle donne des résultats encourageants depuis quelques décennies. L’économie de marché socialiste laisse libre cours à des idées innovantes. « Le socialisme chinois n’est pas un banquet où tout le monde peut s’asseoir sans rien faire. Il faut travailler et saisir les occasions. »
Golmud espère devenir le « Salt Like City » de la Chine. On y trouve énormément de matières premières pour l’industrie chimique ainsi que beaucoup de minerais pour l’industrie métallurgique. Jusqu’à présent, seule une petite quantité de minerais a été extraite. Une mine de fer à ciel ouvert a été ouverte récemment. L'exploitation du lithium, que l’on trouve aussi dans le lac salé, a commencé de manière encore assez expérimentale.
Le nombre de travailleurs à Golmud croit de manière significative. Chaque année, des milliers de personnes suivent une formation technique spécialisée, dans des cursus organisés par les syndicats et la fédération des femmes, ou dans « l’école locale de technologie ». Le nombre d’agriculteurs reste le même (approximativement 20 000 autour de la ville). Environ la moitié de la population résidant dans Goldmud même ou dans les alentours travaille dans le petit commerce et dans la petite production.
L'artisanat et les travaux de décoration sont florissants, par exemple, le travail du jade qui vient des monts Kunlun et dont l'extraction reste rudimentaire. C'est souvent une personne seule qui se rend dans les monts pour récolter le jade. Le gouvernement planifie une extraction plus organisée. Il en va de même pour la commercialisation d’une source d’eau minérale en provenance de ces mêmes montagnes. La chaîne Kunlun a en outre un attrait touristique considérable et les autorités locales pensent en tirer profit. Mais pour ce faire, il sera nécessaire de créer une infrastructure le long de la route nationale.
En ce qui concerne l’énergie, la plupart des habitations ont des convecteurs solaires qui leur fournissent de l’eau chaude. Un parc éolien d’une capacité de 50 mégawatts va également être construit. Cependant, le chauffage des habitations ainsi que les cuisinières fonctionnent encore au charbon.
Qui a aidé à la construction du chemin de fer ?
Sur les 24 familles interrogées, 11 ont pris part à la construction du nouveau chemin de fer. Quatre familles fournirent chacune une personne pour du travail manuel simple, comme charger de la terre et des pierres, pour un salaire de 40 à 50 yuans par jour(2), ce qui est un peu moins que le salaire moyen d’un ouvrier de la construction dans la province du Qinghai (3), mais cependant presque autant que le revenu complet de tout une famille qui vit uniquement de l'élevage et de l’agriculture. (4)
Le revenu de ceux travaillant dans le transport dépendait de leurs moyens de départ : avaient-ils leur propre moyen de transport ? S’agissait-il d’un camion ou d’une carriole ? Ainsi, une famille d’agriculteurs Hui avait un fils qui travaillait comme chauffeur de camion pour un patron. Trois années durant, il a du remplir des camions pour la construction du chemin de fer. Son salaire journalier s’élevait à 60 yuans, ce que son père estimait être « un bon salaire ». Le fils était marié et avait quatre enfants.
Tous n’ont pas la chance d’avoir une famille heureuse et nombreuse. Nous avons rendu visite à un fermier Hui âgé d’une quarantaine d’années. Il n’avait que deux enfants et vivait dans une maison délabrée constituée d’une seule et unique pièce avec du béton au sol, la télévision trônant au milieu. Sa femme était décédée prématurément, suite à quoi il sombra dans la misère durant plusieurs années. Mais il s'est récemment remarié et il a retrouvé des forces. Grâce à son petit tracteur, il transportait du sable et des pierres pour la construction du chemin de fer pour 100 yuans par jour.
D’autres gagnent encore plus. A Tanggulashan, une famille d'éleveurs tibétains possédait un petit camion et l’utilisait également pour le transport de sable et de pierres. Ils gagnaient 250 yuans par jour, donc près de 60 000 yuans par an.
Et puis, il y a encore les propriétaires de camions. Une famille Hui en possédait trois qui servaient au transport entre Golmud et Lhassa. Chaque camion faisant six fois l’aller-retour par mois, et ce, depuis 15 ans. Mais durant la construction du chemin de fer, ces camions furent utilisés pour transporter des matériaux. Le revenu de cette famille augmenta durant cette période de 100 000 à 200 000 yuans par an. Avec une somme pareille, on est riche à Golmud.
La construction du chemin de fer a amené des revenus supplémentaires temporaires, mais peu de changements d’activité
Les familles qui ont collaboré directement à la construction du chemin de fer ont eu des revenus supplémentaires durant une période de un à trois ans. Leur activité agricole ou d’élevage continuait entre temps. Seules deux familles ont connu un changement structurel important dans leurs activités après la construction du chemin de fer. Les autres ont connu des changemets mineurs, voire aucun changement.
Un exemple – peu parlant, il est vrai – est une famille de bergers tibétains qui créa une maison de thé à Tanggulashan grâce à l'augmentation de leurs revenus. La fille, qui avait travaillé durant quelques années comme ouvrière au chemin de fer et qui avait mis suffisamment d'argent de côté, a ouvert un petit salon de thé, il y a deux ans. Cela a aussi permis à la famille de construire une maison au milieu des prairies, à 100 km de là : tout le monde ne souhaitait pas déménager vers Golmud. Ceux-ci ont préféré leurs grands espaces.
Une autre famille de bergers tibétains avait également ouvert un salon de thé en 2001 Tanggulashan, donc avant la construction du chemin de fer. Ils avaient beaucoup de clients durant la construction de celui-ci. Actuellement, le nombre de clients a diminué. Du coup, la mère de famille a souhaité déménager à Golmud à condition qu'elle puisse y rouvrir un nouveau salon de thé. Ce qu'elle a fait pendant que son mari a continué à garder le troupeau – 700 moutons et 70 yaks sur 3 500 ha de terres familiales – avec l’aide de salariés. Il s’agit d’un jeune couple avec un enfant qui va maintenant à l’école à Golmud. Leurs revenus, troupeau et salon de thé compris (pouvant contenir une vingtaine de clients), s’élèvent environ à 20 000 yuans par an, ce qui n’est pas mal pour la région.
Ensuite, il y avait une famille Han dont l’activité connut un changement structurel, et non des moindres. Dans la perspective de la construction du chemin de fer, le fils emprunta de l’argent à la banque et acheta un camion, un bulldozer et une pelleteuse. Il put les utiliser durant trois ans pour la construction et ils lui rapportèrent 200 000 yuans par an. Un vrai nouveau riche dans la région ! Avec ses revenus, il a acheté de nouvelles machines et il en possède actuellement onze. La mère est très fière. Il y a trente ans, ils ont déménagé de la région assez pauvre du Huangyuan (près du lac de Qinghai) pour s’installer dans les environs de Golmud. Ils furent dans les premiers à s’y établir en tant qu’agriculteurs et reçurent grâce à cela un terrain relativement grand : un hectare pour la culture du blé et du colza. En conséquence de quoi ils purent jouir d’une vie un peu meilleure. Le père travaillait dans une usine de machines agricoles et cela mit le fils sur les rails. Il commença avec un camion, bien avant la construction du chemin de fer. Mais l’annonce de la construction l’encouragea à franchir le pas, et la suite est venue, si bien que sa petite entreprise tourne fort bien et donne à sa mère l’occasion de voyager : « Shanghai, Suzhou, Hainan, Singapour, Thaïlande », énumère-t-elle fièrement. Le décor de leur salon en témoigne : un cheval trois couleurs en porcelaine de Luoyang, de la broderie sur soie venant de Suzhou, de grandes pierres de jade et des photos de la province Yunnan. Six personnes se partagent cette richesse : ses parents, sa femme et lui, et leurs deux enfants. Actuellement, ils louent leur hectare de terre à d'autres agriculteurs.
Cependant, l’hôte d'une famille Hui que j'ai rencontré se plaignait, lui, de devoir vendre un de ses trois camions. Le transport de marchandises par train vers Lhassa lui ‘vole son travail', disait-il. Mais il était déjà riche auparavant et, durant la construction, il gagna encore considérablement plus. A présent, il pensait se lancer dans le commerce de l’or. Pour démontrer le confort de sa situation financière, il fit construire une grande maison en 2001, munie d’un équipement moderne et richement décorée. Les études de ses trois fils lui coûtent énormément, deux sont déjà à l’université. Ce qu’il désire le plus au monde est qu’ils réussissent dans la vie. Bien qu’il se soit déjà rendu à maintes reprises à Lhassa pour son travail, il dit vouloir voyager de temps en temps pour le plaisir, plus confortablement, et emprunter le train pour traverser les Hauts plateaux. Originaire de la région très pauvre du Gansu, cela fait 22 ans qu’il a émigré vers Golmud. Il débuta en tant qu’agriculteur sur une petite parcelle de terre de 2 mu (1 mu vaut environ 1/15ème d'hectare), qu’il utilise maintenant comme potager.
En dernier lieu, il y a aussi la famille tibétaine dont le fils travaillait chez les chemineaux avant la construction de la ligne vers Lhassa. Depuis 1983, il dirige la circulation dans la station de Golmud.
Au final, environ la moitié des familles interrogées dit avoir envoyé au moins un de ses membres travailler temporairement à la construction de la ligne de chemin de fer. Tous admettent que cela leur a offert un beau revenu supplémentaire. Cependant, seules deux familles ont connu un changement structurel important dans leurs activités, et un seul de ces deux changements est marquant : celui-ci concerne la famille qui a investi dans les pelleteuses et les camions. Personne n’a arrêté ses activités courantes durant la construction puisque les ‘mains travailleuses’ – c’est-à-dire seulement un ou deux membres de la famille – étaient engagées temporairement. Toutes les familles sauf deux continuèrent leurs activités précédentes après la construction, et l'une de ces deux développa une entreprise en construction routière. Quant à la famille Hui qui a du vendre un de ses trois camions, elle voit l’avenir moins sereinement, le train vers Lhassa lui ôtant le pain de la bouche.
Quelle influence le chemin de fer a-t-il exercé sur le quotidien des familles interrogées ?
Un questionnaire que j'ai rédigé permettait aux familles de choisir entre « aucune influence », « peu d’influence », « beaucoup d’influence » ou « énormément d’influence ».
Les résultats ne sont pas vraiment surprenants : 15 des 24 familles disent n’avoir subi aucune influence durable, 4 répondent « peu d’influence », 4 encore choisissent « beaucoup d’influence », et seulement une seule famille dit avoir connu « énormément d’influence ».
Cette dernière est bien évidemment la famille qui développa une entreprise de travaux routiers après avoir investi dans l'achat de camions et bulldozers.
Tandis que dans la réponse « beaucoup d’influence », on trouve l’homme avec ses trois camions dont un vendu et le tibétain dont le fils était chargé de la circulation ferroviaire. Et puis, il y a encore deux familles dont on n'a pas beaucoup parlé et à propos desquelles il est intéressant de mentionner quelques faits.
Tout d’abord, le médecin généraliste de nationalité Hui habitant dans les environs de Golmud : il estime que la ligne de chemin de fer a beaucoup influencé sa vie. Il possède un mini dispensaire de quelques lits et traite les fractures osseuses par les méthodes de la médecine traditionnelle tibétaine. Il a acquis cette technique à l’âge de 18 ans grâce à son père qui la tenait lui-même de son propre père. En 1985, il a déménagé de Linxia – dans les environs du monastère Labulang dans la province de Gansu – vers Golmud. Il y reçut 3 mu (4) de terre agricole pour y cultiver ses propres fruits et légumes. Mais soigner les fractures de ses patients est devenu son activité principale depuis longtemps. Durant les travaux du chemin de fer, il a été réquisitionné pour assister les accidentés, et sa patientèle a rapidement augmenté, si bien que son travail lui rapportait environ 40 000 yuans par an. A cette époque, Golmud comptait 30 000 habitants de plus que maintenant, principalement des travailleurs temporaires. La renommée du médecin a grandi, et il a eu de plus en plus patients parmi lesquels se trouvaient même des familles Hui qui venaient de Lhassa en train. Il a une belle camionnette qui peut faire office d’ambulance. Sa fille a ouvert un petit restaurant près de la gare de Golmud qui eu du succès durant les travaux, tandis que le fils du médecin va suivre la trace de son père.
Une quatrième famille à déclarer que la construction du chemin de fer a fort influencé sa vie est une famille de commerçants Hui. L’homme a 55 ans et vit avec sa femme et ses enfants dans une nouvelle maison bien entretenue, même la cour intérieure est richement pavée. Le coût de cette construction s’éleva à 170 000 yuans, un prix élevé pour la région mais qui n’est évidemment pas comparable à ceux pratiqués à Pékin et dans d’autres métropoles où les prix sont encore dix fois plus élevés. Il a deux fils, un des deux vit chez lui avec sa femme et son enfant. Il y a dix ans, il a déménagé de Minhe, une région pauvre du Xining, vers Golmud. Vu qu’il avait émigré assez tard, il n’y avait plus de terres disponibles : tout avait déjà été distribué. Le commerçant a cependant réussi à se reconvertir. Pour 50 000 yuans, il a acheté 300 agneaux qu’il fait paître durant quelques mois pour ensuite les revendre. Il assure cette transaction deux fois par an. Ses deux fils travaillent avec lui et il a un camion personnel pour aller vendre une partie de son cheptel à Lhassa. Pour quelle raison la construction du chemin de fer a-t-elle eu un effet important sur sa vie ? Tout simplement parce que « la demande de viande de mouton a augmenté à Lhassa à cause du nombre croissant de touristes qui y débarquent » nous dit-il.
Jusqu’ici, nous avons parlé des personnes pour lesquelles le chemin de fer a eu « beaucoup d’influence » sur leur vie.
Nous arrivons maintenant aux quatre réponses « peu d’influence ».
D'abord, les deux familles d'éleveurs tibétains qui possédaient un salon de thé à Tanggulashan se trouvent dans cette catégorie. Une autre famille de bergers, relativement riche, déclare simplement : « il y a beaucoup plus de choses à acheter à présent que la ligne est opérationnelle ». En ce qui concerne la 4ème famille, nous ne disposons que de quelques informations éparses.
Il s’agit d’une famille de bergers tibétains, domiciliée entre Golmud et Tanggulashan dans un village quasi abandonné à cause de la nouvelle loi pour la protection de la région des « Trois Rivières » (ou « Sanjiangyuan ») et sa politique de déménagement. Auparavant, il y avait encore 10 familles qui vivaient dans ce village, il n’en reste à présent plus que trois. Ce berger y resta avec sa famille et son enfant ainsi qu’avec un troupeau de 500 moutons et 70 yaks. La ligne de chemin de fer s’appropria une partie de ses pâtures, en échange de quoi il fut indemnisé de 20 000 à 40 000 yuans par km². C’est pour cela qu’il déclare que la ligne de chemin de fer a eu une certaine influence sur sa vie, et c'est sans doute aussi pour cette raison qu’il reste là. Sa maison est vieille, mais un grand poste de TV occupe la pièce centrale, placée en-dessous du portrait de Mao. Le berger a reçu des panneaux solaires du gouvernement local gratuitement ainsi qu’un « régleur de voltage » pour s'approvisionner en électricité. Son chauffage fonctionne au charbon et aux déjections de yak.Son revenu annuel s’élève à 10 000 yuans, ce qui est relativement peu, mais stable selon lui, car il gagnait cela avant, pendant, et après la construction. Il mentionne le fait que les prairies deviennent plus sèches, que la désertification progresse et que les pikas – un animal entre marmotte et rat – sont trop nombreux et mangent l’herbe restante. À cause de la sécheresse, il ne trouve plus de « caterpillar fungi », un champignon ramassé pour ses vertus anti-cancéreuses et qui est une véritable mine d’or pour maintes familles tibétaines. Bien qu'il pourrait énoncer de nombreuses raisons de déménager, il souhaite rester au village.
Comme indiqué ci-dessus, les personnes déclarant que le chemin de fer n’a exercé que « peu ou pas d’influence » sur leur vie et leurs activités sont majoritaires, avec au total 19 familles sur 24. Sur les 15 familles déclarant que l'impact fut faible, 6 familles sur 8 sont des agriculteurs, 5 sur 9 sont des éleveurs, 3 sur 5 sont des commerçants, et on y rajoute la famille d’ouvriers. Les familles ayant déclaré que le chemin de fer n'a eu aucun impact sur leurs activités quotidiennes sont des familles de simples ouvriers qui utilisaient un moyen de transport minimaliste pour le chargement de terre et de pierres. Pour celles-ci, il s'agissait juste d'un travail en plus, qu’ils auraient tout aussi bien pu trouver en ville. Le fermier Hui, par exemple, qui était assez pauvre et qui a perdu sa femme très tôt, était habitué à travailler en ville avec son petit tracteur pour 30 yuans par jour. Pour le fils d’une autre famille qui était chauffeur de camion, cela ne changeait pas grand-chose s’il devait effectuer ce transport pour la ligne de chemin de fer ou pour autre chose : son salaire restait le même. Les trois restants sont des ouvriers.
Une conclusion, subjective de ma part, serait que trop peu d’ouvriers ont eu l’occasion de suivre une qualification, aussi courte fût-elle. Par ailleurs, le gouvernement souhaite délocaliser les éleveurs de la région des Trois-Rivières pour préserver l’équilibre écologique, ce qui est louable. Mais alors, pourquoi déplacer des ouvriers non qualifiés venant de Golmud, les acheminer en bus vers le chantier, ce qui les force à loger sur place pendant des mois ? Ne serait-il pas plus facile d'engager des éleveurs qui, eux, vivent déjà sur place, et qui suivraient une formation pour ce travail temporaire. Il me semble que ce serait moins nocif pour l’écologie que de laisser ces éleveurs vivre uniquement de leurs grands troupeaux, et moins grave pour eux que de devoir quitter leurs Hauts plateaux.
Par exemple, il y a la famille tibétaine de Tanggulashan. Un couple, originaire de la région, deux fils, une fille et trois petits-enfants. Ils gardent 800 moutons et 20 yaks sur une surface de 8000 ha. Leur revenu familial est d'environ 20 000 yuans par an, ce qui est honorable. La fille a travaillé durant un an comme ouvrière à la construction du chemin de fer. Le père de famille a 50 ans et souhaiterait aller habiter à Golmud avec ses petits-enfants pour les accompagner dans leurs études. Mais il voudrait que ses enfants restent à Tanggulashan pour continuer l’élevage et avoir des revenus, et ce, malgré la politique d’évacuation de la région. La seule raison pour laquelle ils quitteraient la région est l’éducation des enfants. Mais changer de travail et de revenu n’est pas envisageable actuellement. Pour lui, le nouveau chemin de fer n’a donc eu aucun impact.
Chez une autre famille tibétaine de Tanggulashan, le pas avait déjà été fait. Les grands parents et les petits-enfants habitaient dans la région de Golmud, alors que le troupeau se trouvait dans la région de Tanggula avec les fils et les filles. C’est une famille bien nantie qui vit exclusivement de l’élevage. La famille compte 12 membres, dont seuls les deux grands-parents et les quelques petits-enfants ont émigré à Golmud où le gouvernement leur a donné une maison. Celle-ci est confortablement installée, avec des tapis, un lecteur DVD, une grande véranda, et plus encore. A Tanggulashan, la génération médiane s’occupe d’un grand troupeau de 1000 moutons et de 100 yaks. Une des petites-filles a déjà obtenu son diplôme à l’université de Qinghai. Elle se retrouve cependant au chômage depuis un an. Le chômage touche d’autres familles tibétaines qui sont parties vivre à Golmud, tout comme les familles Hui ou Han qui habitaient la région depuis plus longtemps.
En plus de demander si le chemin de fer a eu « peu » ou « beaucoup » d’influence, nous avons également demandé aux familles si elles avaient été gênées durant les travaux ou si elles avaient subi une influence néfaste après les travaux. Personne ne s'est plaint d’un éventuel désagrément. Maintenant que la ligne ferroviaire est opérationnelle, les habitants mentionnent qu’il y a moins de bus entre Golmud et Lhassa et, par conséquent, moins d’arrêts de bus. En général, les personnes interrogées disent aussi que l’activité a nettement baissé, aussi bien dans la ville de Golmud que sur la route de Lhassa. Golmud était en effervescence durant les travaux de construction – ce qui est nettement moins le cas maintenant. Il va falloir attendre la naissance du « Salt Lake City » chinois. Personne ne semble avoir de problèmes avec l’augmentation des prix durant la construction. Au contraire, certains bergers ont pu vendre leur marchandise plus facilement et pour un meilleur prix.
Une moyenne des revenus annuels
Hormis les familles qui gagnent beaucoup et celles qui gagnent fort peu, on peut établir d'après notre petite enquête que le salaire moyen est de 25 000 yuans par an actuellement à Golmud. Mais il ne s'agit là que d'une évaluation, nous ne pouvons pas en tirer des conclusions générales. Notons toutefois qu'en 2005, le salaire moyen s'élevait à 17 000 yuans par an et par famille pour la population agraire (5).
On connaît les revenus plutôt élevés des familles interrogées : un entrepreneur routier, une famille qui possèdait trois camions et un éleveur de moutons. Leurs revenus s’élèvent à environ Tan,dis que les revenus les plus bas des familles interrogées se situait aux alentours de 3000 à 4000 yuans par an.
Parmi les familles ayant un tel revenu se trouve un couple Hui plutôt âgé – 70 ans – et dont les deux fils sont partis. Ils possèdent 3 mu de terres cultivables et gagnent un peu d’argent grâce à cela. Un des fils est parti pour Xiamen, dans le sud de la Chine, où il dirige un petit restaurant dont les nouilles de Qinghai sont la spécialité.
Une deuxième famille ayant un tel revenu est un cas proche du drame social. Une grand-mère qui vit depuis toujours à Tanggulashan, habite avec sa fille unique qui a un fils illégitime de 13 ans. Ils possèdent seulement 100 moutons et 20 yaks qu’ils louent à d’autres personnes pour les garder. Leur maison est vétuste, avec un sol en terre battue, ce qui n’est pas étonnant pour un revenu de 4000 yuans par an.
Une troisième famille, résidant également à Tanggulashan, compte six personnes, deux personnes âgées, deux enfants et deux petits-enfants. Leur seul bien est un troupeau de 400 moutons sur un terrain très aride de 3000 ha. La maison n’est pas neuve, l’intérieur est pauvre. On y trouve une petite TV datant des années 50 et une moto. Ils ont cependant reçu des panneaux solaires du gouvernement. L’année prochaine, ils projettent de déménager vers Golmud afin de scolariser les petits-enfants qui ont déjà 8 et 12 ans.
Retour sur la politique de déménagement de la région de Sanjiangyuan
Le combat contre la désertification est une nécessité dans la zone dites « Source des trois grands fleuves ». Ce combat implique que la disparition de grands troupeaux et, donc, le déplacement des éleveurs, à condition de leur offrir d'autres perspectives.
Environ 700 familles ont accepté de déménager. Nous avons pu interrogé 4 familles qui ont émigré récemment. Deux nouveaux villages ont été construits dans les environs de Golmud grâce à l’argent octroyé par le gouvernement : l’un abrite 128 personnes, tandis que l’autre peut accueillir 240 habitants. Une maison est mise à disposition des familles qui ont quitté volontairement leur ancienne demeure. De plus, chaque famille reçoit une pension alimentaire de 500 yuans par mois, et ce, durant 10 ans. La principale raison pour que les familles d'éleveurs acceptent un tel déménagement est la perspective d’une meilleure scolarisation pour leurs enfants.
Pour beaucoup d'entre eux, il reste le problème de l'emploi : trouver un travail pour eux-mêmes et pour leurs enfants n'est pas chose aisée à Golmud. Un ancien berger nous l’a expliqué : « Avant que nous ne déménagions, les journaux ainsi que des lettres d’informations nous ont promis une pléthore de travail. Cependant, nous n’avons pas de job stable, nous ne sommes pas habitués à la vie citadine, et nous rencontrons des problèmes linguistiques quand nous voulons travailler dans une petite entreprise. Nous n’avons aucune aptitude particulière, seulement celle d’ouvrier dans le bâtiment. En plus, il y a le problème des payements tardifs ou inexistants. » L’homme disposait auparavant de 80 yaks et de 700 moutons dans la région de Tutuohe. Par beau temps, ce qui signifie quand l’herbe était grasse et verte, il gagnait jusqu’à 30 000 yuans par an. Son revenu familial est beaucoup plus faible maintenant, et il vit essentiellement de la vente de son troupeau. Ses deux fils et ses deux filles suivent une éducation au niveau supérieur à Golmud, ce qui le satisfait, car sa plus grande inquiétude est de donner un bon avenir à ses enfants. De plus, il a été élu « bourgmestre » d'un nouveau village tibétain dans la région de Golmud. Grâce à cela, il reçoit une enveloppe annuelle de 2000 yuans. Cela revient à 200 euros, rien à voir donc avec les bourgmestres européens, même en comparant avec le coût de la vie en Europe.
A Tanggulashan vivent encore environ 6000 éleveurs et 400 ouvriers de la route. Des six familles interviewées habitant encore sur place, il n’y en a qu’une qui a l’intention de partir vers Golmud. Quatre familles d'éleveurs déclarent explicitement ne pas vouloir partir. Une 5ème famille – celle qui possède un salon de thé à Tanggulashan – veut bien émigrer vers Golmud dès qu’elle aura l’occasion de commencer un salon de thé rentable là-bas, mais pas avant.
Dongcun, le plus ancien village d’agriculteurs dans la région de Golmud.
À Dongcun vivent 1037 familles sur 600 hectares. On y trouve des Hans, des Huis, des Tibétains, des Mongols et des Tu. Ce mixte de nationalités représente assez bien le district de Golmud. Les céréales constituent 70% de la production du village, et les légumes 30%. Seule une dizaine de familles sont également dans l’élevage. En été, le village dispose d’eau venant des montagnes, et durant l’hiver, ils utilisent de l’eau des puits. Beaucoup de villageois travaillent aussi dans la construction. Une cinquantaine de familles a aidé à la construction du chemin de fer. Grâce à cette nouvelle ligne vers Lhassa, ils peuvent désormais vendre plus de produits au Tibet et à un prix plus bas, grâce aux coûts de transport moins élevés. C’est environ tout ce que représente cette nouvelle ligne ferroviaire pour eux. C’est également assez fréquent qu’un des enfants trouve de l’emploi hors de l’agriculture. Par exemple, une des familles interrogées, vit depuis 23 ans à Dongcun, et a un fils qui travaille dans l’usine de potasse (carbonate de potassium). Le revenu par famille est considérable : environ toutes les familles disposent d’une petite camionnette et presque toutes les maisons de Dongcun ont été construites ou richement rénovées dans la dernière décennie.
Ce n’est pas le cas de tous les villages, par exemple dans un village que nous avons visité et dont la majorité des habitants n'était pas « hukou », l’urbanisation était nettement moins planifiée, bien qu’il y ait de l’électricité et de l’eau courante dans tous les villages. « Hukou » signifie : « avoir un permis de travail à durée indéterminée » ce qui est automatiquement couplé à « domiciliation fixe ». Auparavant, cela signifiait seulement : « appartenir à une unité de travail ». Dans ce village vivent notamment des familles Hui possédant peu de terres cultivables, voire aucune, des travailleurs immigrés et des petits commerçants qui s’établirent ici il y a environ 10 à 20 ans et qui y vivent encore actuellement malgré l’insécurité, par exemple, l’adhésion à une mutuelle n’est pas prise en charge. Des cinq familles que nous avons rencontrées, l’une nous confia que son principal espoir concernant l’avenir était d’acquérir le statut de « hukou ».
Quel avenir pour ces familles ?
Toutes les familles interrogées ne s’attendent pas à de grands changements dans un avenir proche. La même activité professionnelle, la même habitation. Une inquiétude revient régulièrement : l’importance de l’éducation ainsi que la possibilité d’offres d’emploi pour les enfants et petits-enfants. Neuf familles l’ont mentionné ouvertement. Trois familles ont un enfant diplômé qui ne trouve pas de travail.
Cependant, Golmud est fin prêt pour un changement économique important : il y a des matières premières, de la place pour l’infrastructure et la main d’ oeuvre se trouve facilement. L’éducation reste un problème, mais cela peut vite changer. Les budgets pour démarrer l’activité économique sont très élevés et proviennent pour 60% du gouvernement chinois central, Ils recouvrent également la distribution de l'eau, des équipements électriques, certains travaux routiers, la récolte des déchets, un pipeline de gaz vers Lanzhou. Un budget existe aussi pour financer le lancement de grandes entreprises. La construction de la ligne de chemin de fer ainsi que l’entretien de la route nationale vers Lhassa proviennent tous deux du budget national.
À la question de savoir si les familles interrogées prendront jamais le train vers Lhassa, peu répondent affirmativement.
Trois familles ont déjà un de leurs membres qui a pris le train, mais jamais depuis Golmud, car les tickets ne sont pas encore disponibles, ce dont se plaignent 7 familles qui, dès lors, font le trajet en bus. Cinq autres familles – dont deux de commerçants Hui – le font avec leur propre moyen de transport. La fréquence des trajets dépend du but. Quand il s’agit de faire du commerce, ils font le trajet plusieurs fois par an. Pour aller vénérer Bouddha, c’est une fois par an ou moins. Pour un des agriculteurs tibétains qui dit être « sorti de la misère grâce à son diplôme », il est allé à Lhassa il y a trois pour la dernière fois. Il dit avoir trop de travail, mais il désire prendre le train de temps en temps avec son épouse. Sept des dix familles Hui et Han ne voient pas l’intérêt de voyager vers Lhassa, deux déclarent ouvertement qu’elles n’ont pas l’argent pour cela.
Conclusion
Il est nécessaire d’attirer l’attention sur le fait que cette étude n’a pas été menée à grande échelle et qu’elle ne comporte que quelques impressions éparses. Pourtant, cette étude donne une idée de ce qui se passe chez les fermiers habitant dans la périphérie de Golmud et le long de la ligne de chemin de fer, ce qui était le but de notre recherche.
Actuellement, le train a peu d’influence sur la manière de vivre des habitants. Moins de la moitié a participé aux travaux de construction, mais pour les participants, cela leur donna un revenu supplémentaire relativement élevé durant quelques années. Cependant, les fermiers ne purent acquérir aucune nouvelle compétence étant donné qu’ils ne faisaient que du travail manuel ou se chargeaient du transport. Les familles qui virent un changement structurel dans leur activité économique sont en minorité. L’attente des fermiers vis-à-vis de la ligne de chemin de fer et du développement de Golmud est cependant positive, bien que peu concrète.
Les inquiétudes qui reviennent le plus souvent touchent à l'éducation et à l'emploi à Golmud et environs. La dépopulation de la région des Trois-Rivières est également mentionnée, mais celle-ci fait partie d’un projet écologique et n’a donc rien à voir avec la nouvelle voie ferroviaire vers Lhassa. Les personnes qui ont déménagé n’ont pas reçu de nouvelle formation. Ils perçoivent une aide financière gouvernementale opulente, reçoivent une maison d’une valeur de 50 000 yuans, ainsi que 500 yuans par mois pour vivre, et ce durant 10 ans, indépendamment du fait qu’ils trouvent du travail ou non. Jusqu’à présent, ceux que nous avons interrogé n'ont pas trouvé d'emploi stable, ils disent attendre le développement du « Salt Lake City » chinois.
Un autre problème collatéral est le sous-développement d’une route nationale : l’entretien et l’infrastructure sont en retard sur le train et créent des conditions de vie chaotiques pour les personnes qui y vivent encore. Les familles interrogées voient peu d’intérêt à voyager en train, elles sont habituées au bus qui est moins onéreux. Une alternative est le camion ou la camionnette familiale. De plus, il n’y a pas encore d’arrêt voyageur à la gare de Golmud, on y transporte uniquement des marchandises. Ce dernier point est perçu positivement par les agriculteurs, car de cette manière leurs produits arrivent plus rapidement à destination, sont moins endommagés et arrivent à Lhassa pour une somme moins importante.
La construction de la ligne de chemin de fer était un grand pas vers l’avant, par contre son évolution et implications sur la vie économique de la région sont beaucoup moins rapides.
Remarque de 2012, soit cinq ans après l'enquête :
la route entre Golmud et Lhassa a été entièrement rénovée, les ordures le long de la route sont nettoyées et les aires de repos ont subi un « lifting ». Tout peut aller très vite en Chine ! (JPD 2012)
Notes :
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Comme, par exemple, dans la région autonome du Tibet.
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10 yuans équivalent à environ 1,2 euros.
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Le salaire journalier pour un ouvrier en construction dans la province de Qinghai est d’environ 65 yuans (2005). Par comparaison, c’est le double à Pékin (statistiques nationales). La vie à Pékin est également plus cher.
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Le revenu annuel moyen dans l’élevage et l’agriculture à Qinghai est d’environ 17 000 yuans par famille (statistiques de 2005)
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Statistical yearbook Qinghai 2006.