Encore des monastères détruits!

par Jean-Paul Desimpelaere, le 16 février 2010

Nous roulons à nouveau sur la route vers le « grenier à grains » du Tibet, et je me souviens avec un sourire compatissant de ce journaliste flamand avec qui j’ai voyagé à travers le Tibet, il y a quelques années. Dès qu’il voyait une ruine au loin, il vociférait à qui mieux mieux contre les horreurs perpétrées par les communistes chinois. Si j’éprouve une méfiance spontanée vis-à-vis de ce genre d’exagérations, il est pourtant vrai que de nombreux monastères et temples tibétains ont soufferts pendant la Révolution Culturelle.

 

Le monastère Tashilumpo de Xigaze – la résidence de la lignée des panchen-lamas – en est un exemple. Les stupas conservant les reliques des anciens panchen-lamas ont disparu pendant la Révolution culturelle. Seul celui du 4ème est resté debout, ceci parce que le monastère s’est construit autour de son stupa à la fin du 16ème siècle, le protégeant comme un écrin. Après la Révolution Culturelle, le 10ème panchen-lama a fait construire un stupa en l’honneur de la lignée des panchen-lamas, du 5ème au 9ème. Ce stupa commémoratif a phagocyté cinq cents kilos d’or et a été inauguré en 1989, juste avant la mort du 10ème panchen-lama.

Je demande à Dawa, notre guide tibétain : « quand on parle des acteurs de la Révolution Culturelle au Tibet, de qui parle-t-on en réalité ? » Dawa me répond qu’il s’agissait « principalement d’étudiants tibétains auxquels sont venus s’ajouter d’autres personnes de la R.A.T. parce qu'elles se sentaient concernées. » Je poursuis : « et le nouveau panchen-lama, est-ce celui choisi par le dalaï-lama ou est-ce celui qui a été approuvé par la Chine ? ». « Je ne sais pas lequel est ‘le vrai’ », me dit-il prudemment, « mais la plupart des gens de la région de Xigaze affichent chez eux une photo de celui qui a été approuvé par la Chine ».

Selon I.C.T. (International Campaign for Tibet), le nombre de monastères rasés pendant la Révolution Culturelle s’élèverait à 6000 au Tibet. Mais quand I.C.T. parle du « Tibet », il s’agit du « Grand Tibet », soit un territoire qui vaut le double de l’actuelle R.A.T., c'est-à-dire, la province tibétaine à laquelle s’ajoutent celle du Qinghai et une partie de celles du Gansu, du Sichuan et du Yunnan. Par ailleurs, selon des tibétologues crédibles, le nombre total d’édifices religieux distribués sur le « Grand Tibet » n’aurait jamais excédé 3500, dont 2000 à 2500 situés en R.A.T. (1), et actuellement, 1700 de ces derniers sont à nouveau en activité. Dans ce cas, je ne vois pas bien comment I.C.T. arrive à ce chiffre de « 6000 monastères détruits » qui, d’ailleurs, n’a fait son apparition que dans les années nonante, soit vingt ans après la fin de la Révolution Culturelle… on peut se demander pour quelle raison ?

De plus, en circulant en R.A.T., on découvre d’anciens petits monastères cachés dans les plis et les replis des montagnes. Les murs en sont certes vétustes, mais ils sont restés vaillamment debout et ne semblent pas avoir souffert de vandalisme. Nombreux aussi sont ceux dont les trésors religieux ont été soigneusement conservés dans une des salles intérieures des monastères. Depuis les années quatre-vingt, les moines les ont sortis un à un de leur cachette et ils sont à nouveau exhibés.

Même s’il est vrai que la Révolution Culturelle a occasionné les plus importants ravages du 20ème siècle en Chine, tant sur le plan matériel que psychique, de nombreux exemples montrent qu’il est incorrect de mettre ces destructions systématiquement sur son compte. Le monastère de Gyangze, entre autres, a été balayé non pas pendant la Révolution culturelle mais en 1904, lors de l’invasion du Tibet par les Britanniques. Les tirs des Anglais ne visaient que le fort de Gyangze et les murs d’enceinte de la ville, mais ils n’étaient pas très précis. Or les bâtiments du monastère se trouvaient accolé au mur d’enceinte et une partie du monastère fut ainsi détruite (2). La réserve à grains (300 tonnes) et la poudre à canons du monastère de Gyangze ont été réquisitionnées par les Britanniques (3). Quant à ce qui restait du monastère de Gyangze, à l’exception de la grande salle de prières, a effectivement été démoli en 1967. La bibliothèque, située dans la salle de prières, a été en partie préservée, ainsi qu’une statuette de la déesse Tara. Une légende locale raconte que cette statuette parle, réellement mais rarement, lorsqu’une personne ayant un cœur en or se recueille pieusement devant elle. Les Britanniques se sont aussi emparés de nombreux trésors religieux et d’objets cultuels qui appartenaient aux temples et aux monastères tibétains, en guise de souvenirs, ou destinés à étoffer leurs collections privées.

Un autre exemple de destruction qui n’a rien à voir avec la Révolution Culturelle, est celui du célèbre monastère de Tengyeling que le 13ème dalaï-lama a fait raser en 1912. Le monastère était dirigé par l’ex-régent du 13ème dalaï. D’après ce dernier, l’ex-régent était trop traditionaliste et ne défendait par assez les opinions « nouvelles », c’est-à-dire britanniques (4). En guise de représailles, il a fait détruire son monastère.

D'autres monastères tibétains dans la province du Sichuan et dans l’Est du Tibet ont été détruits sous les ordres de généraux chinois lors des deux campagnes, l'une de 1909 à 1918, et l'autre de 1928-1933. Ces campagnes étaient menées en vue de maintenir une administration chinoise dans cette région (5).

Au début du 20ème siècle, les monastères tibétains de la province du Gansu n’en menaient pas large non plus. Alexandra David-Neel en témoigne dans les lignes suivantes : « des temples furent pillés par les troupes de Ma Pufang, un seigneur de guerre local, qui est intervenu en 1919 dans un conflit de pouvoir au sein d’un grand monastère. Le palais du haut lama a été réduit en cendres. Un peu plus loin, c’est le monastère d’Amtcho qui fut complètement incendié, tous les moines y trouvèrent la mort. Ils avaient osé s’opposer à Ma Pufang » (6). Durant la première moitié du 20ème siècle, aucun travail de rénovation n’a été entrepris, aucun nouveau temple n’a été construit. Le climat politique du Tibet était trop tendu à cette époque, en raison de frictions internes, et en raison de troubles dans les territoires limitrophes dus à la désorganisation de la 1ère République chinoise, puis à la 2ème Guerre Mondiale. De plus, les caisses locales du Tibet étaient quasi vides ; trop d’argent avait été dépensé pour l’achat d’armement anglais et indien .

Notes:

  1. Goldstein, « Buddhism in Contemporary Tibet, religious revival and cultural identity », University of California, 1998, p. 15. Grunfeld, p. 181. Rolf A. Stein, p. 87

  2. Victor Chan, « Tibet Handbook, A Pilgrimage Guide », Moon publications, USA, 1994, p. 417

  3. Zheng Shan, “A History of Development of Tibet, Foreign Languages Press, Beijing, 2001. Le colonel anglais (Younghusband) qui mena cette invasion, ne le mentionne pas dans son livre, par contre, Patrick French apporte des témoignages de membres de l’expédition anglaise qui le confirment, voir « Youghusband, the last great imperial adventurer », 2008, p.228.

  4. Gyurme Dorje, « Tibet Handbook », Footprint Handbooks, England, 1996, p. 168. Goldstein, “A History of Modern Tibet, 1913-1951”, University of California, 1989, p. 109

  5. il s'agit des monastères de Litang, de Batang, de Qamdo, entre autres

  6. Alexandra David-Neel, « Au pays des brigands gentilshommes », Plon pocket, p. 68

le stupa de Gyangze avec à l'arrière, le monastère, puis le fort et les murs d'enceinte (photo JPDes. 2009)
le stupa de Gyangze avec à l'arrière, le monastère, puis le fort et les murs d'enceinte (photo JPDes. 2009)

ancien petit monastère Sakyapa près de Zekog (photo JPDes. 2009)
ancien petit monastère Sakyapa près de Zekog (photo JPDes. 2009)