« Une troisième guerre mondiale serait catastrophique pour la planète entière »
Entretien avec Weihua Chen (1ère partie), par Jan Reyniers pour Chinasquare, le 13 août 2025
Weihua Chen est journaliste. Il a travaillé toute sa carrière pour le quotidien chinois China Daily. Ces sept dernières années, il a vécu et travaillé à Bruxelles en tant que correspondant européen pour son journal. Auparavant, il a occupé le même poste aux États-Unis pendant 11 ans. Un fin connaisseur des États-Unis, de l'Europe et de la Chine... Une interview d'adieu (en 4 parties), car il a pris sa retraite le 1er août, à l'âge de 62 ans.[1]

Weihua, quel genre de journal est China Daily ?
China Daily est un journal relativement jeune. Il n'existe que depuis 1981. Ce n'est pas un hasard s'il a vu le jour à cette période. En 1978, Deng Xiaoping, le successeur de Mao en termes d'influence et de politique, a lancé une série de réformes importantes sous le slogan « réformes intérieures et ouverture vers l'extérieur ». Dès lors, des étrangers de toutes sortes ont afflué dans le pays. Il s'agissait de diplomates, d'investisseurs, d'experts, de techniciens, d'étudiants, de touristes... Il y avait soudainement un besoin urgent d'informer correctement toutes ces personnes sur la Chine, d'autant plus qu'elles n'étaient pas familiarisées avec notre culture, notre vision, nos coutumes, notre langue. La publication d'un journal en anglais devait remédier à ce problème. Ce journal est devenu le China Daily. Grâce à Internet, nous touchons désormais pratiquement le monde entier. L'intérêt pour la Chine est très grand partout. Le monde est devenu un village et la Chine est devenue une puissance économique mondiale. Aujourd'hui, il existe déjà de nombreux autres médias anglophones en Chine, mais j'ose dire que China Daily est resté de loin le média d'information anglophone le plus important en Chine.
Êtes-vous devenu journaliste immédiatement après avoir terminé vos études supérieures ?
Oui, même si j'avais étudié la microbiologie, je voulais devenir journaliste. Entre-temps, j'avais également appris l'anglais et j'ai pu étudier le journalisme aux États-Unis grâce à plusieurs bourses. Durant cette période, j'ai voyagé pendant des mois à travers tout le pays. J'ai également obtenu un diplôme en journalisme à l'université de Stanford, en Californie.
Vous savez donc ce qu'on attend d'un journaliste américain ?
Oui, je connais assez bien le monde du journalisme occidental. Ici, en Occident, on reproche souvent à la presse chinoise de ne publier que des articles de propagande. Il y a peut-être une petite part de vérité dans cela, mais ce n'est certainement pas aussi grave que la dégradation des médias de masse en Occident ! Je ne suis donc pas du tout d'accord avec ceux qui qualifient la presse chinoise de « presse de propagande ». À la fin des années 80 et surtout dans les années 90, période où j'ai commencé ma carrière, les bases d'un journalisme particulièrement vivant et professionnel ont été jetées dans mon pays. Je repense encore avec nostalgie à cette période extrêmement dynamique qui a posé les fondements d'un journalisme chinois correct.
La politique n'est-elle donc jamais un sujet sensible ?
Je n'ai pas dit cela. Je pense que la politique est un sujet sensible partout dans le monde. Je pense qu'à cet égard, la situation en Chine n'est pas pire qu'à Washington, par exemple. Donc, oui, les sujets politiques sont également délicats en Chine. Il n'est pas recommandé de s'opposer aux objectifs à long terme fixés par les responsables politiques, même si la question reste de savoir s'il faut vraiment s'y opposer. En Chine, contrairement à l'Occident, les décisions politiques sont prises après des débats assez intenses et ouverts au sein de la direction du Parti communiste. Ces décisions reflètent presque toujours assez fidèlement ce que « le peuple » veut. La plupart des Chinois voient de leurs propres yeux à quel point leur pays s'est développé de manière spectaculaire et comment ils profitent de ce progrès.
Revenons au journalisme européen : comment l'avez-vous vu évoluer ?
Tout d'abord, je continue de croire qu'il existe d'excellents journalistes de bonne foi, tant aux États-Unis qu'en Europe. La plupart d'entre eux sont de tendance socialiste et veulent le meilleur pour le monde. Cela dit, au cours des deux dernières décennies, la qualité de la presse occidentale s'est considérablement détériorée. Une sorte de « politiquement correct » a contaminé la presse tant en Europe occidentale qu'aux États-Unis. Prenons l'exemple de la presse occidentale et de la manière dont elle a couvert la guerre en Ukraine ou les « tensions » entre les États-Unis et la Chine. Ces reportages étaient et restent très partiaux.
Je pense qu'en tant que journaliste, on doit pouvoir tout dire sans jamais craindre les conséquences. Il semble que, pour une raison ou une autre, les médias occidentaux aient peur des conséquences potentiellement désagréables. Les médias occidentaux ont peur. Ils ne veulent plus (ou ne peuvent pas ?) aborder les problèmes qui se posent de manière objective. S'ils le faisaient, ils risqueraient d'être accusés de « prendre le parti de la Russie » ou « le parti de la Chine »... Il semble qu'ils seraient accusés d'un crime s'ils voyaient les deux côtés de la médaille. Et c'est pourtant l'essence même du bon journalisme : un journaliste ne doit pas choisir un camp ou l'autre.
Un journaliste doit choisir les faits. Prenez le cas de Julian Assange et la manière dont cet homme a été traité. Il a passé des années en prison pour avoir révélé des faits ! Le fait que des journalistes puissent être poursuivis pour avoir publié des faits effraie sans doute beaucoup de leurs collègues... Oui, il y a clairement ici des restrictions à la liberté d'expression.
Les gens sont trompés par des peureux qui préfèrent dissimuler les faits plutôt que de prendre des risques ?
De plus, cette tromperie ne concerne pas seulement la presse. Aux États-Unis en particulier, les gens sont systématiquement trompés par leurs politiciens. Je pense parfois que le maccarthysme[2] est de retour. Mais on passe aussi sous silence ou on déforme la réalité en ce qui concerne la Chine. Écoutez, ma voisine ici à Bruxelles est brésilienne. Elle lit les journaux et suit l'actualité, mais récemment, elle m'a demandé si cette « révolution culturelle »[3] en Chine bat toujours son plein.
Je me suis dit : « Comment est-il possible que les gens ici soient si mal informés sur la Chine ? » Je ne lui en veux pas d'être trompée : elle ne connaît la Chine qu'au travers de ce qu'elle lit. Elle n'y est jamais allée ! Mais des milliards de personnes ne sont jamais allées en Chine ! La plupart des gens que je rencontre ici ne pensent que du mal de la Chine. On dirait que tout va mal là-bas. C'est bien sûr ridicule. Rien ne va parfaitement bien nulle part dans le monde. Ni en Chine, ni aux États-Unis, ni en Europe. Même si... certains dirigeants occidentaux sont vraiment indignes.
Cela nous amène à la politique. Les principaux dirigeants de l'UE se sont récemment rendus à Pékin pour une visite de travail qui n'a pas donné grand-chose. Deux jours plus tard, ils ont toutefois conclu un « accord » sur les droits d'importation de 15 % que les États-Unis pourront désormais percevoir sur les produits de l'UE ?
Oui... Le président du Conseil européen, Antonio Costa, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se sont rendus à Pékin en juillet. Ils y ont discuté de développement durable, de relations commerciales, d'investissements et de tensions géopolitiques. Il fallait entendre von der Leyen : elle semblait vouloir donner des leçons à la Chine alors qu'elle se laissait rabaisser par Trump à Washington. Je constate d'ailleurs qu'aujourd'hui, de nombreux politiciens européens se livrent à une surenchère de flagornerie à l'égard du président américain. Marc Rutte était autrefois un homme plus ou moins respectable en tant que Premier ministre des Pays-Bas, aujourd'hui il est secrétaire général de l'OTAN et appelle Trump « papa ».
Comment peut-on tomber aussi bas ? Son prédécesseur, Jens Stoltenberg, était également considéré comme un Premier ministre « respectable » de Norvège avant de devenir secrétaire général de l'OTAN... L'OTAN semble être un danger pour la décence si l'on en juge par ses récents secrétaires généraux...
Et von der Leyen, eh bien, elle s'est toujours pliée aux caprices de Washington. Elle l'a déjà fait lors de son premier mandat. Aujourd'hui, elle se vante de l'accord selon lequel l'Europe ne devra payer « que » 15 % de taxes à l'exportation vers les États-Unis. Elle est ravie car il y a désormais « une sécurité pour les hommes d'affaires ». Cette prévisibilité aurait tout aussi bien pu être « garantie » par des droits à l'importation de 50 % ou de 100 % ! Et pourquoi pas de 0 %, comme c'était le cas auparavant ? Si la « sécurité » est votre seul critère, êtes-vous sur la bonne voie ?
L'Europe ne suit-elle pas depuis longtemps déjà les traces des États-Unis ?
Eh bien, aujourd'hui, je ne vois en fait que Macron et Josep Borrell[4] qui adoptent de temps à autre une position « purement » européenne. Ils parlent régulièrement de l'« autonomie » européenne. Mais réaliser cette « autonomie » au lieu d'en parler s'avère terriblement difficile. À mon avis, les Européens restent coincés dans le rôle de partenaire junior des États-Unis. Et ce, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il est désormais très difficile pour les Européens de se défaire de cette mauvaise habitude. La seule exception que je vois est celle du président français Jacques Chirac, qui s'est ouvertement opposé à la guerre des États-Unis en Irak. Angela Merkel a également osé mettre en évidence la docilité européenne lors du G7. Malheureusement, elle ne l'a fait qu'au moment où elle démissionnait...
Et puis, il y a maintenant le phénomène Trump. D'accord. À l'époque, l'Europe s'est tournée vers les États-Unis pour des raisons de sécurité. Cela se comprenait sans doute à l'époque. Mais entre-temps, nous avons bien avancé dans l'histoire. La menace soviétique a été neutralisée. Pourquoi ne pas opter pour une véritable autonomie ? L'Allemagne grouille encore de soldats américains. Dans d'autres pays, des ogives américaines sont prêtes à être lancées. Stratégiquement, l'Europe devrait opter pour une plus grande autonomie, mais c'est précisément ce que les États-Unis ne veulent pas. Il suffit de regarder les présidents américains qui se sont succédé depuis le début du millénaire. Leur politique étrangère est restée fondamentalement la même. Dominer le monde (et donc aussi l'Europe). Sur ce point, il faut féliciter Trump : contrairement à ses prédécesseurs, il dit au moins ce qu'il fait (même s'il ne fait pas toujours ce qu'il dit...).
Donc oui, le monde a besoin d'une Europe plus indépendante.
Bientôt, les pays européens consacreront tous 5 % de leur PIB à l'armement...
Oui, les Russes arrivent (narquoisement) ! La Russie est la plus grande menace que l'Europe ait jamais connue. Poutine dispose d'une armée puissante qui, si nous ne faisons rien, pourra être à Bruxelles dans quelques semaines...
Quand je vois comment il a réussi à avancer de 200 km en Ukraine au prix de centaines de milliers de morts et de blessés russes, le danger russe ne me semble pas si grand. Puis-je vous rappeler que le PIB russe est inférieur à celui de l'Italie ! La Russie n'est donc pas une si grande puissance, me direz-vous ? Nous avons ici un exemple flagrant de psychose de peur totalement fictive, instillée par les politiciens européens, américains et, malheureusement, par les grands médias européens et américains qui jouent aveuglément le jeu du complexe militaro-industriel américain.
Certains doivent même admettre entre-temps que la Russie ne pourra probablement pas mettre sa menace à exécution, mais que c'est la Chine qui menace l'Europe. Permettez-moi de clarifier les choses. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Chine n'a jamais attaqué un seul pays [5]. On ne peut pas en dire autant des États-Unis et de leur toutou européen, je crois.
Quoi qu'il en soit, ces 5 % constituent une voie dangereuse. Nous savons par expérience que la surenchère militaire mène à la guerre. Il suffit de regarder la Première et la Seconde Guerre mondiale. La surenchère a toujours conduit à la guerre. Des millions de morts en Europe ! L'Europe devrait être le premier continent à s'opposer à la course aux armements, mais non, elle suit joyeusement la logique guerrière de Washington.
L'Europe devrait, tout comme la Chine, choisir la voie diplomatique. C'est la seule voie qui garantit la paix. Et oui, on pourrait dire que l'Europe connaît la paix depuis 80 ans. Certains diront que c'est grâce à l'OTAN, mais n'oublions pas que la « conquête » des pays d'Europe de l'Est par l'OTAN est aussi la cause directe de la guerre actuelle en Ukraine. Depuis 2022, la paix en Europe est révolue et les bellicistes veulent à nouveau plus de conflits. L'Europe est sur une voie dangereuse : celle de la prophétie auto-réalisatrice. Ne tombons pas dans le piège et suivons l'exemple chinois : on peut avoir des opinions différentes, parfois même très divergentes, mais on continue à dialoguer ! L'Europe a tout intérêt à dialoguer avec la Russie. Certaines revendications russes sont peut-être légitimes ? Aimeriez-vous avoir pour voisin un OTAN armé jusqu'aux dents ? Le dialogue est la solution, et n'oublions surtout pas que la Russie est une puissance nucléaire importante. Une troisième guerre mondiale serait catastrophique pour la planète entière.
Notes :
[1] En Chine, les hommes prennent en principe leur retraite à 60 ans.
[2] Le maccarthysme (début des années 1950) a été une période d'intense suspicion anticommuniste aux États-Unis, menée par le sénateur Joseph McCarthy. Des personnalités politiques, médiatiques et artistiques ont été accusées de sympathies communistes, souvent sans preuve. Cette chasse aux sorcières a semé la peur, donné lieu à des listes noires et ruiné des carrières.
[3] La Révolution culturelle (1966-1976) était une campagne politique visant à éliminer les influences capitalistes, traditionnelles et « réactionnaires » de la société chinoise. Elle a entraîné des persécutions massives, des violences, la destruction du patrimoine culturel et l'élimination des opposants à Mao. Au nom de la purification idéologique, d'innombrables personnes ont été humiliées, emprisonnées ou tuées. La Chine reconnaît aujourd'hui que de graves erreurs ont été commises à l'époque.
[4] Josep Borrell était le haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères (2019-2024).
[5] Seules interventions hors du sol chinois : la guerre de Corée (1950-1953) et la brève opération au Vietnam en 1988.
URL de l'article en néerlandais (traduit en français par Jan Reyniers) : https://www.chinasquare.be/interview-met-chen-weihua-gebundeld/
Partie I : « Une troisième guerre mondiale serait catastrophique pour la planète entière »
Partie II : « J'ai des doutes quant aux capacités intellectuelles de la génération actuelle de dirigeants occidentaux »
Partie III : « La Chine fonctionne, c'est vrai, mais il faut aussi travailler ! »
Partie IV : « En 2000, l'économie chinoise était encore plus petite que celle de l'Italie... »