Est-ce qu’une Union sacrée antichinoise est en train de voir le jour en Europe ?

par Albert Ettinger, le 19 juin 2020

L'Obs vient de publier le 15 juin 2020 une « tribune » sous le titre « Le gouvernement chinois doit nous laisser accéder au Tibet ». Il s’agit d’un texte « signé par 57 parlementaires de 19 pays de l’Union européenne. » (1)

Dans ce document d’une rare hypocrisie (ou d’une rare bêtise), les signataires « appellent leurs gouvernements à montrer à la Chine que le traitement injuste des citoyens européens, ainsi que l’isolement du peuple tibétain, ne sont pas acceptables ». Ils font ainsi écho aux récentes provocations antichinoises de Washington au sujet du Tibet (2) et, en même temps, répondent aux appels de Trump, Pompeo, Bannon et Stoltenberg de serrer les rangs du camp occidental face à la « menace chinoise ». Ils ne cachent d’ailleurs nullement vouloir suivre l’exemple du « big brother » d’outre-Atlantique : au contraire, ils louent expressément « le Congrès américain » pour avoir « déjà ouvert la voie sur cette question. »

La « liberté de voyager »

Dans leur « tribune », ces parlementaires européens qui veulent de toute urgence « accéder au Tibet » accusent le gouvernement Chinois de pratiquer « l’isolement du peuple tibétain ». Sans doute ne se sont-ils pas rendu compte que le tourisme au Tibet a augmenté de façon spectaculaire depuis une quarantaine d’années.

Le groupe de parlementaires prétend comparer l’attitude des gouvernements européens à celle de la Chine en ce qui concerne la possibilité « de voyager librement » et se plaint amèrement de ce que « la plupart (sic !) des gouvernements européens autorisent les citoyens chinois à voyager librement dans nos pays, tandis que la Chine interdit régulièrement (?) aux Européens (sic !) de visiter le Tibet. »

 

L’aéroport de Nyingchi, l’un des cinq aéroports que compte la Région autonome du Tibet. Avant 1950, le Tibet ne connaissait ni chemin de fer, ni aéroport, ni même la moindre route carrossable (photo : Elena Ettinger, juin 2019)
L’aéroport de Nyingchi, l’un des cinq aéroports que compte la Région autonome du Tibet. Avant 1950, le Tibet ne connaissait ni chemin de fer, ni aéroport, ni même la moindre route carrossable (photo : Elena Ettinger, juin 2019)

 

À part le fait que « la plupart » ne veut pas dire « tous » et que des restrictions de la part de l’un ou l’autre pays européen rendent toute cette « argumentation » caduque : prétendre que la Chine interdit l’accès du Tibet « aux Européens », c’est-à-dire à tous les Européens et de manière indiscriminée, est tout simplement faux. Déjà les nombreux petits films de propagande tournés clandestinement au Tibet par des « touristes » occidentaux pro-dalaï-lama témoignent du contraire, de même que, par exemple, les récits de voyage publiés sur notre site.

En réalité, le Tibet « s'est ouvert aux touristes en 1984 », et en 1998, le neuvième plan quinquennal de la RAT a déclaré que le tourisme était une "industrie clé". » (3)

Dans ce village de la région de Nyingchi, les habitants ont construit des annexes et aménagé des chambres d'hôtes pour profiter de l’essor prodigieux du tourisme en RAT (Photo : Elena Ettinger, juin 2019)
Dans ce village de la région de Nyingchi, les habitants ont construit des annexes et aménagé des chambres d'hôtes pour profiter de l’essor prodigieux du tourisme en RAT (Photo : Elena Ettinger, juin 2019)

 

Depuis lors, le nombre de touristes est en augmentation constante. Pas moins de 12,91 millions ont visité la RAT en 2013, dont plus de 223 000 touristes étrangers. Pas mal pour une région qui ne compte qu’un peu plus de 3 millions d’habitants. Le chiffre est monté à plus de 15 millions en 2014. (4) D’après les derniers chiffres officiels, plus de 30 millions de touristes ont visité la Région autonome en 2018. (5)

Une partie non négligeable de ces visiteurs vient d’Europe et des États-Unis, et c’est à bon escient que le site d’une agence de voyages spécialisée souligne que le « Tibet est une destination touristique populaire dans le monde entier. Chaque année, des milliers d'étrangers affluent au Tibet ». (6)

Au vu de ces chiffres, parler d’un « isolement » du Tibet par les autorités chinoises et tibétaines est tout simplement ridicule.

 

Une des chambres à coucher pour touristes aménagées par la famille de villageois (photo : Elena Ettinger, juin 2019)
Une des chambres à coucher pour touristes aménagées par la famille de villageois (photo : Elena Ettinger, juin 2019)

 

Mais est-ce que ces autorités permettent un accès libre, total, sans limites et sans contrôle aux étrangers qui veulent se rendre au Tibet ? Eh bien non. Certains Occidentaux aux activités antichinoises et des partisans du nationalisme séparatiste tibétain se voient refuser un visa.

 

Refoulement arbitraire de visiteurs aux États-Unis

Refuser l’accès à des personnes qui veulent se livrer à des activités subversives ou d’espionnage ou qui ont l’intention de salir leur hôte par des reportages mensongers est le droit de tout État souverain. Les États-Unis, eux, ne se privent d’ailleurs nullement de refouler des visiteurs qui ne leur plaisent pas. Une petite recherche sur Internet donne ceci : « Il existe des cas où les autorités américaines décident de ne pas laisser entrer une personne sur le sol américain et cela même si ces papiers sont en règle et qu’elle a obtenu un visa. Inutile de chercher une justification, elle est impossible à obtenir. » (7) Ou encore : « Si vous comptiez voyager prochainement aux États-Unis, pensez à d’abord vérifier votre liste d’amis Facebook. Si elle contient des profils potentiellement suspects, le pays pourra vous refuser l’entrée à l’aéroport, comme l’explique TechCrunch dans un article paru ce mardi 27 août [2019]. Selon le média américain, les douanes américaines refuseraient de plus en plus l’entrée sur leur territoire à cause des réseaux sociaux. » Il suffit même que les agents trouvent sur votre portable des « messages anti-américains publiés par un ami ».

S’agit-il d’un fait rare, tout à fait exceptionnel ? Pas du tout. « L’an passé, les douaniers qui effectuent des fouilles plus poussées ont analysé le contenu des téléphones, ordinateurs ou tablettes de 30 000 voyageurs, soit 4 fois plus qu’en 2015. Ils n’ont pas besoin de grand-chose : il n’est pas nécessaire pour eux de prouver qu’il y a des raisons de douter du citoyen en question et ils n’ont pas besoin de mandat. Selon Me Ayoub, un avocat spécialisé dans les discriminations à l’encontre des Américains arabes, ce procédé serait devenu « la norme  », surtout pour les personnes arabes ou musulmanes. » (8)

 

Touristes étrangers sur une plate-forme offrant une vue panoramique, région de Nyingchi, RAT, en 2019 (photo : Elena Ettinger)
Touristes étrangers sur une plate-forme offrant une vue panoramique, région de Nyingchi, RAT, en 2019 (photo : Elena Ettinger)

 

Les restrictions au Tibet causées par les agissements de partisans occidentaux du dalaï-lama

Rappelons quand même que, dans le cas du Tibet, les agissements antichinois fomentés par Dharamsala ou par des Occidentaux enivrés par les effets que semble avoir l’aura de « Sa Sainteté » sur des âmes sensibles ont leur part de responsabilité dans les restrictions d’accès au Tibet que les autorités chinoises ont quelquefois été amenées à imposer. Car dans les années 1980, pendant « un certain temps, les touristes pouvaient se rendre librement là où ils voulaient, à condition de pouvoir régler le transport ». (9)

Ce sont les émeutes successives, encouragées sinon fomentées par des Tibétains en exil et des étrangers − par exemple les pogroms antichinois de 2008 ou les auto-immolations très médiatisées − qui ont conduit à des fermetures passagères de la RAT aux touristes étrangers. Ainsi, les « photos d'une auto-immolation au marché du Barkhor à Lhassa en mai 2012, mises en ligne, montrent un étranger d'apparence occidentale regardant l'un des hommes dans un nuage de fumée alors que d'autres éteignaient les flammes. La dernière interdiction concernant les étrangers a pris effet quelques jours plus tard. » (10)

On peut donc comprendre pourquoi la Chine et les autorités de la Région autonome tibétaine se réservent le droit de refuser l’accès à des étrangers qui sont mal intentionnés ou susceptibles d’agissements antichinois. Cela vaut plus spécialement pour « les exilés tibétains » qui vivent en Europe et qui se voient souvent « refuser le droit de visiter leur patrie », comme le déplorent les signataires, et pour « les journalistes étrangers » qui « ont besoin d’une autorisation spéciale pour entrer ».

 

Le Tibet victime d’agression, d’ingérence et de subversion occidentale

Mais les signataires de cette tribune auraient dû pousser la comparaison de l’Europe et de la Chine un peu plus loin et s’interroger sur les différences qui sont à la base des attitudes différentes par rapport à la « liberté de voyager ».

Car le Tibet a une longue histoire d’agression, d’ingérence et de subversion étrangère, d’abord britannique (invasion en 1903/1904 sous le commandement de Younghusband, installation forcée d’agents coloniaux dans les principales villes tibétaines, annexion du Tibet du Sud, regime change sanglant par le 13e dalaï-lama conseillé et instrumentalisé par Sir Charles Bell), puis américaine (rébellion contre-révolutionnaire encouragée et armée par la CIA, terroristes formés à Saipan et au Camp Hale/Colorado, exfiltration du 14e dalaï-lama du Tibet, base terroriste établie au Mustang népalais, création de l’ Establishment 22, l’armée du dalaï-lama sous commandement des services secrets indiens…). Un « gouvernement en exil » s’est établi près de sa frontière et ne cesse de fomenter des troubles avec l’appui d’États et d’organisations ennemis.

Comparer le Tibet à l’Europe est donc assez déplacé.

 

Petite ville touristique nouvellement construite dans la région de Nyingchi, située au Sud-Est de la RAT et particulièrement propice au tourisme « vert » (photo : Elena Ettinger, juin 2019)
Petite ville touristique nouvellement construite dans la région de Nyingchi, située au Sud-Est de la RAT et particulièrement propice au tourisme « vert » (photo : Elena Ettinger, juin 2019)

 

La comparaison serait moins déplacée si l’Europe connaissait une situation comparable. Par exemple comme celle-ci, imaginaire, mais pas complètement fantaisiste pour autant : imaginons un instant qu’après l’échec d’une rébellion armée catalane contre Madrid, les dirigeants indépendantistes se réfugient en France et établissent un « gouvernement catalan en exil », disons à Perpignan. Imaginons que cela se passe avec l’accord tacite de Paris qui ne tarde pas à intégrer une unité secrète composée de réfugiés catalans à son armée. Imaginons encore que les activités terroristes aussi bien que diplomatiques des séparatistes catalans soient soutenues financièrement, sur le plan de la propagande et par des lois extraterritoriales, par une Russie aux allures de puissance hégémonique et dont la France, désormais dirigée par un gouvernement nationaliste, se rapproche de plus en plus.

Est-ce que, dans un tel cas de figure, nos Don Quichottes parlementaires voleraient à la rescousse des exilés catalans et cloueraient au pilori le gouvernement espagnol ? Est-ce qu’ils exigeraient l’ouverture de la Catalogne aux visites des exilés et de leurs partisans, et, qui sait, aux journalistes russes, chinois, cubains ou vénézuéliens ?

 

Les représentants du nationalisme ethnique européen

La réponse à cette question n’est pas nécessairement celle qu’on attend. Il est même probable qu’une petite partie des signataires de la « tribune » agirait justement de la sorte. Il s’agit des indépendantistes catalans Carles Puigdemont i Casamajó, Clara Ponsatí Obiols et Antoni (Toni) Comín i Oliveres, réfugiés en Belgique après que le secrétaire d'État belge à l'Asile et aux Migrations Theo Francken, connu pour ses liens avec l’extrême droite et ses témoignages de sympathie pour des collaborateurs belges pendant l’occupation nazie, eut proposé l'asile politique à Puigdemont.

On pourrait s’étonner de la connivence entre séparatistes « de gauche » et l’extrême droite qui se reflète aussi dans la liste des signataires de la « tribune » en question, où se retrouvent côte à côte les nationalistes catalans réputés de gauche et un parlementaire européen hongrois (un certain Ádám Kósa) qui appartient au parti Fidesz de Victor Orban. (Pour le lecteur peu au fait de la politique européenne : il s’agit d’un parti de la droite nationaliste qui a fermé les frontières hongroises aux réfugiés). Parmi les signataires, on retrouve aussi le Roumain Loránt Vincze, leader du parti ethnique hongrois, Chris Law, un représentant des indépendantistes écossais, et Maurice Antiste qui fait partie de la Gauche autonomiste martiniquaise. Ils figurent sur la liste à côté d’Alexandr Vondra du parti tchèque de droite CRE, antifédéraliste et atlantiste (11), de Raphaël Glucksmann, « conseiller officieux » et ami personnel du Géorgien Mikheil Saakachvili (12) et de nombreux conservateurs, chrétiens-démocrates, centristes ou « socialistes » dont les seuls points communs semblent être leur position atlantiste, leur haine de la Chine et leur anticommunisme.

La signature d’un parlementaire européen hongrois du parti Fidesz confère d’ailleurs à la revendication de « liberté de voyager » adressée à la Chine un caractère quelque peu grotesque.

 

Dans une telle farce politique, le dalaï-lama ne pouvait pas manquer

D’autant plus que les auteurs du texte n’ont pu s’empêcher de débiter des âneries incroyables sur le Tibet. De toute évidence, on a affaire à des gens qui ne connaissent rien au sujet, mais qui ont néanmoins tenu à étaler leur ignorance abyssale en écrivant, par exemple, « Le Dalaï-lama - qui vit en exil depuis le début de l’occupation chinoise du Tibet - aura 85 ans cette année, et la Chine a annoncé qu’elle prévoyait, à sa disparition, de nommer son successeur. »

Éclairons-leur donc la lanterne ! Primo : l’intégration du Tibet dans l’État chinois (l’empire) date du 18e sinon du 13e siècle, sa réintégration dans la jeune République populaire de Chine s’est faite en 1951. Le 14e dalaï-lama, pourtant, n’a quitté le Tibet qu’en 1959.

Secundo : La « réincarnation » d’un dalaï-lama n’est pas nommée, mais reconnue et confirmée par l’État suivant une procédure traditionnelle datant du 18e siècle. (13) Dans l’ancienne théocratie tibétaine, son successeur immédiat, sur le plan politique, fut d’ailleurs un régent et non pas, pour des raisons évidentes, le petit garçon choisi pour devenir le futur dalaï-lama.

Mais les âneries signées par ces honorables parlementaires ne s’arrêtent pas là. « Le Dalaï-lama est l’une des principales raisons pour lesquelles les Tibétains se sont abstenus de se soulever de manière violente contre leurs oppresseurs chinois, » pontifient-ils. Non, Mesdames et Messieurs, les « contras » tibétains n’ont jamais été empêchés par « Sa Sainteté » de « se soulever de manière violente ». Ni en 1956 quand ils ont mené leur « guerre sainte » contre les communistes accusés de vouloir distribuer les terres des monastères à ceux qui les travaillaient et de vouloir en finir avec le traditionnel brigandage des tribus khampa si profitable au clergé.

 

Des émeutiers tibétains armés s’attaquent à leurs concitoyens han à Lhassa en 2008
Des émeutiers tibétains armés s’attaquent à leurs concitoyens han à Lhassa en 2008

 

Ni en 1959, quand l’armée tibétaine s’est jointe aux émeutiers qui ont assiégé le Palais d’été et qui ont lynché des Tibétains accusés de s’entendre avec les autorités chinoises. Ni plus tard, lors des attaques terroristes perpétrées à partir de la base de Mustang à l’initiative de la CIA ou lors des violentes émeutes et pogroms des années 1980 et 2000. Le dalaï-lama, bien qu’appelant parfois à la modération et bien que prêchant la non-violence, ne s’est jamais désolidarisé des partisans de la lutte armée et du terrorisme.

Que vous invoquiez l’idée reçue des Tibétains « réputés non violents » n’illustre qu’un peu plus votre crédulité et votre ignorance.

La principale raison qu’ont les Tibétains de ne pas se soulever contre l’ « oppresseur » chinois, c’est que leur « oppression » est faite d’une amélioration fabuleuse de leur niveau et de leurs conditions de vie. Au cas où cela aurait échappé à ces parlementaires : le Tibet connaît depuis des décennies un développement économique jamais vu auparavant, grâce aux aides et aux investissements chinois. Les Tibétains ne sont plus les serfs et les nomades analphabètes d’antan qui n’avaient comme seul espoir que la réincarnation dans une vie meilleure, mais ils sont des travailleurs et travailleuses qualifié(e)s, des ingénieur(e)s, des infirmier(e)s, des médecins hommes et femmes, des enseignant(e)s, des artistes, des entrepreneur(e)s, etc.

 

Élèves tibétains d’une école secondaire professionnelle de Lhassa (photo : Albert Ettinger)
Élèves tibétains d’une école secondaire professionnelle de Lhassa (photo : Albert Ettinger)

 

La Chine accusée de tous les maux

Les signataires n’ont pas eu de scrupules à répéter les mensonges de l’administration Trump au sujet de la culpabilité « du régime de Pékin » qui aurait « contribué à déclencher la pandémie du coronavirus à travers le monde ». Pas un mot, au contraire, dans ce pitoyable document sur les manquements, la désinformation et les sages conseils du président américain qui ont contribué plus qu’autre chose aux ravages que le Covid-19 continue de faire aux États-Unis.

Et cela à un moment où vient de paraitre le livre The Covid-19 Catastrophe de Richard Horton, rédacteur en chef de la prestigieuse revue scientifique britannique The Lancet, qui « dresse un bilan très sévère de la réponse mondiale à la pandémie. Il évoque une ‘arrogance occidentale’ des gouvernements et des chercheurs vis-à-vis de la communauté scientifique chinoise. Cette attitude a, selon lui, retardé les prises de décisions et alourdi le bilan des décès dans de nombreux pays. Il a des mots particulièrement durs contre le président américain, Donald Trump, qu’il accuse de ‘crimes contre l’humanité’, et contre le Premier ministre britannique, Boris Johnson, et son gouvernement, dont il juge ‘criminelle’ la lenteur de réaction. » (14)

En revanche, les signataires de ce document lamentable vont jusqu’à prétendre que « la Chine » représente « une menace plus grande que jamais pour la liberté et la stabilité mondiales ». Une « liberté » et une « stabilité mondiales » sans doute garanties par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN ?

 

Les vrais ennemis de la « liberté et de la stabilité mondiales »

Les faits sont pourtant indéniables : ce n’est pas la Chine, mais les États-Unis aux prétentions hégémoniques qui…

- s’immiscent systématiquement dans les affaires intérieures des autres États (15)

- télécommandent et soutiennent des « changements de régime » illégaux, sous forme de coup militaire ou de « révolution » (Haïti, Ukraine, Honduras, Libye, Syrie, Bolivie (16), Venezuela…),

- mènent ou ont mené des guerres d’agression ou des attaques armées illégales contre un grand nombre de pays (Vietnam, Laos, Cambodge, Cuba, Grenade, Nicaragua, Afghanistan, Irak, Libye…), en violation du droit international, sous des prétextes fallacieux et en commettant des crimes de guerre ; maintiennent des troupes d’occupation en Iraq et en Syrie contre la volonté de ces pays,

- disposent de près de 200 000 hommes, soit 10 % de leur personnel militaire à l'étranger, « déployés dans 800 bases militaires déclarées et 177 pays » (17),

- menacent d’imposer ou imposent des sanctions économiques à tous les pays ou organismes (entreprises ou institutions internationales) qui osent prendre des décisions jugées contraires aux intérêts américains,

- méprisent, attaquent, menacent, privent de la contribution financière américaine ou se retirent des institutions internationales ou multilatérales comme l’ONU et son Conseil des droits de l’homme, l’UNRWA (18), l’OMC ou la Cour Pénale Internationale qui a même vu son personnel menacé de sanctions et s’est vue traitée de « tribunal kangourou » par le secrétaire d’État américain Pompeo,

ont la prétention d’étendre leur propre juridiction nationale sur le reste du monde,

- infligent sur la base de cette législation, des milliards de dollars d’amendes à des concurrents étrangers (19), milliards qui servent à renflouer les caisses d’un gouvernement américain souvent au bord de la faillite,

- prennent en otage des responsables de grandes entreprises étrangères et les mettent en prison pour détruire, soumettre ou racheter leurs concurrents. Ainsi, Meng Wanzhou, la vice-présidente du conseil d'administration de la société Huawei, est arrêtée le 1er décembre 2018 au Canada à la demande des États-Unis, qui l'accusent d'avoir contourné les sanctions unilatérales imposées par les États-Unis à l'Iran. L’affaire rappelle celle du Français Frédéric Pierucci, « ex-cadre » d’Alstom qui « a passé deux ans en prison aux États-Unis au moment où General Electric rachetait la branche énergie du groupe français. » (20)

- déchirent des accords internationaux et se considèrent au-dessus du droit international, comme dans le cas de l’accord sur le nucléaire iranien ou de différents traités de contrôle des armements,

- ont commis et commettent de graves violations des droits de l’homme par des enlèvements et transferts hors cadre judiciaire appelés extraordinary renditions, des prisons clandestines dans certains pays européens, la torture (Guantánamo, Abou Ghraib), des assassinats ciblés dans différentes régions du monde,

- soutiennent et utilisent le terrorisme djihadiste contre des États qu’ils veulent déstabiliser (Afghanistan dans les années 1980, Libye, Syrie…)

- soutiennent inconditionnellement l’Etat sioniste et le régime corrompu de Benyamin Netanyahou dans ses projets d’annexion de territoires occupés palestiniens et syriens et dans ses innombrables violations du droit international et des résolutions de l’ONU (21).

 

Les néophytes verts et rouges de l’Atlantisme

Les signataires de cette « tribune » proviennent d’horizons politiques les plus divers. S’il n’est déjà pas facile de s’expliquer la présence d’indépendantistes à côté de conservateurs partisans du centralisme, de néolibéraux à côté de « pirates », la signature de représentants des « Verts » et de de la gauche radicale peut surprendre.

Leur ignorance de la question tibétaine et de la situation au Tibet mise à part, qu’est-ce qui a bien pu les amener à signer un document qui se caractérise par un atlantisme décomplexé et une attitude aussi servile à l’égard des États-Unis ?

Pour ce qui est des « Verts », jadis plutôt altermondialistes et pacifistes, il faut se rappeler qu’ils ont déjà, du moins certains d’entre eux, un long passé de connivence avec l’OTAN et de servilité envers les États-Unis. Les dirigeants du parti vert allemand font partie d’organisations atlantistes ; quelques-uns d’entre eux ont été parmi les pires va-t-en-guerre lorsque l’OTAN a attaqué la Serbie, l’Afghanistan et la Libye. (22) Actuellement, leur ex-président Bütikofer qui dirige le « Groupe des Verts/Alliance libre européenne » au sein du Parlement européen est en train de se profiler comme le porte-parole outrancier d’une « Alliance parlementaire mondiale » contre la Chine. (23) En signant le texte de la « tribune », les écolos/Groen belges Petra De Sutter et Samuel Cogolati, le Français Bernard Jomier, l’Allemande Maria Klein-Schmeink, la Finlandaise Heidi Hautala et les Portugais Francisco Guerreiro, Bebiana Cunha, Cristina Rodrigues, André Silva et Inês De Sousa Real avalisent cette politique atlantiste de confrontation qui vise à entraîner l’Europe dans une nouvelle guerre-froide.

Mais ce qui est plus remarquable encore, c’est que des membres de partis appartenant au Parlement européen à la « Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique » ont estimé devoir les rejoindre : le Danois Christian Juhl, le Portugais José Gusmão, un ex-membre du Parti communiste, et les Portugaises Marisa Matias et Alexandra Vieira.

Au sein de ce groupe parlementaire qui comprend, avec le PTB belge et La France insoumise, des partis ou mouvements qui n’ont pas la réputation de sympathiser avec des nostalgiques d’Anciens Régimes ou avec les milieux les plus agressifs de l’impérialisme US, des discussions animées et des clarifications dans le domaine de la politique étrangère européenne s’imposent donc de toute urgence.

 

Notes :

1) https://www.nouvelobs.com/monde/20200615.OBS30062/tribune-le-gouvernement-chinois-doit-nous-laisser-acceder-au-tibet.html

2) http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/515-washington-atteint-de-la-folie-des-grandeurs-menace-la-chine-au-sujet-du-tibet

3) http://factsanddetails.com/china/cat6/sub37/item2846.html#chapter-12

4) http://factsanddetails.com/china/cat6/sub37/item2846.html#chapter-12

5) http://www.xinhuanet.com/english/2019-01/10/c_137733915.htm

6) https://www.tibettravel.org/tibet-travel-advice/tibet-travel-faq.html

7) https://www.france-esta.fr/entree-aux-etats-unis/

8) https://www.numerama.com/politique/544130-on-peut-vous-refuser-lentree-aux-etats-unis-a-cause-de-ce-que-publient-vos-amis-facebook.html

9) http://factsanddetails.com/china/cat6/sub37/item2846.html#chapter-12

10) http://factsanddetails.com/china/cat6/sub37/item2846.html#chapter-12 - L’épisode rappelle cet autre, relaté par Patrick French dans la version originale, anglaise, de son livre Tibet, Tibet - et escamoté dans l’édition française. L’auteur y cite un journaliste de la BBC, Daniel Lak, qui fut invité à couvrir l’immolation par le feu d’un Tibétain apparemment mise en scène par des militants occidentaux. Il termine son récit par ce commentaire : « La colère contre les étrangers qui ont participé en secret à l’immolation par le feu d’un simple Tibétain en exil ne m’a pas quitté. Je trouve qu'il y avait une bonne part de cynisme dans l'appel que j’ai reçu avant la mort de Ngodup ». French ajoute à son tour le commentaire suivant : « J’ignorais que la mort de Ngodup avait été ainsi annoncée à l'avance. J’ai trouvé l'idée d'un tel arrangement profondément choquante ». (Patrick French, Tibet Tibet, A Personal History of a Lost Land, p. 7)

11) Selon Wikipédia, c’est « un atlantiste convaincu, pour qui l'alliance avec les États-Unis est la seule qui puisse garantir la sécurité de la République tchèque ».

12) Salomé Zourabichvili, ancienne diplomate française ayant été un temps ministre des Affaires étrangères sous Saakachvili, déclare au sujet de ce fils du philosophe français, ex-socialiste devenu un néo-conservateur pur et dur : « Marié à celle qui a été vice-ministre de l'Intérieur, puis ministre, ignorait-il vraiment tout des excès de la police, des tortures dans les prisons et de la situation des droits de l'homme dans le pays ? » https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapha%C3%ABl_Glucksmann

13) Voir à ce sujet nos articles http://tibetdoc.org/index.php/religion/bouddhisme-tibetain-dans-le-monde/509-washington-voudrait-s-immiscer-dans-le-choix-d-un-15e-dalai-lama, http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/515-washington-atteint-de-la-folie-des-grandeurs-menace-la-chine-au-sujet-du-tibet, http://tibetdoc.org/index.php/histoire/periode-bouddhiste/546-vraies-ou-fausses-re-incarnations-a-propos-du-choix-eminemment-politique-des-dieux-vivants-lamaiques et http://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/516-lettre-ouverte-a-philippe-paquet-a-propos-d-une-nouvelle-ingerence-des-etats-unis

14) https://www.liberation.fr/planete/2020/06/15/the-lancet-l-arrogance-de-l-occident-est-responsable-de-dizaines-de-milliers-de-morts_1791329

15) Voir, par exemple, http://tibetdoc.org/index.php/politique/chine-en-general/523-la-chine-dans-le-collimateur-du-soft-power-americain-2e-partie-ces-reseaux-atlantistes-qui-ont-infiltre-l-europe, https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/08/les-etats-unis-denoncent-le-soutien-de-l-allemagne-a-nord-stream-2_5406257_3210.html, https://www.fredzone.org/5g-les-etats-unis-pressent-la-grande-bretagne-de-boycotter-huawei-le-gouvernement-britannique-exige-une-alternative-659, https://www.lefigaro.fr/conjoncture/2019/03/15/20002-20190315ARTFIG00216-les-etats-unis-s-opposent-a-la-vente-de-l-edf-portugais-aux-chinois.php, https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/ukraine-une-americaine-ministre-des-finances-un-lituanien-a-l-economie_1628337.html, https://www.atlantico.fr/pepite/975798/-fuck-the-eu--quand-une-diplomate-americaine-insulte-l-europe, etc., etc.)

16) https://www.solidaire.org/articles/bolivie-qu-y-t-il-derriere-le-coup-d-etat-contre-evo-morales

17) https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_bases_militaires_des_%C3%89tats-Unis_dans_le_monde

18) Lire « The Corrosion of World Order in the Age of Donald Trump », https://www.cfr.org/blog/corrosion-world-order-age-donald-trump et « In one move, Trump eliminated US funding for UNRWA and the US role as Mideast peacemaker », https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2018/09/07/in-one-move-trump-eliminated-us-funding-for-unrwa-and-the-us-role-as-mideast-peacemaker/ ou encore « La Chine verse un million de dollars à l'UNRWA pour soutenir l'aide alimentaire à Gaza », https://news.un.org/fr/story/2019/07/1048761

19) En l’occurrence, 800 millions à Siemens, 185 millions à Daimler, 398 millions à Total, 338 millions à Technip, 137 millions à Alcatel, 293 millions à Société Générale, 365 millions à Snamprogetti, 237 millions à Panalpina, 400 millions à BAE systems, 280 millions à Panasonic, 219 millions à JGC…

20) https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/02/15/tombe-pour-alstom-frederic-pierucci-veut-sauver-l-industrie-francaise_5423916_4500055.html - Voir aussi Frédéric Pierucci et Matthieu Aron, Le piège américain, L’otage de la plus grande entreprise de déstabilisation économique raconte, Témoignage. Éditions Jean-Claude Lattès, 2019, Collection J’ai lu, Prix littéraire nouveaux droits de l’homme.

21) Voir « Trump, Israël et la Palestine : la violence du fait accompli », https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/29/trump-israel-et-la-palestine-la-violence-du-fait-accompli_6027638_3232.html

22) http://www.uweness.eu/libyen-gruener-krieg.html, voir aussi l’analyse détaillée sur https://etopia.be/les-partis-ecologistes-et-les-conflits-armes/ qui explique que, « Avançant chacun ses fondements moraux, pacifistes et défenseurs des droits de l’Homme se déchirent depuis l’intervention libyenne, laissant une plaie profonde à vif. » À propos du virage interventionniste et atlantiste pris par les Verts allemands dès 2003, l’auteur constate que « le tournant culturel et opérationnel fut le Kosovo, en 1999. Ce tournant, qui plus est, fut le fruit d’un total changement conceptuel de la part des Verts allemands, sous l’impulsion du Ministre des Affaires Étrangères de l’époque, l’écologiste Joschka Fischer. Ce dernier parvient ainsi à convaincre le parti vert que la défense des droits de l’homme pouvait passer, en dernier ressort, par le recours à la force. »

23) https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/LAlliance-parlementaire-mondiale-veut-contrer-menace-chinoise-2020-06-08-1201098079