Des Seniors à Lhassa

par Elisabeth Martens, le 8 juin 2025

C'était il y a exactement une semaine, j'étais invitée à partager un petit goûter "fait maison" en compagnie de quelques aînés de Lhassa. La fille d'un homme de plus de 90 ans avait préparé des gâteaux à la farine d'orge et des fromages de yack séchés. Avec une tasse de « patati » (c'est ainsi que disent les francophones qui entendent "butter-thee"), ce fut un moment émouvant passé dans le centre communautaire de jour d'un nouveau quartier de Lhassa.

 

Centre de jour pour les aînés

Nous sommes accueillis par un personnel souriant : le directeur du centre, la gérante et trois aides-soignantes qui nous conduisent vers une vaste salle commune, le cœur du centre de jour. Y sont installés à différentes tables basses de style traditionnel tibétain, des groupes de personnes âgées. Autour d'une table, des messieurs tapent le sho (un jeu traditionnel), autour d'une autre table, ce sont des dames qui jouent au whist, puis là-bas, on y prend le thé en papotant, tandis que tout au fond de la salle, devant un écran géant où défilent des paysages himalayens, un groupe de dames pratique du Taijiquan. La salle est inondée par la lumière de l'après-midi déferlant de grandes fenêtres placées en hauteur.

 

le jeu de Sho au centre de jour (2025)
le jeu de Sho au centre de jour (2025)

Puis, nous sommes guidés vers d'autres salles, celles où les aînés reçoivent leur famille. C’est là que nous sommes invités à partager un thé au beurre de yack. Une partie de la pièce est occupée par une famille rassemblant quatre génération. L'arrière grand-père de plus de 90 ans est couché sur le divan quand nous arrivons, il se redresse fièrement pour la photo de famille. Sa femme ôte son chapeau, tandis que sa fille nous présente ses gâteaux et fromages de yack. On appelle les petits-enfants absorbés par une partie de mah-jong, puis les arrières petit-enfants accourent pour la photo, gâteau en main.

 

La photo de famille de quatre générations (2025)
La photo de famille de quatre générations (2025)

Activités du centre de jour

Outre les jeux, la pratique du Taijiquan, le centre propose encore des ateliers d'artisanat. Sur des étagères de bois sont exposés les dernières œuvres des habitués du lieu: origamis, peintures à l'huile, calligraphies. Au bout d'un couloir, nous entrons dans une salle de danse où une dizaine de dames répètent des danses traditionnelles. Plus loin, ce sont des activités sportives qui sont proposées comme le billard, le ping-pong, le vélo d’appartement, des engins de musculation.

« Mais où se trouvent les chambres des pensionnaires? » demandai-je à la gérante du lieu, étonnée de ne pas en voir dans le centre. Elle aussi est surprise par ma question. En effet, la plupart des « homes » de Lhassa n'accueillent les personnes âges qu'en journée. Outre les différentes activités proposées par le centre, les seniors peuvent aller se reposer à l'étage où il y a quelques lits disponibles. Par ailleurs, ils profitent d'un dispensaire avec les soins médicaux de base. Le centre distribue également des repas, mais le soir, les seniors rentrent chez eux, dans leur famille respective.

 

Quatre générations sous un même toit

La majorité des Tibétains âgés vivent encore en famille. Cela semble naturel au Tibet-Xizang où il est commun de trouver plusieurs générations qui cohabitent sous un même toit, souvent trois générations, parfois quatre générations.

Je l'ai remarqué partout où je me suis rendue récemment (2024-25), en Chine, les personnes âgées sont très entourées. Il ne viendrait pas à l'idée d'un Chinois d'abandonner ses parents à leur propre sort. Dans les campagnes, c'est une vie plutôt rudimentaire qui les attend, et d'autant plus rudimentaire au Tibet en raison du climat et de l'altitude.

Les enfants prennent leurs parents chez eux pour les soigner et les entourer. Mais dans la plupart des familles chinoises actuelles, mari et femme travaillent. Par conséquent, pour que leurs aînés ne meurent pas d'ennui dans leur appartement, ils les amènent le matin dans le centre de jour et viennent les y rechercher le soir. Au Tibet, cela se passe également ainsi.

 

Age de la retraite

Je m'étonne auprès de la gérante que les aînés du centre paraissent relativement jeunes et je m'exclame en riant : « je trouverais volontiers ma place ici ! » Elle rit également en me souhaitant « bienvenue ! »

pratique du Taijiquan au centre de jour (2025)
pratique du Taijiquan au centre de jour (2025)

Comme partout ailleurs en Chine, l'âge légal de la retraite au Tibet est de 60 ans pour les hommes et de 50 ans pour les femmes employées dans les usines et 55 ans pour les femmes cadres et fonctionnaires (enseignantes, médecins, avocates, etc.). Certains Tibétains bénéficient d'une retraite anticipée de 5 ans, au cas par cas, en raison de conditions de travail rendues difficiles par le climat et l'altitude.

Je me permets de faire un petit rappel ici : l'espérance de vie des Tibétains a plus que doublé depuis 1951, année où l'Armée populaire de libération est entrée à Lhassa. Les Tibétains avait alors une espérance de vie moyenne de 35 ans à cause du manque d'hygiène, d'eau potable, de soins de santé. Ajoutée à ces conditions de vie déplorables, il y avait aussi une énorme mortalité infantile. Elle s'élevait à 430 décès pour 1000 naissances, c'est dire que presque la moitié des enfants qui naissaient mourraient tout aussitôt !

Actuellement, l'espérance de vie est de 72 ans. Le Tibet-Xizang rattrape peu à peu la moyenne mondiale de 72,8 ans, et même la moyenne nationale de 77,3 ans. Il dépasse déjà celle de l'Inde de 70,1 ans. La mortalité infantile s'est réduite de plus de 95 % avec, actuellement, 8 décès pour 1000 naissances. Ce sont les chiffres officiels de la Chine (Livre blanc chinois de 2020), confirmés et applaudis par l'OMS et la banque mondiale.

 

Une partie de Mah-jong (2025)
Une partie de Mah-jong (2025)

 

Maisons de repos

Au Tibet-Xizang, seulement 8% de la population a plus de 60 ans, contre presque 20% au niveau national. La région tibétaine qui n'a pas dû répondre aux restrictions de l'enfant unique a une population relativement plus jeune que le reste de la Chine. Pendant que les Chinois étaient réduits à n'avoir qu'un seul enfant, les Tibétains étaient autorisé à avoir jusque trois enfants par famille, et j'ai vu bien souvent des familles de quatre à cinq enfants dans les campagnes tibétaines. Actuellement, 20 à 30% de la population tibétaine a moins de 20 ans le taux de fécondité est proche du renouvellement (environ 2).

Cela explique en partie qu'il y a encore peu d'infrastructures pour les personnes âgées au Tibet-Xizang. Une cinquantaine de maisons de repos ont été construites pour toute la Région autonome (dont la surface équivaut à 2,5 fois la France). Huit d'entre elles se situent à Lhassa. Chaque maison de repos dispose d'une centaine de lits, donc il n'y a que 5000 places disponibles pour les aînés du Tibet-Xizang qui a une population de 3,65 millions d’habitants.

Par contre, priorité est donnée aux anciens éleveurs pour les reloger en ville, à Lhassa ou Xigazé, ou dans des « nouveaux villages », ou dans des maisons rénovées avec chauffage. Ils jouissent de subventions plus élevées que les citadins. 80% de ce coût est pris en charge par l’État (contre 50 à 70% en Chine continentale).

En réalité, le soin aux aînés est un nouveau challenge pour l'ensemble de la Chine qui craint la crise des retraites avec 2 actifs pour 1 retraité d'ici 2035. La Chine a un des taux de fécondité les plus bas au monde (1.09 en 2023), elle se doit de développer progressivement un réseau de maisons de repos pour répondre au vieillissement de sa population. Pour le moment, une fraction importante des logements sociaux est destinée aux retraités vulnérables (ex: 20% à Pékin) qui payent un loyer symbolique et bénéficient d'autres avantages comme les soins médicaux gratuits.

 

Système de pensions

Au Tibet-Xizang, comme partout ailleurs en Chine, le montant de la pension est calculé sur base des années de cotisation et du salaire moyen. Cela peut donner lieu à de fortes disparités, par exemple, un fonctionnaire d’État aura une pension plus élevée qu'un employé ou qu'un entrepreneur.

Par contre, au Xizang-Tibet, afin d'encourager l'implantation de nouvelles PME, un employeur ne verse environ que 16% de son salaire de cotisation de pension, contre 20% ailleurs en Chine. Quant aux employés, ils versent en moyenne 8% de leur salaire pour la pension.

Grâce à des subsides octroyés par le gouvernement central, la pension moyenne d'un citadin tibétain est supérieure à celle d'un Chinois Han : environ 4000 à 5000 yuans par mois pour un Tibétain contre 3500 yuans pour un Chinois Han.

Pour les Tibétains ruraux, l’État octroie une pension de base de 200 à 300 yuans par mois auxquels peuvent s'ajouter des épargnes personnelles et familiales. Par exemple, pour un éleveur semi-nomade (nomadisme traditionnel au Tibet), un yack peut valoir de 3000 yuans pour un jeune animal jusque 50.000 yuans pour un yack reproducteur. Si on sait qu'un troupeau moyen compte une cinquantaine de yacks, le bétail représente un fameux héritage familial.

A cela, il faut ajouter que, pour les seniors, les soins médicaux sont gratuits ou fortement subventionnés ; ils sont en tous cas plus avantageux que pour les Chinois Han. Il y a aussi des subsides compensatoires dûs à l’altitude et les conditions de vie difficiles, c'est -à-dire une allocation mensuelle supplémentaires pour les retraités qui s'élèvent à 100 yuans jusque 500 yuans.

 

Centres de soins pour moines et nonnes âgés

 

Certains monastères gèrent des structures spéciales pour les moines et les nonnes âgés. Il y a quelques années (2019), j'en ai vu un exemple au monastère de Drepung à Lhassa et cette fois-ci, un autre au monastère Tashilumpo à Xigazé. Cependant, la plupart des monastères tibétains prennent leurs aînés en charge comme cela se pratique dans les familles : une solidarité intergénérationnelle s'organise de manière spontanée.

dans un monastère reculé au Sichuan
dans un monastère reculé au Sichuan

À savoir toutefois que les moines et les nonnes ont une allocation mensuelle de base qui s'élève à 300 ou 400 yuans pour les régions reculées, et à 1000 yuans pour les monastères les plus renommés de Lhassa et Xigazé. À ces subventions mensuelles sont ajoutées des aides pour les seniors de plus de 60 ans qui touchent un supplément de 200 à 500 yuans par mois. Ceci est vrai uniquement pour les moines et les nonnes qui sont officiellement enregistrés dans un monastère.

 

Calligraphie tibétaine:
Calligraphie tibétaine: "apprendre et étudier est thésauriser des années supplémentaires" (2025)